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Critiques de Anuk Arudpragasam (24)
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Un passage vers le Nord

Ce n'est pas fréquent , même voire rare , d'avoir entre les mains un roman qui nous raconte le Sri Lanka.

Anciennement Ceylan , le Sri Lanka reste lié géographiquement à l'Inde du Sud. Juste un isthme sépare l'ïle du sous continent indien. Cette proximité avec l'Inde fait que le Nord du Sri Lanka est peuplé de Tamouls , originaire du Tamil Nadu l'une des provinces du Sud de l'Inde. Les Tamouls vivants au Sri Lanka sont de religion hindou. Cette religion existait bien avant l'arrivée du bouddhisme dans l'ïle.

Depuis que le Sri Lanka a obtenu son indépendance de la grande Bretagne en 1948 les relations entre la majorité Sri Lankaise et la minorité tamoule sont difficiles. Cette tension a conduit à la formation de groupe demandant l'indépendance des Tamouls et du Nord et Nord Est de l'Ile. En 1976 fut crée le Mouvement des Tigres de libération de l'Eelam Tamoul ( LTTE ) et appelé plus succinctement les Tigres du Tamoul.

Une guerre civile féroce a ensanglanté le pays et à pris fin en 2009.

Ceci longuement posé , il est plus facile de mettre en place la trame du roman.

La guerre civile est terminée.

Krishan est un jeune étudiant qui a terminé ses études en Inde à New Delhi. Il est de retour chez sa mère à Colombo et avant d'entamer sa vie professionnelle , il souhaite aider la population du Nord de l'ile qui a été traumatisé par la guerre civile. Il se met au service d'une ONG locale.

Il revient chaque fin de semaine chez sa mère à Colombo. Celle-ci vit avec Appama ,sa mère et grand mère de Khrishan.

Appama est de santé déclinante et requerra à terme l'aide d'une soignante.

Lors de l'un de ses séjours dans le Nord il a rencontré Rani , femme d'un certain âge qui accepte de devenir aide soignante auprès d'Appama.

Rani fait des retours réguliers dans son village du Nord.

Lors de l'un de ces retours , Krishnan et sa mère vont être informés que Rani a été retrouvée morte au fonds d'un puits.

Krishan souhaite assister aux funérailles de Rani et entame un long voyage en train vers le Nord du Sri Lanka.

Ce voyage sera un temps de réflexion , de calme , de retour sur lui même et de lien avec Rani.

Que penser d'un étudiant qui vit à New Delhi loin de son pays et des affres de la guerre civile.

Pourquoi être privilégié alors qu'une partie de la jeunesse est au prise avec la guerre.

Quel devoir de mémoire Krishan doit il maintenir alors que Rani a perdu son mari et des deux garçons durant cette guerre civile.

A partir d'une écriture sensible, empathique et philosophique , l'auteur , Anuk Arudpragasam nous bluffe par par le portait qu'il nous dresse du Sri Lanka , de sa jeunesse et de son avenir.

Que ce soit l'intime ou plus prosaïquement le général , son écriture détaillée , très précise nous entraine au cœur des sentiments ou au cœur des rites des funérailles hindous avec une grande sensibilité.

Pour avoir découvert il y a une dizaine d'années le Sud de l'Inde et le Sri Lanka , j'ai retrouvé dans ce roman " Un passage vers le Nord " des émotions qui m'avaient traversé.

Une très belle découverte.

Merci à la Masse Critique de Babélio et aux Editions le Bruit du Monde pour l'envoi de ce livre.
Lien : http://auxventsdesmots.fr
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Un passage vers le Nord

Le deuxième roman de Anuk Arudpragasam n'est pas écrit à la première personne mais en porte toutes les caractéristiques, en un monologue ininterrompu et méditatif. Un passage vers le Nord n'est manifestement pas un livre pour ceux qui aiment le suspense, l'action et l'enchaînement des situations. Constitué de longues phrases, dans un style très travaillé (félicitations à la traductrice, Dominique Vitalyos), le livre explore les pensées et les sensations de son héros, Krishan, alors que la guerre civile au Sri Lanka s'est achevée depuis peu de temps, en laissant des séquelles irréparables au sein de la communauté tamoule "perdante" et décimée, à laquelle appartient Krishan, bien qu'il n'ait pas participé directement au conflit. C'est néanmoins un jeune homme hanté par les horreurs de la guerre que décrit l'auteur, et dont il ne pourra que difficilement se libérer. Comme l'étreinte d'un boa constrictor, la prose d'Arudpragasam ne donne que peu de place pour respirer, fourmillant de détails psychologiques, dans une contemplation active, si l'on ose dire, cherchant sans arrêt à approfondir la réflexion de son personnage principal, y compris dans l'évocation d'une histoire sentimentale de son proche passé et surtout de la mort accidentelle (ou non) d'une femme traumatisée par la perte de ses deux fils et qui s'est occupée de sa grand-mère. Un décès qui l'amène de nouveau à voyager vers le nord du pays, pour des funérailles aux allures de cérémonie de deuil d'une population entière. On ne peut nier la qualité du texte et les informations précieuses qu'il apporte sur cette guerre atroce mais c'est un roman exigeant par son côté obsessionnel, qui ne s'autorise aucune once de légèreté.
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Un bref mariage

