Citations de António Ramos Rosa (186)
LA RESSEMBLANCE
Comme un sourire et un nuage,
deux figures dansent et s'effacent
réunissant le sommeil et le mouvement
dans le bref éclat presque animal de l'air.
Et riant, peut-être riant, s'agenouillant
et en étreintes disparaissant dans l'enfance
qui ne connaît qu'un seul jeu, la ressemblance,
elles soufflent une flamme dorée sur les champs
et dessinent sur eux des ombres transparentes.
Bataille de fourmis -- pur exercice
du plaisir de regarder la face vivante de la terre
où chaque grain minéral est une raison de vivre.
Il y a un incendie dans l'eau, un regard qui illumine
la pierre suspendue et les noces inachevées,
et l'arbre de la nuit couvre l'arbre du jour.
Qui verra d'autres yeux, qui entendra la nuit ?
La solitude mortelle du même et non identique.
Car un seul être meurt en chacun de nous.
L'incipit du dieu nu(l) est révélateur de toute la recherche d'Antonio Ramos Rosa :
J'écris peut-être pour maintenir l'ouverture de la source,
même si je ne peux la découvrir.
[...]
Ce n'est pas pour parler que j'écris, mais pour entendre.
[...]
J'accueille dans sa nudité douloureuse ce qui est sans nom ni figure.
(relevé sur site Ductus.fr/michelcamus)
Je t'écris avec l'eau et le feu. Je t'écris
dans la paix heureuse des feuilles et des ombres
Les évidences se construisent dans l’éclair
transparent qui les incendie
Elles s’aiment inviolées au cœur de la brise
et légères ne se condensent pas
dans le pur excès enivrant
Elles cessent et il reste encore l’écume de la joie
qui les a élevées au privilège scintillant
d’être le véhicule du tremblement
où l’être s’offre dans la nudité de sa surface
Sans confidences sans visions révélatrices
j’entre dans un domaine immédiat et sinueux
Un instinct animal me fait écrire dans la pénombre de l’écorce
Je m’inonde d’une lumière unanime Je vais à vous
Que ce que j’écris soit l’ignorante cime
du bien-être Que les bras et les genoux
disent l’indolence et le halo de sa lumière
Que la claire atmosphère scintille et se condense
dans le balancement du repos et l’éclat des phrases
Que les mots recueillent les ombres tranquilles
et le murmure des arbres et des eaux vives
Et que les senteurs du vent qui délivre et emporte
réavivent la jouissance d’être un amant de lumière
Je ne peux remettre l’amour à un autre siècle
je ne peux pas
même si le cri s’étrangle dans ma gorge
même si la haine éclate crépite brûle
sous des montagnes grises
et des montagnes grises
Je ne peux ajourner cette étreinte
qui est une arme au double tranchant
d’amour et de haine
Je ne peux rien ajourner
même si la nuit pèse des siècles sur mes épaules
même si tarde l’aurore indécise
je ne peux remettre ma vie à un autre siècle
ni mon amour
ni mon cri de libération
Non je ne peux ajourner le cœur.
Nous ne pouvons assumer les extrêmes impossibles
Notre sol est le seul qui ne soit pas à nous
Mais c’est là qu’il nous faut ouvrir notre chemin.
De chaque jour chaque heure chaque syllabe de couleur
Comme si le monde était nôtre ou que nous puissions le faire nôtre.
Ce que nous devons accueillir parce que c’est ce qui nous manque serait-ce l’épaisseur impondérable d’un instant dans le lien non réel mais d’un souffle possible ?
Peut-être faut-il s’en aller mais vers où ?
Comment pourrai-je m’abandonner à la nudité de cet autre qui étranger à moi est mon être le plus mien ?
Le corps serait-il un coquillage qui ne s’entrouvre jamais comme s’il retenait le cri d’une étoile le hurlement d’une hyène ?
Qui saurait vivre en bonne entente avec le feu comme s’il reposait dans une clairière de silence ? Comment prononcer avec une langue de sable les vibrantes voyelles des flambées souterraines ?
