Rencontre avec Anne Thiollier autour de son roman "La vie en Rouge" (Gallimard)
- Mais je te demande rien ! Si t'as pas envie, eh ben tu me dis rien ! [...]
- Ben, justement ! C'est parce que tu demandes jamais rien que je sens que tu es mon ami !
En fait, chacun semble avoir quelque chose de pas facile à dire.
(p. 109)
« Moi je peux pas imaginer où tu vit, mais, tu peut pas
-Comment ça?
-tous simplement, tu peut pas !
-Tu habites dans une vieille maison déglinguée, c’est ça ?
-Tu n’y est pas du tout. Tu peut pas, je te dit...
Yu Ting mange, dans le bol, le riz de son déjeuner, accroupie sur un tabouret, près du chat noir fatigué d'avoir poursuivi un criquet dans les branches du jujubier, et qui s'est endormi en milieu de la corbeille à ouvrage en bambou de la grand-mère, qui brode deux oiseaux rouges sur une semelle, dans le jardin plein de lumière de sa maison.
Quand on nous a dit que les cours s'arrêtaient, tout le monde a trouvé ça génial ! Plus de cours, plus de devoirs à faire à la maison ! Cette liberté nouvelle valait bien quelques efforts : il a fallu se mettre aux réunions politiques quotidiennes. Dans la salle où elles avaient lieu, quelqu'un avait écrit : "Les intellectuels puent !". On reprochait aux professeurs leur arrogance. Le président Mao lui-même avait donné l'exemple en déclarant publiquement : "Quel mal y a-t-il à ce qu'un élève s'endorme en classe, si le cours est ennuyeux ?". Les livres étaient méprisés. On allait désormais tout apprendre par la pratique, avec les ouvriers, les paysans et les soldats. (p. 94-95).
Pour le reste, j'étais totalement absorbée par le travail de ma main et de mes yeux : regarder et dessiner. Tant de moments à copier une herbe, à refaire indéfiniment les courbes des feuillages...
On était plusieurs centaines à marcher en ligne, avec notre hotte pleine de terre dans le dos, et la puissance de nos voix est impressionnante. On ses sentait faire partie de quelque chose de très fort, et qui nous portait. J'y mettais toute mon énergie ! Pourtant, chaque fois que j'arrivais au bord de l'eau pour vider mon grand panier, j'avais beau scruter le lac , je n'arrivais pas à voir s'agrandir les terres cultivables.
Mecontant qu'on ne s'occupe pas de lui,le petit garcon s'enerve,et on entend un craquement d'une dechirure:
-Tu arrache ma poche ?tu est fou ? mais qui va me racheter un chandail maintenant ? [...]
Dans sa lettre, il avait raconté à sa grand-mère ces choses étranges, mais ses parents l’avaient surpris. Ils avaient exigé de voir ce qu’il écrivait, et son père s’était mis en colère :
-Tu es tombé sur la tête ? Tu veux sa mort ? Si elle lit ça, elle va avoir une crise cardiaque !
Elle se fait suffisamment de souci pour nous ! Tu vas me faire le plaisir de recommencer sur un papier propre, d’abord, pas déchiré n’importe comment. Et puis tu vas lui dire que tout est beau, qu’on va bien, et puis c’est tout !
Les Chinoises, tu sais, c'est têtu !!!
eh bien, en fait.... tu n'est plus une petite fille et personne ne nous écoute. Alors, je peux te le dire. Ton Grand Père ne sait pratiquement pas lire et tes parents non plus. Je ne voulais pas leur faire sentir cette différence. Savoir lire, pour une fille, c'était encore plus rare à mon époque qu'aujourd'hui. Et tu sais que les hommes voient les femmes qui savent lire d'un très mauvais oeil. Mais moi, j'ai toujours considéré ça comme une chance. J'ai pu apprendre avec un parent lettré pauvre qui logeait au temple de notre village. Oh, pas très longtemps et puis j'ai peu pratiqué, ce qui fait qu'il y a beaucoup de fautes dans cette copie.