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Citations de Anni Kytömäki (16)


J’aurais préféré partir seul et couper tout de suite tout lien avec le monde. Deux cent kilomètres, c’est une longue distance à parcourir avec des cochers, à supporter leurs quintes de toux, leurs tentatives de conversation et leurs silences. Je serais bien parti pour Kaltio à bicyclette si Uggelvik n’avait pas jugé l’idée totalement insensée.
« On ne joue pas avec l’hiver, quoi qu’il se soit passé chez vous », a-t-il déclaré.
C’est pourquoi je sais que j’ai l’air de ce que je suis : un fuyard pour qui presque plus rien n’a plus d’importance.
Au chaud sous la couverture du traîneau, je regarde le paysage recouvert de neige jusqu’à hauteur de cheville. Finis les fermes prospères, les champs et les lisières de forêt grignotées par les bûcherons. D’immenses espaces s’étendent derrière les arbres. Je les ai d’abord pris pour des cultures, mais il y pousse des pins rabougris et des arbrisseaux recroquevillés dans le froid. Au printemps, quand les canards, les grues cendrées et les pluviers reviendront, elles résonneront de l’incommensurable registre du désir de vivre. Je ne supporterais pas non plus, alors, de me trouver là.
Nous faisons halte, et le silence me bouche les oreilles. L’air écrasé par les nuages de neige avale les sons, j’ai du mal à entendre les rares paroles du cocher, bien que nous soyons assis face à face. Je pense plusieurs fois être devenu sourd, jusqu’à ce qu’il se racle la gorge ou que des étincelles jaillissent du feu de camp. J’avale à grandes gorgées l’amer café bouilli. Aurais-je le temps de faire la sieste ? Mais le cocher se lève bientôt, rince sa tasse dans la neige et va vérifier le harnais du cheval. Les partis métalliques cliquettent.
« Regardez », dit-il.
Je termine mon café et obéis à l’injonction. Une souche grise se dresse dans la tourbière.
« Il y a un étang, là-bas. Poissonneux. »
Afin de secouer ma torpeur, je vais voir. Le gel a solidifié la tourbière, mais l’eau qui sort des mousses colore de noir l’empreinte de mes pas. Je m’arrête devant la souche. Derrière s’étend en effet un petit lac, un ovale où la neige est moins haute qu’alentour. La pointe du vieil arbre mort brisé à hauteur de poitrine a été sculptée en forme de nageoire. La surface est craquelée de rides verticales. Le bois est chaud et glissant.
Je retourne au traîneau où le cocher a déjà pris sa place. Je hoche le menton en direction du lac.
« Vous pouvez m’en dire plus ? »
Je me frotte les mains. Le bois y a laissé des traces huileuses.
« Non, je suis du village.
- Ce ne sont pas les habitants qui l’ont sculpté ?
- Ce n’est pas dans nos habitudes. Ce sont des Lapons.
- Le bois était bizarre, gras.
- Quelqu’un le nourrit s’en doute encore. C’est du saindoux, je pense, ils ont coutume de l’enduire. »
Je m’installe sous la couverture. Le cocher ordonne au cheval de se mettre en route. Les contours de son dos disparaissent peu à peu dans le crépuscule.
« Ca se dégage, constate-t-il par dessus son épaule. On arrivera avant la nuit à Sodankylä. »
Les nuages se déchirent et l’air fraîchit. Je tire ma chapka sur les oreilles. Une à une, les étoiles les plus hautes apparaissent, soleils sûrement déjà éteints, nous éclairant d’une lumière qui n’existe plus.
Je souffle sur mes moufles et gratte la glace de mes sourcils. Les patins du traîneau crissent, preuve que nous touchons encore terre. Le cosmos est clair et profond, paré d’argent et du vert d’une aurore boréale. Nous y flottons. Le monde entier flotte. La sculpture de bois se dresse dans les tourbières parce qu’il faut pouvoir s’appuyer sur quelque chose face à l’infini du ciel.