Jamais les vers ne seront rameaux de sang rameaux de temps
Comment pourraient-ils posséder le bonheur concentrique d’un corps quand toutes leurs veines sont soleil et mer ?
Serait-il arrivé le temps des fruits mélancoliques ou est-ce que l’hiver déchire inexorable la trame de sable en laquelle vacille notre fragile identité ?
Les mots se détournent de ce qui les excède ou veut les retenir mais ils veulent correspondre de tout leur brasier fragile à ce qu’ils ne savent pas mais pressentent par-delà leurs frontières silencieuses.
Si les mots s’en vont au-delà du sens c’est que leur désir est de revenir
à leur origine qui n’est rien qui est tout l’être au fond de son rien
Les mots s’étirent trop et sont tôt dispersés
dans un pays trop pareil à la lune
où ne souffle nul vent et où la nudité est immobile
Qui pourrait y chanter le printemps léger ou la luxuriante nostalgie de l’automne ?
Je vois au travers de la page les ombres du feuillage
et des nuages où lentement navigue l’inaction
C’est la matière suggérée que j’entends faire cingler
selon le mouvement lucide et vague du poème
Il vaut mieux ne pas être au monde ne pas obéir
aux règles d’un charroi féroce à cette inanité
monstrueuse des foules où tous divergent dissemblables
agitant la séparation l’annihilant la reconstituant
sans la magie d’une commune perspective de jouvence
Il vaut mieux déserter vers une oasis reculée
même vers un désert pour reprendre au début
l’immobile voyage ou dans un vide ou dans un centre
Le poème détruit avec sa quille verte
les illusions massives les croyances butées
afin d’aller trouver un espace habitable
où s’éclairent les traits subtils de la délicatesse
qui jadis ont formé le corps des voluptueuses déesses
celles qui souriaient jetant leurs feux ouvrant leur poitrine aux nuages
et maintenaient la constance fantasque d’un amour solaire
Je reconnais le vrai comme non-vrai et comme vrai
J’éclaire la fragilité lui donne les vertèbres d’un tigre somptueux
Je m’étends sur les dunes y allonge mon thrène
ainsi qu’un pur tissu que l’écume dentelle
J’ai peut-être tout perdu mais j’ai trouvé un espace habitable
où je peux commencer ce qu’au grand jamais je n’ai commencé
et qui sans commencer commence avec la vérité de sa libre illusion
Sera-t-il encore possible de bâtir un corps nouveau où l’univers en filigrane soit visible dans la passion d’être la source qui nous entraîne vers son horizon ?
Je voudrais dire,
je voudrais dire la nudité de ta peau,
la caresse des vents et la pluie sur tes épaules,
je voudrais toucher,
je voudrais te toucher,
je voudrais me trouver,
je voudrais étancher cette soif qui invente tant de noms,
je voudrais libérer la langue pour être ce monde.
Les mots ne vivent que de leur espace
tout comme nous
Nul ne les a au fond de lui nul ne les tient
Ils sont le clairvoyant printemps de qui vient à chanter
Ce qui nous éteint serait ce qui nous incendie ?
Le temps mûrit-il comme un fruit
Ou bien est-il un mouvement toujours identique et vide ?
La vérité jamais ne pourra être un terme
Mais une modulation des voix entre deux rives
D’un silence à un silence
Et nous serons en tous un seul le même et l’autre
Nous tracerons un arc de solitude aimante.
Pouvons-nous un jour trouver ce qui fut perdu, ce qui ne fut pas perdu, puis libérer l’espace du feu à travers l’ombre qui nous enroule comme une vague ?
Il est des mots soudains oscillants somnambules
d’autres qui laissent voir la nudité au lin de leur pudeur
certains qui ne sont rien que formes d’eau dessins de vent
Ils obéissent tous pourtant à une pulsation unique
que l’on dirait frémissement des veines sur la page
Mais s’ils ne sont que des lampes de sable avec un peu d’écume
en eux scintillera encore un pâle éclat solaire
pour illuminer l’agonie de leur naissance chancelante