Il n'est point besoin d'écrire Guerre et paix ou Tandis que j'agonise (par exemple) pour toucher du doigt, le plus profondément qui soit, la précarité et en même temps la complexité de la condition humaine. Le jeune auteur sri lankais Anuk Arudpragasam réussit ce prodige dans une histoire simple, sur vingt-quatre heures , dont la densité et l'épaisseur laissent pantois. Le récit ne quitte pas d'une semelle Dinesh, 20 ans, qui depuis des mois n'en finit pas de fuir la guerre, passant d'un camp de réfugiés à un autre, côtoyant l'horreur au quotidien, et perdant peu à peu son humanité et tout sentiment. Il suffit de la proposition d'un vieil homme de contracter un mariage avec sa fille, afin de protéger celle-ci, pour que, l'espace d'un temps réduit, Dinesh oublie l'animalité qui prenait possession de lui. Un bref mariage n'est pas un livre qui se dévore avec avidité, il se déguste par petites lampées dans une narration hypnotique et hantée comme un film de Weerasethakul. Le meilleur exemple est le chapitre où le héros du roman se lave nuitamment près d'un puits. Sur trente pages, il n'y a rien d'autre que la description de ce bain qui symbolise le retour à la vie et au désir d'un homme accablé par le malheur et l'inéluctabilité de son sort. Peu après, à l'opposé de la tendresse qui se dégageait de ce passage, un nouveau chapitre relate un bombardement d'une violence infinie qui dit toute la sauvagerie d'une guerre aveugle. Tout l'art de Arudpragasam est contenu dans ce mélange de sensations narrées de façon subtile et lumineuse, lente aussi, il faut le dire, raison pour laquelle il convient de faire montre de patience pour déguster le livre à sa juste valeur. Et pourtant, le style de l'auteur n'est pas exempt de répétitions avec un usage systématique d'adverbes. Le terme "Evidemment" revient à peu près toutes les cinq pages et cela ne peut être une simple coïncidence. Il est comme intrinsèque à la voix intérieure de Dinesh qui, sans arrêt, remet en question tous ses actes, même les plus banals, à l'aune d'une existence dont le passé a cédé à l'oubli et où l'avenir semble inexistant. Le lecteur se trouve immergé dans les pensées du jeune garçon et n'a d'autre choix que de le suivre dans ces heures tragiques puis douces, pour seulement un instant, où le seul acte de survie demande une énergie incommensurable. Inutile de dire que le nom (difficile) de Arudpragasam est à retenir pour tous les amateurs de littérature.
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Un passage vers le Nord

A l'occasion d'un bien long voyage de 7 heures dans le train qui l'emmène de Colombo au sud jusque dans la région de Jaffna au nord de son île natale, le Sri Lanka, puis de 2 heures de bus pour rejoindre le petit village, but de son voyage, Krishnan un jeune sri-lankais pense à ceux qu'il connaît et à son propre itinéraire de vie.

Lui qui a eu la chance d'être épargné (il a « seulement » perdu son père décédé dans un attentat) par la terrible guerre qui a opposé singhalais et tamouls les deux principales communautés pendant près de 30 ans et faisant des milliers de morts dans la communauté tamoul persécutée par un gouvernement singhalais qui a été accusé par l'ONU d'être responsable de crimes contre l'humanité.

Sa famille aisée a réussi à l'envoyer en Inde pour y faire des études universitaires alors que dans le même temps son frère partait pour Londres où vit une partie de sa famille qui s'y est exilée.

Mais Krishnan après avoir rencontré Anjum une jeune militante dont il est tombé éperdument amoureux, s'est enfin intéressé au terrible sort de son île.

Il a donc décidé d'interrompre ses études et de quitter Delhi pour revenir dans le nord du Sri Lanka travailler pour une ONG qui prend en charge les victimes de cette atroce guerre civile.

C'est là-bas qu'il va rencontrer Rani une femme dont les 2 fils ont été tués pendant la guerre, et qui y a laissé sa santé mentale.

Krishnan dont la santé de sa grand-mère est déclinante va proposer à Rani de venir l'assister en qualité de garde malade, et à son grand étonnement Rani va accepter de quitter le nord de l'île pour venir à Colombo.

Mais voilà que Rani qui était aller visiter les siens vient de trouver la mort dans d'étranges circonstances.

Krishnan va donc entreprendre ce long voyage pour aller au nom de sa famille rendre hommage à Rani et assister à ses funérailles.

Très beau livre qui sous prétexte du voyage intérieur de ce jeune homme, nous ouvre les yeux sur un conflit méconnu mais qui a été d'une cruauté indicible.

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Un passage vers le Nord

Très beau roman contemplatif et introspectif.

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Krishan travaille dans une ONG à Colombo, il tente d'aider les habitants à se remettre des traumatismes de la guerre civile. Le roman commence par un appel, où il apprend que Rani, la femme qui s'occupait de sa grand-mère est décédée. Cet appel est le début de divagations philosophiques, de retours dans le passé. Le souvenir de son ancienne amante, Anjum, revient le hanter, il retrace leur histoire d'amour à l'aide de nombreux flashbacks. Il narre aussi l'histoire de Rani, cette femme tombée dans une profonde dépression après la perte de ces deux jeunes garçons. Ces deux figures féminines lui permettent d'exposer la série d'événements dramatiques qui a touché son pays durant la guerre civile, les graves traumatismes qui en ont découlés et les nouveaux défis qui attendent ce pays.

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L'auteur a une écriture magnifique, simple mais qui décrit à merveille la psyché humaine, chaque réflexion, chaque parole de Krishan nous parle et on ne peut que se sentir proche de lui, se sentir compris.

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C'est un roman profondément humain.

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Un bref mariage

Il faut assurément beaucoup de talent pour accompagner pendant 5 pages la defecation d'un jeune homme dans un camp de réfugiés pendant que tombent les bombes. Ou pour assister, durant une trentaine de pages, à sa toilette nocturne au bord d'un puits alors que sa nouvelle épouse dort dans une petite clairière.



Anuk Arudpragasam, un jeune auteur de 25 ans originaire du Sri Lanka, s'acquitte à merveille de cette tâche. Dans un premier roman d'une rare intensité, il raconte 24h de la vie de Dinesh, un jeune réfugié repoussé de camp en camp par la guerre.

Après avoir perdu sa mère, il aide à transporter les mourants à la clinique de fortune et les morts à la fosse commune. Dans un état d'hebetude, il côtoie des enfants amputés, des membres dispersés et des corps déchiquetés.

" Une fois, après un bombardement, Dinesh avait vu un homme au bras amputé errer comme à la recherche de son membre manquant : il ramassait les différents avant-bras qu’il trouvait par terre et essayait chacun d’eux comme s’il s’achetait de nouveaux vêtements, faisant une moue insatisfaite chaque fois que la taille ou la couleur de peau ne correspondait pas."



L'auteur n'épargne pas au lecteur les horreurs de la guerre, mais ce qu'il s'attache à suivre, ce sont toutes les vérités du corps dans ce qu'il a de plus prosaïque mais aussi de plus noble. Ainsi verra-t-on Dinesh reprendre possession de son corps en mangeant, en urinant, en le lavant, en respirant ou en éprouvant du désir. En se reconnectant à chacun de ses organes, il exprime la dévotion pour un corps en péril et tous les efforts à accomplir pour conserver son humanité.

Dans ces moments d'intimité avec son propre corps, il exprime davantage la violence politique et nous fait ressentir l'horreur viscérale de la guerre.



Le mariage arrangé de Dinesh et Ganga devrait manquer de romantisme, surtout qu'il est entaché d'un fatalisme bien peu attirant " Les choses arrivent, voilà tout, il nous faut les accepter. Le bonheur et la tristesse sont réservés aux gens qui peuvent contrôler ce qui leur arrive."

