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Citations de Antonythasan Jesuthasan (31)


...un jeune tamoul * qui débarquerait directement à La Chapelle ** se dirait qu’il est est à Mannar***ou à Vanni*** et qu’il s’est fait avoir par le passeur.

*Groupe ethnique Siri Lankaise
** Quartier de Paris
*** Villes du Siri Lanka où vivent les tamouls
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Je vois tous les jours des Jésus recroquevillés sur les trottoirs et dans les parcs de Bruxelles. J'ai parlé avec certains d'entre eux. Leur marche sur la Méditerranée houleuse est un miracle. Au cours des trois dernières années, quatorze mille autres Jésus ont été engloutis par les flots sous la gifle de l'eau salée.
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La femme qui tient un fusil dans la main droite tient, dit-on, la mort dans la main gauche. C'est vrai. Mais nul ne peut la toucher sans son accord. La mort d'une femme armée ne sera jamais synonyme de déshonneur. Toutes les autres sont des chutes ou des humiliations. La mienne devra faire face à l'ennemi, fièrement, sans baisser les yeux. Le sang qui coulera de mes blessures aura la couleur de mon âme. Les mentions « Mort héroïques » inscrites partout dans les cimetières des Tigres n'indiquent pas que nous sommes tombés, mais comment nous nous sommes dressés.
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Ma mère était la première debout. Elle se réveillait à 5 heures. Vous savez, sur l’île, les hommes partaient travailler très tôt, alors, les femmes se
levaient aux aurores pour préparer le thé. Il ne suffisait pas d’appuyer sur le bouton d’une bouilloire.
Sans gaz ni électricité, le processus prenait au moins
une demi-heure. Si j’étais réveillé, ma mère m’envoyait chercher du bois pour le feu. Je la revois, le
visage penché tout près des braises, les joues gonflées, souffler patiemment jusqu’à ce qu’une flamme
apparaisse, puis elle mettait la théière à chauffer.
Après le thé du matin venait l’heure de la
douche. Encore une fois, l’opération était un peu
contraignante, car il n’y avait pas l’eau courante.
Dès l’âge de cinq ans, je me lavais tout seul et faisais
mes lessives à la main. J’allais tirer l’eau du puits,
c’était long, le seau était lourd… mais mes parents,
comme tous ceux du village, avaient trop de travail
pour s’occuper de leurs enfants. Ensuite, il fallait
déjà partir à l’école.
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C’est un trait commun, je crois, à tous les habitants de territoires en guerre. Ce ne sont rien d’autre que des prisons géantes, et les personnes prises dans ces pièges-là pensent un peu comme des détenus. La guerre les rend prêts à tout pour survivre. Elle les conditionne, les façonne, les fait mendier, mentir, prier, se déshabiller, trahir et se justifier.
(p. 216, “Trois cent ans”).
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- Comme je me suis levé un peu tard, j'ai dû foncer pour prendre le bus. Dans ma précipitation, j'ai frôlé un passager corpulent qui m'a lancé : " Dégage, espèce de diable noir !" Tout le monde nous regardait, mais personne ne disait rien. Je suis resté calme et j'ai répondu assez fort pour que les autres entendent : " Oui, monsieur, je suis noir ! Mes ancêtres étaient noirs, je suis né noir, je mourrai noir. Mais vous, monsieur ? Présentement , vous êtes blanc. Mais quand vous vous mettez en colère, vous devenez rouge, quand vous tombez malade, vous devenez vert, et quand vous mourrez, vous deviendrez bleu. Alors que moi, je ne changerai jamais de couleur !"
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Je m'étais jurée secrètement de ne jamais avaler la capsule de cyanure que je portais au cou. Je refusais d'être absorbée par le poison comme la vaste forêt par une petite étincelle. Cette capsule était un raccourci vers la mort. Moi, je voulais mourir la tête haute, comme la fille du ministre
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Le comité central était à présent parfaitement conscient que le condamné n'avait aucune intention de s'enfuir. Ils parvinrent à une décision après une intense réflexion: ils devaient à tout prix, quitte à engager leur tête, trouver une arme et se débarrasser de ce type.