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Il n'y a rien de plus clément qu'une pluie nocturne. A travers la brume du sommeil, elle m'ordonne de m'enrouler plus serré dans ma couverture, telle une larve dans son cocon. Ma métamorphose ne presse pas.
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Le sentier court sur les crêtes, plonge entre les sapins cassés par l'hiver des vallons, remonte vers des pins contournés. Par moments, le monde s'ouvre à gauche, sur le lac qui tente de paraître plus vaste que la mer et, derrière, la taïga bleutée. Les forêts lointaines sont toujours bleues, même les arbres à peine vieux de dix ans repeuplant les essarts ont la même teinte que les profondes forêts intouchées. Les faibles yeux humains pardonnent beaucoup.
Enfin le sentier dévale avec détermination la pente. Les sapins drapés d'usnée portent le ciel sur leurs épaules et adoucissent la lumière qui filtre sur nous. Dans l'épais sous-bois brillent des myrtilles presque mûres. Nous nous hâtons, chassant à grands gestes les moustiques. La forêt respire l'humidité, le sentier est par endroits aussi boueux qu'au printemps. Une clarine tinte au loin.
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Ses cheveux couleur de sentier tapissé d'aiguilles de pin lui couvrent le dos telle une fine toile d'araignée. La mer s'est débarrassée de ses glaces la semaine passée. Le paysage est encore nu, mais le soleil chauffe l'air vaporeux.
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Les nuages se déchirent et l'air fraichit. Je tire ma chapka sur mes oreilles. Une à une, les étoiles les plus hautes apparaissent, soleils sûrement déjà éteints, nous éclairant d'une lumière qui n'existe plus.
Je souffle sur mes moufles et gratte la glace de mes sourcils. Les patins du traineau crissent, preuve que nous touchons encore terre. Le cosmos est clair et profond, paré d'argent et du vert d'une aurore boréale. Nous y flottons. Le monde entier flotte. La sculpture de bois se dresse dans la tourbière parce qu'il faut pouvoir s'appuyer sur quelque chose face à l'infini du ciel.
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Un coup de tonnerre claque, brutal, tout près. Elle se jette à terre et se recroqueville pour endiguer la douleur - qui ne vient pas. L'air irrigue ses poumons, ses jambes lui obéissent, la foudre est finalement tombée plus loin. Elle se relève, se fraie un chemin à travers les broussailles de la rive. Sur le grand lac flotte le reflet du soleil couchant. Elle entre dans l'onde et nage.
Le tonnerre gronde à nouveau. Elle plonge presque entièrement la tête sous l'eau et aborde une première île par son côté noyé dans l'ombre. Sur les rives les plus proches, ses poursuivants s'interpellent. La foudre se déchaine dans le ciel sans nuages. Elle s'aplatit dans les mousses.
Un instant plus tard, les flots clapotent. Dans la pénombre, elle distingue un canard qui se débat près du bord. Le soleil a disparu, l'orage s'est apaisé. Elle se risque à s'en approcher. Il est gravement blessé et tente, à l'agonie, de gagner la terre ferme.
A la vue du canard à l'aile brisée, elle comprend qu'elle leur a elle-même échappé. Pour le moment.
Presque avec tendresse, elle le sort de l'eau. Il vit ses derniers instants sur une pierre plate et la le temps de voir quelques étoiles avant qu'elle ne lui donne le coup de grâce.
(Incipit)
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Je perçois jusque sur ma langue la puissante odeur des lédons. La forêt guette les trilles du premier rouge-gorge. Il fait froid, plus froid qu’au cœur de la nuit, le monde se fige pour voir si le soleil se lèvera ou pas. Planté à côté du pin mort de la tourbière, je tente de sortir de mon immobilité. Les souvenirs me montent aux yeux, coulent en larmes. Surgissent soudain la touffeur d'une chaude journée d'été, mes pieds dans le chargement de sable d'un tombereau, la main de père qui m'ébouriffe les cheveux, les bras solides qui déposent par terre l’Erik de sept ans. Comment s'appelait cet homme ? Comment a-t-il pu aller si loin dans l'obscurité ? s'interrogeaient les boquillons autour du feu de camp. Je m'installe entre eux et, ensemble, nous attendons la réponse du chamane. Les yeux de Juhana reflètent les flammes qui ont enflé en un puissant brasier, protection illusoire contre les yeux écarquillés de la forêt.