Malgré cela, la rencontre des deux jeunes gens transmet tous les possibles et rend magique cette nuit partagée. Car il y a bien plus dans cette mécanique du désir, qu'une simple pulsion biologique.

Toute la poésie de cette nuit est contenue dans de petits moments d'une exquise tendresse : une main effleurée, une respiration plus rapide, la chaleur d'une hanche. Les larmes de Dinesh remontent à la mémoire du corps, lorsque se dénoue la douleur au contact d'une autre peau.



Dans ce roman aussi brillant que simple, Anuk Arudpragasam a écrit un livre fondamental sur l'amour, la guerre, la vie et la mort. Il a choisi de le faire par le prisme du corps et touche ainsi à une part d'humanité souvent négligée. Avec une écriture si dense et si méticuleuse, avec une telle intelligence et une telle empathie que l'on ressort bouleversé d'une telle lecture.
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Un passage vers le Nord

Un passage vers le Nord est un roman où il ne se passe pas grand-chose et pourtant tout se passe. Cela commence par Krishan recevant un appel téléphonique de la fille de Rani (Rani était l'aide de vie de sa grand-mère), elle est morte d'une chute dans un puits. Krishan, un jeune homme de la classe moyenne, décide de prendre un train de Colombo à la Province du Nord pour assister aux funérailles afin de lui rendre hommage et aussi dans l'espoir d'en savoir plus sur la mort de Rani, qui, selon lui, pourrait ne pas être qu'un accident. Le roman est essentiellement sa rumination alors qu'il voyage dans le train et assiste plus tard aux rituels de crémation. Pendant le voyage en train, nous ferons la connaissance de Anjum, une militante avec qui il a eu une relation lorsqu'il vivait à Delhi.



Mais raconter l'intrigue du roman lui rend peu justice. Un passage vers le Nord est une œuvre d'une beauté et d'une sensibilité hors du commun. Arudpragasam observe chaque mouvement, il interroge chaque action, et nous livre un roman sans intrigue, à la fois profondément philosophique et politique. Le roman raconte à la fois un voyage physique et psychologique, "... se tenant là, penché à travers la porte du train, sachant que bientôt il arriverait à Kilinochchi, il ne put s'empêcher de penser, alors que le train se rapprochait de sa destination, qu'il n'avait pas parcouru de distance physique ce jour-là, mais plutôt une vaste distance psychique à l'intérieur de lui; il n'avançait pas du sud de l'île vers le nord, mais du sud de son esprit vers ses propres confins septentrionaux.”



Un passage vers le Nord, s'éloigne de l'immédiateté du génocide tamoul au Sri Lanka qui s'est produit entre 2008-2009, il se déroule dans ses suites. Il cartographie la dévastation continue causée par une guerre civile de 30 ans sur le peuple et la terre. Il brosse un portrait du traumatisme et du chagrin, de la perte et de la mémoire, de l'amour et de l'intimité, du vieillissement et de la résilience. C'est ce roman rare où l'on veut se précipiter à travers les pages - vouloir savoir comment ça va finir - et où l'on souhaite savourer chaque ligne. Une fois qu'on a tourné la dernière page, on est rempli de tristesse de savoir que le livre est terminé. Seuls les meilleurs romans peuvent laisser quelqu'un dans le besoin.





Le temps court pendant lequel se déroule Un passage vers le Nord se passe dans trois zones géographiques spécifiques,Delhi, Colombo et Kilinochchi. On apprend comment Krishan s'est informé sur les "jours idéalistes du mouvement séparatiste" et comment l'histoire de Kuttimani (un dirigeant tamoul) l'a convaincu de travailler dans le nord-est. Des pages sont consacrées à la lutte, au procès, à l'incarcération et au meurtre en prison qui a suivi de Kuttimani. La décision d'Arudpragasam de passer de l'abstraction de son premier roman à la recréation de moments réels de la lutte tamoule a été délibérée et soigneusement réfléchie. Il dit: «Ce roman parle beaucoup plus de spectateur de la violence que de participation à la violence. Et il s'agit de ce que cela signifie de voir la violence de l'extérieur ou de loin. Krishan regarde de l'extérieur la violence, et "ne peut donc s'empêcher de voir la violence dans un contexte politique, social et historique".



Les phrases arrivent dans un flot ininterrompu. Entre les mains d'un écrivain moins doué, ces rames de pensée pourraient facilement devenir lacrimales. Mais Arudpragasam écrit et parle avec le soin d'un lapidaire, repoussant le flou pour la précision. En lisant Un passage vers le Nord, le lecteur remarquera l'absence de dialogues et de points; les phrases peuvent tenir sur une demi-page et les paragraphes sur une page entière. Ce choix littéraire reflète le contenu du roman. Il dit : « Cela a à voir avec le fait que la vie consciente, la conscience, implique très rarement des ruptures brusques. Il est très rare qu'une humeur ou un train de pensée ou un ensemble d'associations s'arrête définitivement et recommence à un autre point. Les seules fois où je peux penser que cela se produit, ce sont lors de moments de désir très fort ou de moments de violence.”



Le roman est divisé en trois sections, « Message », « Voyage » et « Brûler ». La dernière section est littéralement un récit détaillé de la crémation de Rani. On voit les gens réunis dans la maison de Rani, on voit les «mains étrangement pâles, presque blanches, patiemment repliées sur sa taille», on voit les amis et la famille placer doucement quelques grains de riz sur sa bouche, on entend les tambours de l'orchestre et les femmes récitant des vers. Les rituels funéraires détaillés sont pour Rani, mais, ils sont aussi pour tous les Tamouls qui sont morts, qui ont été assassinés et qui n'ont jamais eu droit aux cérémonies ou à des funérailles dignes. Rani elle-même avait souvent déploré de n'avoir pas pu incinérer correctement son plus jeune fils plutôt que de le laisser "au bord de la route pour les mouches". Internée dans un camp militaire, elle ne pouvait organiser aucune cérémonie pour son fils.



L'authenticité de ses personnages féminins et de ses relations avec eux est remarquable. Anjum, Rani, sa mère et sa grand-mère Appamma émergent lentement sous nos yeux avec une clarté de plus en plus grande. Arudpragasam réussit à faire chair et sang la rébellion d'Anjum, les responsabilités de sa mère et les luttes de sa grand-mère contre l'infirmité et la dépendance. Il écrit : « … Krishan ne pouvait s'empêcher de sentir que sa grand-mère avait volontairement choisi d'abandonner sa lucidité… qu'elle avait senti à ce moment-là que rester consciente signifierait accepter l'impuissance de sa situation et a décidé, dans une partie intérieure de elle-même, il était préférable désormais de s'absenter.