( Le chevalier de Kandi)
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Écrire cette histoire me rend fou. Ce qu'il pense à chaque instant, ce qui l'inquiète, ce qui le met en joie - rien n'est clair. Et comme si ce n'était pas assez, ses intuitions tirent l'histoire dans d'autres directions.
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Je n'ai plus envie d'habiter dans un pays où la démocratie n'existe pas. Sans liberté d'expression, comment pourrais-je vivre désormais?
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La plupart des enseignants m’aimaient bien, car je
me portais toujours volontaire pour participer aux
activités facultatives comme la danse ou le théâtre.
Dès huit ou neuf ans, j’ai joué dans les pièces de
l’école. Le monde du spectacle m’a toujours attiré.
Une des rares attractions au village, c’était le koothu : un art traditionnel tamoul qui mélange théâtre,
danse et musique. Les représentations de koothu
pouvaient durer six heures, les acteurs jouaient toute
la nuit sur la place centrale… J’adorais ça !
J’avais beau être un élève sérieux, j’étais aussi
un petit garçon très bagarreur et j’étais souvent
puni par mes professeurs. D’une manière générale,
les échauffourées étaient fréquentes. Entre nous,
enfants de l’île, en cas de différends, on ne parlait
pas, on frappait tout de suite. Il en était de même
entre adultes : un simple mot de trop, une insulte
pouvait entraîner un coup de couteau. Mon père
était un bon exemple dans ce domaine… Il se battait pour un oui ou pour un non et frappait aussi
ma mère. J’avais peur de lui. Encore aujourd’hui,
alors qu’il est mort en 2012, son souvenir continue
de me terrifier !
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Les juristes, avec leurs
longs manteaux noirs, c’étaient comme des héros
pour nous. D’ailleurs, les politiciens du Sri Lanka,
à cette époque, étaient tous d’anciens avocats…
Alors, évidemment, le premier travail que j’ai voulu
faire a été celui-là. Je voulais devenir quelqu’un
d’important.
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Les planches et le bâton
Dans la petite école d’Allaipiddy, il y avait un
professeur par classe qui nous enseignait le tamoul
– seconde langue officielle du pays –, l’anglais,
encore très parlé sur le territoire depuis la fin de
la colonisation britannique, ainsi que des notions
de mathématiques, d’histoire-géographie, et un peu
de sport. On apprenait aussi à chanter et à danser sur de la musique folklorique. Le directeur a
été mon professeur pendant deux ans. C’était un
homme élégant, gentil et terrible à la fois. Comme
tous ses collègues, il n’hésitait pas à donner des
punitions corporelles à la moindre erreur. Il avait
toujours un bâton, une sorte de longue canne de
bois, et s’en servait pour nous frapper durement.
Pourtant, nous le respections beaucoup. Professeur,
c’était un bon métier ! Ils travaillaient pour le gouvernement et gagnaient bien leur vie. Du moins, ils
touchaient un salaire à la fin de chaque mois, ce
qui n’était pas le cas de la plupart des hommes du
village, fermiers ou pêcheurs. Les professeurs, eux,
portaient des chaussures…
Un autre métier qui nous faisait rêver était celui
d’avocat. Lorsque les gens du village avaient un
problème, ils allaient en ville pour régler leurs
affaires et revenaient en parlant de leur intercesseur
comme d’un dieu. « Cet avocat est incroyable… »,
les entendait-on répéter.
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Le Sri Lanka était dirigé par un gouvernement
socialiste, mais, dans les années 1970, cela n’avait
pas le même sens qu’aujourd’hui. C’était la guerre froide.


le monde était divisé en deux blocs : ceux qui
suivaient les États-Unis et ceux qui étaient du côté
de la Russie. Nous étions dans la seconde catégorie.