« Ne jetez jamais un seul regard à une fée des bois. Et ne partez jamais à sa poursuite. Vous ne reviendriez pas. »
Ma nuque palpite. Un premier souffle de vent caresse la forêt, un tremble murmure quelque part entre les sapins. Quelques feuilles tombent sur le sol mouillé de neige fondue. Des pas légers font crisser le givre des mousses, une main écarte les branches. Je m'étire et me force à me retourner.
(p. 113)
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J'entends derrière moi le doux gazouillis d'un rouge-gorge. Bientôt d'autres chants s'allument. Je les ai tous déjà entendus. Je presse mes mains sur mes yeux et tente de me rappeler le nom de chaque oiseau, mais décide ensuite que cela n'a pour l'instant aucune importance. On se rappelle plus longtemps les sons que les mots. La forêt se rapproche en chantant. Ils sont tous les deux là, papa et Verner Linnas. Papa s'attarde un peu, il compte les couples d'oiseaux. Ça va ? me lance-t-il tout bas, et je prétends que oui - j'ai maintenant des bottes avec lesquelles je peux franchir tous les bourbiers, ne t'inquiète pas.
(p.473)
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Le pan de ciel de la fenêtre s'ouvre sur le cosmos, des aurores boréales dansent au-dessus de la capitale écrasée de chaleur. Les mouettes se muent en harfangs des neiges et la façade de l'immeuble d'en face en une paroi rocheuse d’où un gerfaut, perché sur une corniche, scrute le monde d'un œil farouche. Le triste bouleau de la cour se pare d'un robuste tronc tortueux toisonné de lichen. Quand le moineau qui patrouille à son pied sautille, les ombres dessinent une tâche de couleur à la base de son cou et, dans son envol vers la cime de l'arbre, le transforment en gorge-bleue. Le gel tapi dans les profondeurs du vent d'été me transperce les tempes, fait périr de froid ma migraine et s'attaque au lancinant passé. J'écoute père sans que le fiacre noir au bas du perron d'Aspholm et la pierre tombale à côté de l'église obstruent la ligne du téléphone. Il parle d'une voix normale et familière. Et dit que tout va s'arranger.
(p.147)
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Au milieu de la pelouse encore terne se dressent de vieux érables, des chênes rugueux et des bouleaux à l'écorce craquelée. Dans un coin du jardin, un pommier mort gît au sol.

Harmajakari pense qu'il est bon pour les patients de voir toutes sortes d'arbres, dit papa. Des jeunes, des vieux, des sains, des malades.

Je regarde ces arbres semblables aux gens d'ici, le tronc percé de trous et l'écorce déchirée, rongés par les chancres et les polypores. Des êtres muets, repliés sur eux-mêmes, dans le seul lieu où ils aient leur place.

Quand je me suis promené dans ce jardin pour la première fois, je m'y suis senti en sécurité, poursuit papa. Ces arbres ont vécu bien plus de choses que n'importe quel humain. Au rez-de-chaussée, on débarrasse la table, le temps file. Papa ne remarque rien.

Juvonen a demandé un jour à Harmajakari s'il ne fallait pas abattre les arbres en mauvais état. Il lui a répondu qu'ici on n'exerçait de violence envers aucun être en mauvais état.

Harmajakari, au sourire si rare, qui cultive des roses et des arbres pourris. (P.623)
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Dans le vieux cimetière, personne n'a pris la peine de couper d'arbres depuis des lustres. […] Plus j'avance, plus les stèles sont rares et anciennes. On ne distingue plus les noms, le lichen a vaincu la mort.