Parenthèse



Je vous mets en garde avant de vous enfoncer dans ce remarquable livre, si vous avez arrêtez de fumer depuis peu, ou si vous ne vous êtes jamais livré à cette occupation désormais vilipendée, tout un passage consacré au plaisir de renouer la cigarette est à oublier...

C'est la page 44.

En ce qui me concerne, j'ai pu lire ce beau passage sans dommages collatéraux ayant arrêté de fumer le 9 Décembre 2002 à 11 h...





Combien de romans peuvent laisser le lecteur dans le besoin? J'aime – vous aussi peut-être – faire des rapprochements entre auteurs

je ne fais aucune surestimation quand j'écris qu'Anuk est de la parenté de Marcel (Proust).
Lien : http://holophernes.over-blog..
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Un passage vers le Nord

Par coïncidence (ou non) c'est maintenant le deuxième roman en peu de temps que je lis d'un auteur sri-lankais. "Les sept lunes de Mali Almeida" de Shehan Karunatilaka m'a submergé par son ton hilarant et sarcastique qui mettait en lumière la dure réalité de la guerre civile sri-lankaise. Le livre d'Arudpragasam est tout à fait différent. Cela aussi concerne la brutalité de la guerre, mais l'angle et le ton sont complètement différents. Arudpragasam suit le jeune Krishan sur son chemin en train vers les funérailles de la femma tamil Rani, la gardienne de sa grand-mère. Il y a une histoire, mais elle est en fait très mince et se déroule très lentement, en phrases parfois très longues, régulièrement interrompues par des réflexions philosophiques et des références à des histoires de la tradition bouddhiste et hindoue.



Dès le départ, Arudpragasam donne le ton avec une page et demie de réflexion philosophique sur le phénomène du temps, combien le présent s'accroche à nous, et par conséquent le passé et le futur restent inaccessibles au-delà de l'horizon. Ces références au mystérieux phénomène du temps sont récurrentes, tant à propos de Rani, d'Anjum que du passé guerrier, et m'ont fortement rappelé le schéma de temporalité de l’historien et philosophe allemand Reinhart Koselleck. Il indique aussi d'emblée le contenu cérébral de ce roman, qui est renforcé par les phrases longues et sinueuses qui rappellent Thomas Bernhardt et Javier Marias. Juste pour dire que ce livre risque de ne pas plaire au lecteur qui s'attend à une histoire forte. S'il y a une évolution dans ce roman, c'est dans la façon dont Krishan accepte sa culpabilité, sa relation brisée, la vie et la mort en général. Cela rend le ton et la structure réfléchie, subtile, introspective de ce roman d'un rare haut niveau. Je suis très curieux de savoir ce qu'Arudpragasam proposera ensuite.
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Un passage vers le Nord

Je vous présente, un des plus grands romans de cette rentrée littéraire 2023.



Krishnan est un jeune sri-lankais, qui après des études à Delhi en Inde, à décider, il y a quatre ans de revenir dans son pays natal pour devenir travailleur social notamment auprès des victimes de la guerre civile.

Alors que Krishnan est en pleine crise d'identité, il a apprend le décès de l'aide-malade de sa grand-mère, Rani. Cette dernière était retournée dans le nord pour la commémoration de l'anniversaire des décès de ses fils mais n'était plus revenue à Colombo. Krishnan décide de retourner dans le nord pour rendre hommage à cette femme qu'il espère, lui avoir apporter deux belles années. Alors que le paysage sri-lankais défile devant ses yeux, Krishnan pense à Rani mais également à Anjum mais surtout à ces personnes qui ont vécu, contrairement à lui, de plein fouet la guerre civile.



"Un passage vers le nord" est merveilleusement bien écrit. C'est un livre très profond, très philosophiques et même parfois poétique. Il invite à la réflexion, tout en nous faisant découvrir un conflit qui a duré trois décennies mais dont les séquelles touchent et toucheront de nombreuses générations.
Lien : https://www.inde-en-livres.f..
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Un passage vers le Nord

Avec ce roman l'auteur dresse le constat d'un pays épuisé par une guerre civile longue et douloureuse. Ce voyage à l'autre bout du pays pour assister aux funérailles de Rani est l'occasion de se remémorer et de s'interroger sur l'Histoire de son pays. Il se livre alors à une véritable introspection et repense à son amour pour Anjum qu'il n'avait pas revu depuis des années. Anjum, cette jeune femme militante dont l'engagement politique rend presque impossible toute autre relation. Il revient également sur les nombreux traumatismes laissés par cette guerre à travers notamment le parcours de Rani, dont la vie était hantée par des cauchemars depuis la mort de ses fils. Il repense à son choix de retourner sur l'île alors que tant de tamouls cherchent à la fuire, à sa culpabilité d'avoir tant été privilégié. C'est un roman qui se lit lentement. A l'image de ce voyage en train, les phrases et les chapitres sont longs. Plongés au cœur de ses pensées, nous assistons alors à de longues réflexions souvent philosophiques. La plume est magnifique et j'en ai apprécié la musicalité. Je suis ravie d'avoir lu ce livre car il m'en a appris beaucoup sur l'Histoire du Sri Lanka dont je ne connaissais quasiment rien. Un roman d'une grande sensibilité, à la fois doux et intense que je vous recommande.
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Un passage vers le Nord

Toujours dans l'idée de découvrir de nouveaux horizons, je me suis attardée sur ce roman.



Si l'histoire paraissait très sympa, il m'a fallu beaucoup de temps pour entrer dedans, comprendre les différents points de vue de narration et ensuite prendre du plaisir à lire celui-ci. J'ai d'ailleurs dû faire quelques pauses pour l'apprécier encore plus ensuite.

Une fois rentrée dedans, on voit le côté culturel avec le rite de passage de la mort mais aussi le dévouement familial pour s'occuper de ses ascendants. Et un fond de révolte avec les questions politiques est également mis en avant, ce qui permet d'accroitre sa culture générale.



Une lecture sympa qui méritait qu'on s'y accroche.
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Un passage vers le Nord

Colombo, Sri Lanka.