C’est pourquoi il y avait une restriction importante
sur tous les produits étrangers, en particulier ceux
qui venaient d’Occident. Pourtant, certaines denrées importées étaient indispensables à notre quotidien, comme la farine, le pain, les lentilles, le lait en
poudre pour les bébés, ce genre de choses. Chaque
village avait son « magasin gouvernemental » avec le
strict nécessaire, mais il n’y avait aucune autre boutique. Pour s’habiller, les enfants avaient en général
droit à une tenue complète par an. Ainsi, chaque
hiver, pour Noël ou Divali1
, la fête des lumières, nos
parents allaient au magasin gouvernemental chercher
de larges pans de tissu que l’on apportait ensuite
à la boutique du tailleur. Il les découpait et créait
des vêtements colorés. Ce n’était pas de la bonne
qualité, mais il fallait que ça tienne toute l’année.
Heureusement, mon école n’imposait pas de tenue
réglementaire. L’uniforme était un luxe réservé aux
écoliers des grandes villes. Quant aux chaussures,
on ne les sortait que pour les très grandes occasions. Seuls les plus riches se chaussaient pour aller
en ville ou se rendre à l’église, mais au village tout
le monde se baladait pieds nus.
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Nous avions beau appartenir à une haute caste,
cela ne nous empêchait pas de vivre dans la pauvreté. Il faut comprendre que la hiérarchie des
castes n’a pas de rapport direct avec la richesse,
surtout au Sri Lanka qui est un pays très pauvre.
Certaines années, on n’avait pas de quoi payer les
manuels scolaires. La misère était partout. Combien
de fois suis-je allé à l’école sans manger ? Aujourd’hui
encore, quand je pense au Sri Lanka, la sensation de
faim me revient immédiatement. Une fois, avec ma
bande de copains (Mohan, mon meilleur ami, mais
aussi Siva, Sathiyan, Radha et Ravi), nous nous baladions à travers le village, le ventre vide, quand nous
nous sommes arrêtés devant le jardin d’un voisin.
Les manguiers et les cocotiers pliaient sous le poids
des fruits. On s’est regardés une seconde, puis on
s’est faufilés dans le jardin en rigolant pour se servir
allègrement sur les arbres. On a bu l’eau des noix
et mangé les mangues fraîches. Par cette chaleur,
c’était tellement bon ! Je me souviens encore du
voisin, le lendemain, qui criait : « Qui a fait ça ?
Qui ? » Ils n’ont jamais trouvé les coupables.
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Le système des castes
étant plus important que la religion, mes parents
m’ont envoyé à l’école hindoue, afin que je fréquente d’autres enfants de mon rang…
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L’école commençait à sept ans. Tous les matins,
les enfants partaient à pied en petits groupes. Les
cours s’étalaient de 8 heures à midi. Après quoi,
on rentrait à la maison pour le déjeuner. Nous
mangions le même plat chaque jour : du riz et du
poisson, avec parfois quelques petits légumes cuisinés en curry. La viande était très chère, alors elle
était réservée pour les repas de fête, deux ou trois
fois par an. Nous n’avions école que le matin, que
pouvions-nous faire après ? Certainement pas rester à la maison : elle était minuscule ! C’était une
petite pièce sans fenêtres, il n’y avait pas de place, pas de lumière, pas d’air… On dormait à sept
dedans. Mon père, en revanche, passait souvent la
nuit dehors, couché à même le sol dans le jardin.
Beaucoup de gens faisaient cela, à cause de la chaleur et par manque de place. Dès 8 heures du soir,
tout le village était endormi. Vous savez, l’huile des
lampes coûtait cher, alors, par souci d’économie,
elles n’étaient en général allumées qu’entre 18 et
20 heures, puis on éteignait et tout le monde allait
se coucher.
Allaipiddy comptait environ cent cinquante maisons, regroupées en fonction des différentes castes1
,
comme en Inde. Chaque caste avait une zone réservée, et les familles restaient entre elles. Même les
enfants ne jouaient qu’avec ceux de leur rang. Ils
n’étaient pas tous en âge de comprendre, pourtant
cela se faisait naturellement, car l’éloignement géographique entre les quartiers ne permettait pas de se
mélanger. Le système de castes s’appliquait partout :
à l’école, à l’église, dans les temples… Parfois, cela
engendrait des situations absurdes. Par exemple, j’ai
dû étudier dans une école hindoue, alors que j’étais
catholique ! En effet, 99 % des hindous étaient de
haute caste, tandis que les chrétiens appartenaient
pour la plupart à une basse caste.
