L'accès aux services publics comme l'université et l'allocation des ressources publiques repose désormais sur des logiques de compétition entre usagers et non plus d'égalité en fonction de certaines conditions.
Dans un système éducatif qui valorise la sélection et le classement scolaire, le concours est un débouché naturel de la course, même s'il favorise - par les qualités qu'il identifie - autant les dispositions sociales que les dispositions scolaires.
Le mérite se situe précisément là. Il est une pratique sociale de l’évaluation, de la comparaison (souvent quantifiée) et du classement perpétuel des individus. Il détermine l'accès (ou non) à un bien ou à une position sociale selon le “talent“, l’effort au travail ou la souffrance que l'on veut bien lui reconnaître.
Le lecteur averti objectera qu'il n'y a rien de commun entre les missions allouées à l'agrégation française, au Gao Kao et aux procédures de recrutement d'un BTS audiovisuel, qui relèvent d'objectifs différents d'un point de vue tant social que professionnel. En fait, ces modes de recrutement partagent de nombreuses similitudes : ils reposent sur un ensemble de gestes et de techniques communs qui fondent, dans de nombreux pays, "l'acte de sélectionner".
Le mérite s'impose comme l'un des discours centraux sur le sens de la justice sociale et, qu’en bonne rhétorique, il circule largement dans l'espace public. Le paradoxe est que toutes les recherches en sciences sociales sur l'étude des inégalités souligne le rôle des capitaux économiques (revenu, patrimoine immobilier) et sociaux (réseau d'interconnaissance, famille, etc.) Sur la distribution des positions sociales. Le mérite a ainsi tout d'une “sociodicée“, pour reprendre les termes de Pierre Bourdieu inspiré de Max Weber et de Leibniz : il est un mode de justification que l'on mobilise pour décrire l'ordre social et qui légitime du même coup les inégalités.
Être désigné comme méritant à l'école incite à croire au mérite.