Krishan est revenu vivre dans son pays d'origine après de longues études en Inde à Delhi. Quand débute le roman, il vient d'appendre la mort de Rani qui a été la femme de compagnie de sa grand mère pendant quelques années.

Il décide de se rendre à ses obsèques au Nord Est du pays, dans une région fortement marquée par la guerre civile qui opposa pendant des années  la majorité cinghalaise bouddhiste, et les Tigres de libération de l'Îlam tamoul. Ce voyage est l'occasion pour Krishan de repenser sa relation à la vieillesse et à la mort et de se remémorer celui qu'il avait fait en compagnie d'Anjum, sa compagne d'un moment en Inde.

J'ai tellement aimé ce roman dans lequel Krishan se laisse aller à de longues réflexions philosophiques sur son passé, en n'occultant rien de ses peurs, de ses faiblesses, de ses doutes. J'ai vraiment eu l'impression d'être dans sa tête, de visualiser le cheminement de ses pensées, qui bien souvent touchent à l'universel. Notamment quand il évoque le début de sa relation avec Anjum, son désir mêlé d'une grande angoisse, son grand bonheur d'être à ses côtés, sa grande peur dès qu'il s'en éloigne. Mais aussi lorsqu'il raconte la guerre, si longue et meurtrière, celle qui a enlevé deux fils à Rani, et l'a laissée meurtrie à jamais dans sa chair. Celle qui a créé une génération de jeunes gens prêts au sacrifice de leur vie au nom de ce combat.

L'écriture d'Anuk Arudpragasam est époustouflante. Les phrases s'étirent à l'extrême avec tant d'élégance. J'en ai relu plusieurs au cours de ma lecture pour le simple plaisir d'admirer leur construction.

Je vais garder longtemps à l'esprit le souvenir de ses personnages forts, Krishan, Rani, Anjun et de ce pays meurtri. 

Précipitez vous et laissez vous charmer à votre tour par la musique de cette très belle écriture.

Merci aux éditions Le bruit du monde de nous donner à lire ce texte.
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Un bref mariage

Par pure coïncidence, je découvre ce livre en ce moment particulier où la guerre en Ukraine débute abruptement ... Les critiques précédentes résument assez bien la teneur du roman : vingt- quatre heures de la survie d'un jeune homme dans un camp de réfugiés et l'histoire d'une improbable romance.

Le récit, malgré le réalisme, la crudité et l'âpre évocation des atrocités de la guerre dégage un puissant et doux lyrisme. C'est -avant tout - une renaissance à la condition humaine...un roman bref et intense, à la fois difficile et lumineux , lu d'une traite, pour ma part.
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Un bref mariage

Un livre magnifique ! C'est le premier ouvrage d'un jeune auteur de 25 ans, Sri-lankais vivant aux Etats-Unis où il suit des études de philosophie.

Un tout jeune homme de vingt ans hère depuis quelques mois de camps de réfugiés en camps de réfugiés après avoir été jeté sur les routes avec sa famille, par un conflit armé qui perdure depuis de longues années. Au cours du voyage chaotique de milliers de gens qui sont la cible de bombardements de la part du gouvernement en place, il voit mourir sa mère à côté de lui atteinte par un éclat d'obus. Une scène extraordinaire où le garçon se voit fuir avec la foule sans avoir dit adieu et prit soin une dernière fois de sa mère qui gît au sol. Ce livre est poignant d'humanité, délicat et rude à la fois.

Au milieu de cette horreur absolue, dans le camp où il aide le seul médecin encore présent qui tente de sauver les grands blessés et où il enterre les innombrables cadavres mutilés dans un état de stupéfaction, comme en apnée, naît un amour éternel qui durera une journée. Cette fleur délicate le ramènera à son corps, aux émotions, à la vie. Le retour à l'humanité du héros Dinesh, est narré sur 30 pages à travers une douche décrite par le menu. Au cours de laquelle la crasse qui s'écoule de son corps représente les séquelles des traumatismes vécus par le jeune homme dont il n'avait pas pris la mesure.

C'est cette aventure merveilleuse et tellement touchante, cette journée très particulière que l'auteur nous décrit de l'intérieur du cerveau et du cœur du narrateur. C'est aussi en arrière-plan, toute l'horreur des conflits lointains dont on entend vaguement parler et les conséquences dramatiques sur une humanité qui nous est pourtant si proche. Un livre dense, fort et beau.

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Un bref mariage

Le corbeau est vivant sous les frondes



Anuk Arudpragasam choisit de parler d’une journée de guerre à travers d’amples et lentes descriptions de gestes et d’actions habituellement communes. Les mots sont directs, certaines situations crues, d’autres plus quotidiennes.



Une amputation, « le bruit humide du couteau à travers la chair céda place au frottement des dents contre la bâche, et enfin la découpe s’arrêta ». Le frémissement de la terre, une déflagration d’air chaud sur la peau. Trouver l’endroit, un peu en retrait, un peu au calme, pour chier, vider ses intestins, la plage, la mer…



Dinesh, Ganga, « la réalité de la défaite nous apparaît toujours comme une nouveauté presque incroyable », Mr Somasundaram, le temps de la mort bientôt à venir, une proposition de mariage, « Quand à savoir ce que cela impliquait au juste et s’il en était capable… », la conversation possible, parler pour le plaisir de parler, ce qui est oublié, « Les fils diaphanes qui dans la vie ordinaire avaient été si simple à tisser s’étaient dissous, il n’y avait plus rien à dévider, si bien que tout un chacun devait rester assis seul en silence, perdu en lui-même, incapable, de quelque manière que ce soit, de faire du lien »…



Dinesh raconte, un homme parle du passé, du présent du possible, dans la limite de ce qu’il projette sur l’autre, inconnue.



Des mouvements ailleurs si simples. Une préparation d’un repas, tout le poids de chaque geste, manger, retrouver une sensation un peu oubliée, « C’est étrange après si longtemps de sentir ses doigts dans le riz, dont les grains humides et mous entre ses phalanges remontaient jusqu’à sa paume »…



Les évacué-e-s, les camions, les tracteurs, les chars à bœufs remplis à ras bord, les objets du quotidien entassés, « les menus objets dénichés ici et là », une poignée de porte, la fuite, l’exil, les bombardements, la lassitude des déplacements…



Se coucher, entendre la respiration de l’autre, des questions sur soi, ce que peut-être la peau, la sensation du toucher…



Anuk Arudpragasam nous fait ressentir la guerre et les manques, dans toutes leurs dimensions, dans une extrordinaire scène de nettoyage, du corps et des vêtements décrassés, des cheveux et des ongles coupés, « Toute la saleté et la peau morte qui avaient recouvert son corps, tous les gravats et les débris avaient enfin été évacués, le laissant tendre et nu, comme une graine chaude et vivante »… Il nous fait toucher du doigt les conditions extrêmes s’inscrivant dans les corps.