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Nous n’achetions pas de jouets, pas même des
ballons, trop chers pour nous. Pour nos parties de
football, nous fabriquions un semblant de balle en
enroulant de la fibre de noix de coco, ça ne marchait pas aussi bien, mais ça faisait l’affaire. On
aimait bien aussi jouer au gendarme et au voleur,
vous connaissez ? Parfois, le soir, je dessinais, mais
mon activité favorite était d’écouter la radio. Il n’y
avait que deux stations qui diffusaient principalement de la musique indienne – souvent tirée de
films Bollywood –, et des pièces radiophoniques en
langue tamoule. Je connaissais par cœur les airs à la
mode, j’attendais avec impatience les informations,
et même les publicités sonnaient joliment à mon
oreille. La radio fonctionnait en continu chez nous,
comme dans toutes les maisons de l’île. On avait
beau ne recevoir que deux chaînes, cela n’empêchait pas les habitants de vouer un véritable culte
à leurs transistors. Ils les emportaient partout à la
ville comme aux champs.
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Chapitre 1
Enfance
Le goût des mangues fraîches
Je suis né le 18 novembre 1967 dans le village
d’Allaipiddy au Sri Lanka, sur la petite île de Velanai : une étroite bande de terre de quatre kilomètres
de large recouverte de rizières et de forêts tropicales. C’était un endroit paisible, proche de Jaffna,
la capitale de la province du Nord. Autour de ma
maison, il n’y avait que des rizières et des palmiers,
pas de voitures ni de routes. Les gamins de trois ou
quatre ans se promenaient seuls dans la rue, ils ne
risquaient rien, car tout le monde se connaissait et
tout le monde savait qui était le fils de qui. C’était
comme si tout le village gardait un œil sur eux. Les
habitants d’Allaipiddy étaient des gens simples. Ils
étaient peu instruits – la plupart ne savaient pas
écrire –, mais ils étaient honnêtes. Il régnait au village un véritable esprit d’entraide.
Quand je repense à mon enfance, la première
image qui me vient à l’esprit est celle de la mer. Du
plus loin que je me souvienne, j’ai toujours aimé
l’eau : à trois ans, je savais nager, et en grandissant,
avec tous les gamins du village, nous passions notre
temps à nous baigner et à nous amuser sur la plage.
Nous n’avions pas de jeux vidéo ou de télévision…
Sur l’île, il n’y avait même pas l’électricité !
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J’ai tant de noms que je me demande parfois qui
je suis. Qu’est-ce que notre prénom dit de nous ?
Quelle part de notre identité représente-t-il ? Eswaran, Antony, Manyan, Shoba… Je réponds à chacun
d’eux, chacun est une partie de moi. Mes parents
aimaient bien « Eswaran », mais ce prénom hindou
n’aurait jamais été accepté par un prêtre chrétien.
Ils me baptisèrent donc « Antonythasan », tout en
m’appelant « Eswaran » dans l’intimité du foyer.
Adolescent, je me suis engagé dans la guérilla séparatiste tamoule sous une fausse identité, « Manyan ».
Bien plus tard, réfugié en France, je suis devenu
écrivain. Alors j’ai utilisé un pseudonyme car, même
en France, écrire ce que l’on pensait de la situation
au Sri Lanka pouvait être dangereux à l’époque.
J’étais dorénavant « Shobasakthi », alias Shoba, un
nom d’origine sanskrit dont la signification évoque
un grand pouvoir… Récemment, j’ai eu cette opportunité incroyable de jouer le premier rôle dans un
film de Jacques Audiard et je suis devenu aux yeux
du monde « Dheepan ». Oui, j’ai plusieurs identités
et plusieurs vies : je suis un écrivain, un ex-guérillero,
un réfugié, un acteur, tout cela à la fois. Je suis plusieurs hommes dans un seul corps. Aujourd’hui,
Antonythasan Jesuthasan n’est plus qu’un nom
d’état civil. J’ai décidé de m’appeler Shoba.
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