(p.445)
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Le soir d'août s'obscurcit. Le médecin entre et s'en va presque aussitôt, me tapotant l’épaule au passage. Je lutte contre la panique et la vaincs. J'ai une mission. Lidia a les mains froides, en a-t-il jamais été autrement ? Je les enferme entre les miennes. Elle respire faiblement et me regarde depuis les profondeurs de l'étang.
« Veux-tu que nous allions nous baigner ? » lui dis-je à l'oreille, et je ferme les yeux avant que des larmes ne s'échappent.
L'ombre d'un pic noir traverse le ciel. Je m'avance au bord de l'Œil noir et entre dans l'eau sombre. Lidia m'attend. Nous nageons vers l'autre rive. Un oiseau vogue dans la brume, surement un plongeon catmarin. J'ai froid, trop froid. Je rebrousse chemin, sors de l'eau et me retourne pour regarder Lidia qui continue de nager, déjà loin. Un ruisseau s'ouvre entre les arbres, l'eau de l'étang s'écoule vers les profondeurs de la forêt. Lidia ne jette pas un regard en arrière. Derrière elle, la brume referme la brèche.
(p.367)
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Les airelliers crissent sous mes bottes. Ma bicyclette scintille fiévreusement dans la rare lumière du soleil, comme pour m'interdire de la quitter des yeux. Je lui tourne le dos et descends l'escalier des troncs d'arbre pourris et de touffes de végétation. Les mousses écoutent le sang qui bat dans mes plantes de pied, les branches me caressent les épaules. La forêt retient son souffle et m'ausculte.
Un oiseau s'envole du pied d'un sapin, se pose sur une basse branche. Je ne distingue, à contre-jour, que sa silhouette inhabituelle, évoquant celle d'un geai, mais il s'envole à nouveau, vers le ciel. Le soleil fait briller d'orange vif sa queue et ses ailes. Il lance un cri étrange, tenant à la fois du miaulement et du sifflement, et disparait.
Je poursuis mon chemin aussi silencieusement que possible. La lumière qui filtre entre les cimes épaissit l'air d'une brume presque impénétrable. Le clignotement désordonné des ombres m'oblige à m'abriter les yeux de la main. Je me presse les tempes du pouce et du majeur pour ne pas perdre l'esprit. Mieux vaudrait faire demi-tour, mais le sentier et la maison du chantre sont déjà trop loin.
D'invisibles fils d'araignée sortent des arbres, du sol et des rochers, s'enroulent autour de moi et, tels des ressorts, me tirent et me poussent en avant. Des bouleaux criblés de trous et des sapins écorcés par les pics s'avancent vers moi, s'écartent au dernier instant, frôlent mon chapeau de la pointe de leurs branches et me laisse passer. Mes pieds enjambent une source tranquille et un ruisseau babillant, me portent aux creux d'un vallon et sur la croupe d'une colline rocheuse. Je tente de me raccrocher au tronc bosselé d'un pin.
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Je pédale sur de petites routes longeant de grands lacs, traverse des villages centenaires, m’écarte sur des chemins de traverse, parcours les bois convoités par père sous un lumineux ciel d’automne ou dans la brume qui monte des vallons. (…) Il peut se passer des jours sans que je dise un mot. Je m’en inquiète au débute, puis plus du tout. Les mots ne font que ressasser les vieilles idées et empêcher l’émergence de nouvelles.
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Les pans de ciel entre les branches s'amenuisent, les arbres se solidifient. Ils n'ont rien de piliers. Qui donc a inventé cette comparaison ? Ils existaient déjà des millions d'années avant les premiers portiques, temples ou minarets. Ils sont la plus grande merveille du monde. Ils poussent sans bruit, à leur rythme, et, sans poser de questions, vous prennent sous leur aile, qui que vous soyez, à quelque moment que ce soit.
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Ces inscriptions sont destinées aux défunts. Pour les avertir qu'ils sont morts.
S'ils égarent par ici, il comprendra en la voyant qu'il doit retourner au cimetière.
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