Se rapprocher, sentir et ressentir, le corps sans mémoire/sans-savoir/sans-capacité, échanger un regard, reconnaître les choses dont on a honte, « un endroit ou chose perçu mais indécelable », saisir un pouce… Il se mit à pleurer…



Par la poésie de quelques gestes si simplement effectués ailleurs, de quelques actions dont nous oublions le confort dans lequel nous les pratiquons, la perception d’une autre face de l’horreur. Le rythme et les phrasés d’un écrivain, une soirée et une nuit, la tendresse, la mémoire, une femme et un homme, des instants de vie au pays des ravages de la guerre et de la mort.
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Un passage vers le Nord

Je pense que c'est la première fois que je lis un roman qui se déroule au Sri Lanka et a fortiori écrit par un auteur sri lankais. Cela m'a tout de suite attirée quand j'ai fait mes repérages de des parutions de la rentrée littéraire de janvier et c'est grâce à la dernière opération masse critique organisée par Babelio que j'ai eu l'occasion de découvrir ce roman.



Krishan est un jeune sri-lankais qui est revenu vivre avec sa famille à Colombo après avoir étudié à New Delhi. Il travaille pour une ONG locale qui vient en aide à la population qui a souffert de la guerre civile qui ravagé le pays et vit dans la maison familiale avec sa mère et sa grand-mère. Rani, la dame de compagnie de sa grand-mère, est absente depuis quelques mois, lorsque Krishan apprend son décès soudain. Afin de rendre hommage à cette femme que toute la famille apréciait, Krishan décide de se rendre dans le nord du pays pour assister aux funérailles. Les quelques jours qui suivront cette annonce, sont l’occasion pour le jeune homme de se replonger dans ses souvenirs familiaux et amoureux.



C’est donc un roman introspectif, méditatif, philosophique même. Un roman qui se déroule lentement, mais qui pourtant est un véritable plaisir de lecture parce qu'il nous fait découvrir de ce pays, de sa population et de ses personnages. Plongé dans ses pensées, Krishan se dévoile, avec ses forces et ses faiblesses, ses émotions et ses regrets. Il évoque sa relation à sa grand-mère en fin de vie, à Rani qui portait en elle tant de blessures, à Anjum qu’il aimait et qui l’a quitté.



Cette lecture a aussi été l’occasion de découvrir un pays et un peuple dont j’ignorais tout. J'ai d’ailleurs été très étonnée par la vie que Krishan menait à New Delhi. On y suit une jeunesse éprise de liberté, y compris sentimentale et sexuelle. Mode de vie en totale contradiction avec l'image que je pouvais avoir de la société indienne et qui vient justement souligner les paradoxes d’une société tiraillée entre tradition et modernité.



Je souligne également la beauté de l'écriture de l'auteur, élégante et subtile, très agréable à lire.



Ce fut donc une très belle découverte pour laquelle je remercie les éditions le bruit du monde et Babelio.
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Un passage vers le Nord

L’auteur sri-lankais Anuk Arudpragasam tisse un roman envoûtant dans le contexte de l’après-guerre dans son pays.
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Un passage vers le Nord

Un passage vers le Nord est paradoxalement le roman d’une libération, d’un allègement par le deuil. Où les funérailles d’une seule femme valent pour tous ceux qui n’en ont jamais eu. Et où le temps comme la géographie jouent un rôle-clé pour « déterrer l’horreur enfouie », accepter d’y « croire complètement ».
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Un passage vers le Nord

« A Passage North » (2021, Granta Books, 304 p.) de Anuk Arudpragasam, vient de remporter le Booker Prize 2021. Bravo pour cet auteur du Sri Lanka, qui écrit en tamoul, mais vit aux USA depuis qu’il a 18 ans. Etudes à Stanford University, avec un BA, puis après un bref retour au Sri Lanka, il passe un PhD à Columbia University en 2019.

De lui, on a déjà pu lire « The Story of a Brief Marriage », publié en 2016, traduit par Elodie Leplat en « Un Bref Mariage » (2016, Gallimard, 240 p.). L’histoire d’un mariage arrangé entre Ganga et Dinesh, jeune médecin qui opère dans une région en guerre où l’on manque de tout.

Il travaille actuellement à un troisième roman sur la diaspora tamoul de New York et Toronto. Une exploration de l’évolution de l’amitié, des relations parents-enfants et de la violence dans les relations interpersonnelles.

« A Passage North » fait le récit du voyage de Krishan, dans le nord du Sri-Lanka, alors que le pays est dévasté par la guerre. Tout débute par un message informant Krishan de la mort de Rani, la gardienne de sa grand-mère (Appamma). On vient de la retrouver au fond d'un puits dans son village, avec le cou brisé par la chute. Ce message coïncide avec un autre mail d’Anjum, militante passionnée, mais distante, dont Krishan était tombé amoureux des années auparavant alors qu'il vivait à Delhi et était étudiant en sciences politiques.

Krishan vit actuellement à Colombo avec a famille. Il a perdu son père à la suite d'un attentat à la bombe, mais il est par ailleurs relativement inconscient des détails du conflit dans le Nord. A



Débute alors un long voyage en train de Colombo à la province du Nord déchirée par la guerre pour Krishan qui part assister aux funérailles de Rani. Un bûcher « au bout du monde ». Un voyage au cours duquel il fait le bilan de trente ans de guerre civile pendant laquelle les Tamouls ont été anéantis. Au dehors, les terres sont un vaste cimetière où brûlent encore les bûchers funéraires.

Il faut dire que l’hostilité entre Cinghalais et Tamouls ne date pas d’hier. Déjà au VIeme siècle avant notre ère, il y avait rivalité entre ces deux royaumes. Plus récemment, à l’époque du Raj britannique, la politique a été de « diviser pour régner » comme le savent si bien faire les britanniques coloniaux. Opposition donc entre les Tamouls d’origine indienne, majoritairement au nord de l’île et sur la partie côtière de l’ouest et en partie à l’Est. Ils appellent cette région Eelam. Les nationalistes cinghalais, majoritairement bouddhistes, sont plutôt regroupés au sud et à l’intérieur de l’île. On compte environ un quart de la population de l’île qui parlent tamouls, une langue dravidienne, c’est-à-dire non aryenne et non himalayenne. Les trois-quarts restant de la population parlent le cinghalais, qui dérive du sanscrit.

Cela aboutit à la formation des « Tigres de libération de l'Eelam tamoul » (LTTE), plus souvent appelés simplement « Tigres Tamouls ». Les combats, violents, débutent en juillet 1983 avec un pogrom à Jaffna (Black July Pogrom). L’Inde s’implique dans les combats par un appui financier au LTTE et en accueillant des camps d'entraînement pour ses combattants. En réponse, le premier ministre Rajiv Gandhi est assassiné par une Tamoule en 1991 lors d’un attentat suicide. Quatre grands épisodes de guerre, dite guerre de l’Eelam, font état d’environ 20000 morts et 250000 personnes déplacées. Il faut signaler l’implication très forte des femmes tamoules dans le conflit, le tout sous couvert de féministe, avec égalité des droits entre hommes et femmes. Cela encourage les mariages jeunes, car les femmes mariées n’étaient pas recrutées par le LTTE. Ce sera le cas de Ganga et Dinesh dans « A Passage North ».

En 2003, des pourparlers aboutissent à la mise en place d’une autorité indépendante intérimaire « Interim Self Governing Authority » ou ISGA. Elle prend position pour les aspirations des Tamouls à l'auto-détermination, mais abandonne sa demande pour un Tamil Eelam indépendant tout en continuant à demander une grande autonomie à travers le fédéralisme. Il faut admettre les pressions de la diaspora tamoule, notamment norvégienne et au Canada avec une forte densité à Toronto. Il en résulte des évènements tels que les « Pongu Tamil » (soulèvement tamoul) qui rassemblent 30000 personnes en Angleterre et 75 000 au Canada.

Retour à ce long voyage en train. On n’imagine mal ce que peut être le voyage en train en Inde ou au Sri Lanka. Entre Colombo, sur la côte au deux tiers sud de l’ile à Jaffna, tout au nord, il y a environ 400 km. Il faut compter entre 7 et 8 heures en train moderne (contre une dizaine d’heures en bus). Mais ces trains offrent l’avantage de pouvoir y manger, avec de la restauration locale à chaque station ou dormir, faute de regarder le paysage.

Krishan a donc tout loisir de méditer, à la fois sur sa vie, plus ou moins amoureuse avec Anjum, sur la vie passée de Rani et les traditions anciennes, le tout sur fond de paysage ravagé par la guerre civile. Tout y passe donc : les cicatrices et les traumatismes de la guerre, les problèmes de santé mentale, la famille, les complexités des relations intimes, la vie, la mort, la culture, les traditions, la religion, la culture, la mémoire, le personnel et le politique.

Un long monologue intérieur d’environ 300 pages avec de longues phrases. La réflexion s’organise sur un certain nombre de thèmes, la guerre, son amour perdu, sur la vie, le passé, l’avenir, la beauté et la violence, l’histoire en général.

Sur la guerre

« Il y avait eu tant d'histoires d'accidents dans le nord-est depuis la fin de la guerre, de noyades, d'incendies, d'explosions mentales et d'accidents de la route surtout, tant de brèves nouvelles de deuxième ou de troisième page qui notaient comment telle ou telle personne inconnue de l'ancienne zone de guerre était décédée d'une manière ou d'une autre bizarre ou inattendue. Des accidents se produisaient partout, bien sûr, mais ces accidents devaient être plus que de la malchance, car comment des gens si robustes, des gens qui avaient traversé tant de choses et qui en sont encore sortis vivants, se sont-ils permis de mourir si facilement maintenant et avec une telle docilité ? » Ou encore « C'était comme s'il y avait une autre logique plus obscure à l'œuvre que le simple hasard, comme si la mort suivait en quelque sorte ces gens qui avaient réussi à survivre, comme s'ils étaient en quelque sorte marqués, les différentes probabilités statistiquement élevées. sur laquelle était fondée la vie ordinaire commençant, pour eux, à changer, à changer de plus en plus en faveur de leur disparition imprévue - comme s'ils marchaient eux-mêmes à bras ouverts vers ces morts apparemment accidentelles, comme s'ils les accueillaient eux-mêmes ou même voulu qu'elles aient lieu ». Et pour conclure : « C'était drôle à quel point le désir était semblable à la perte de cette manière, comment le désir aussi, comme le deuil, pouvait couper à travers le tissu de la vie ordinaire, provoquant les routines et les rythmes qui avaient régi votre existence si totalement qu'ils semblent incontestables à perdre tranquillement le dur reflet de la nécessité, vous laissant presque dans un état d'incrédulité, incapable de participer au monde ».

Sur son amour passé,

« Ce qu'à défaut d'un meilleur mot était parfois appelé amour, s'était-il rendu compte cette nuit-là, n'était pas tant une relation entre deux personnes en elles-mêmes qu'une relation entre deux personnes et le monde dont elles étaient témoins, un monde dont les surfaces et les extérieurs ont progressivement commencé à se dissiper à mesure que les deux individus s'enfonçaient de plus en plus profondément dans ce qu'on appelait leur amour. Tomber amoureux, ou ce qui méritait d'être appelé tomber amoureux, avait-il réalisé cette nuit-là, n'était pas tant une condition émotionnelle ou psychologique qu'une condition épistémologique, une condition dans laquelle deux personnes se tenaient la main et regardaient avec étonnement silencieux le monde autour de elles se sont lentement dévoilées, alors que les faussetés de la vie ordinaire ont commencé à s'éclaircir et à se dissoudre devant leurs yeux, les sourcils froncés et les mâchoires serrées, les couleurs vives et les bruits forts, les excitations et les perturbations de surface, tout s'estompant de sorte que ce qui restait – le temps mis à nu - était la seule façon dont le monde pouvait vraiment être appréhendé, de sorte que même si cette condition ne durait pas, même si elle se perdait, comme elle finit toujours par se perdre, par habitude ou circonstance ou simplement par le lent et triste passage des années, la connaissance qu'il a transmise demeure, la connaissance que le monde auquel nous participons habituellement n'est pas tout à fait réel, que le temps n'a pas besoin de passer comme nous le vivons habituellement, que d'une certaine manière il est possible de vivre, de respirer et de bouger en un seul instant, qu'un seul instant ne puisse être un cordon sur un abaque de longueur finie mais un océan dans lequel on peut entrer, dont les rivages lointains ne peuvent jamais être atteints ».

Sur le passé en général

« Délibérément ou non, le passé est toujours oublié, en tous lieux et chez tous les peuples, un phénomène qui a moins à voir avec les forces qui cherchent à effacer ou à réécrire l'histoire que simplement la nature du temps, avec la préséance que le présent semble toujours avoir sur ce qui a précédé, la préséance non pas du moment présent, auquel nous ne semblons jamais avoir accès, mais de la situation présente, qui réclame toujours notre attention, toujours si puissante et vive et accablante que dès que l'on de ses éléments disparaît, nous oublions qu'il a jamais existé ».

Sur les rapports entre la violence et la beauté.

« Ce ne sont peut-être pas seulement les images de beauté qui obscurcissent la vision au fil du temps, mais aussi les images de violence, ces moments de violence qui, pour certains, font tout autant partie de la vie que les moments de beauté, les deux types d'images apparaissant au moment où l'on s'y attendait et les deux ont continué à nous hanter par la suite, ce qui nous a tous deux marqués et marqués, limitant à quelle distance nous étions par la suite capables de voir ».

Sur l’histoire en général

« Histoire. Créer un personnage bien équilibré. Cadre. Dialogue. Contexte historique. J'essaie de faire attention à ces choses - j'essaie - mais ce sont toujours des réflexions après coup. Beaucoup de ces autres choses s'accumulent, elles trouvent leur place à travers un processus d'accrétion, et ils sont déposés en différentes vagues à chaque fois que je parcours le texte. Parfois, des choses me viennent à l'esprit, et je me dis, Oh, je peux juste ajouter ceci. J'écris sur des brouillons. Il n'y a pas de premier brouillon « J'ai un petit centre ici ou un petit centre là-bas, puis je le passe en revue, et chaque fois que je le fais, plus de matériel s'accumule jusqu'à ce que je trouve un moyen de connecter ces îles en quelque chose. J'ai dans mon esprit que le lecteur s'attend à ce que le personnage soit crédible ou que l'histoire soit intéressante. J'ai cette petite voix dans ma tête qui dit que je dois essayer, mais ces éléments de l'écriture de roman ne m'intéressent pas ».

Sur la jeunesse perdue

« Nous expérimentons, encore jeunes, nos désirs les plus profondément ressentis comme une sorte d'horizon, voyons la vie comme divisée en ce qui se trouve de ce côté de cet horizon et ce qui se trouve de l'autre, comme si nous devions seulement atteindre cet horizon et tomber en elle pour que tout change, pour transcender une fois pour toutes le monde tel que nous l'avons connu, bien qu'à la fin cette transcendance ne vienne jamais réellement, bien sûr, un fait que l'on a commencé à apprécier seulement en vieillissant, quand on s'est rendu compte qu'il y avait toujours plus de vie de l'autre côté de l'accomplissement du désir, qu'il y avait toujours se réveiller, travailler, manger et dormir, le lent passage du temps qui ne finit jamais, quand on s'est rendu compte qu'on ne peut jamais vraiment toucher l'horizon parce que la vie continue toujours, parce que chaque instant se confond avec le suivant et ce que l'on considérait comme l'horizon de sa vie s'avère toujours être un autre morceau de terre ».

Sur la vie et la mort

« Il se demanda ce qui l'avait amené dans cet endroit si éloigné du monde qu'il connaissait, quelles forces l'avaient poussé à quitter la vie qu'il s'était créée en Inde, à venir dans cet endroit où il n'avait jamais vécu, cet endroit qui avait à peine figuré dans sa vie en grandissant. Il se demanda quels mouvements du destin avaient conduit à sa rencontre apparemment accidentelle avec Rani dans la salle d'hôpital, à son arrivée dans leur maison quelques mois plus tard, à sa mort inattendue deux jours auparavant et à sa présence maintenant à sa crémation, incapable de trembler. le sentiment que sa présence dans cette scène de désolation avait été décidée quelque part bien avant, que quelque chose en lui l'avait poussé vers elle bien avant la fin de la guerre, quelque chose de plus que de la culpabilité, quelque chose comme la liberté, même s'il ne pouvait pas dire ce qu'était exactement la liberté ».

Et en plus il pense à l’avenir

« Il resterait des gens qui insistaient pour se souvenir, certains d'entre eux étaient des militants, des artistes et des archivistes qui avaient délibérément choisi de le faire, mais la plupart étaient des gens ordinaires qui n'avaient pas d'autre choix… qui, au sens le plus élémentaire, ne pouvaient tout simplement pas accepter un monde sans ce qu'ils avaient perdu, des gens qui avaient perdu la capacité de participer au présent et qui étaient obligés de vivre le reste de leur vie dans leurs souvenirs et leur imagination, de construire dans leur esprit, comme le temple construit par Poosal, les monuments et mémoriaux qu'ils ne pouvaient pas construire dans le monde extérieur ».

Désir et nostalgie – c'est la clé de la fin du roman. Et aussi : Le passé et le présent, L'absence et le désir, L'activisme et le monde universitaire, L'action et l'introspection, L'agence et l'obsession, Le regard et le toucher ; Sommeil et réveil, voyage et exil.

« Ce n'est qu'en regardant un horizon que son regard pouvait dépasser tous les obstacles qui limitaient sa vision à la situation présente, que son regard pouvait s'étendre sans limite vers d'autres temps et d'autres lieux, et peut-être était-ce tout ce qu'était la liberté, rien plus que la capacité des muscles ciliaires de chaque œil - les muscles finement calibrés qui se contractent lors de la mise au point sur des objets proches et se détendent lors de la mise au point sur des objets éloignés - rien de plus que la capacité de ces muscles à se relâcher et à se détendre à volonté, permettant au des choses qui existaient au loin, bien au-delà de l'endroit où l'on se trouvait réellement, pour sembler en quelque sorte à portée de main ».



« Et peut-être était-ce pour cette raison, il lui était venu à l'esprit à ce moment-là, que la vue s'affaiblissait au fil des années, non pas à cause de la vieillesse ou d'une maladie, non pas à cause de la détérioration de la cornée ou des lentilles ou du muscles qui les contrôlaient mais plutôt à cause de l'accumulation de quelques-unes de ces images au cours d'un bref séjour sur terre, images d'une grande beauté qui transperçaient les yeux et se superposaient à tout ce que l'on voyait par la suite, rendant plus difficile au fil du temps voir et faire attention au monde extérieur, même si peut-être, cela lui vient à l'esprit maintenant, quatre ans plus tard dans son pays de naissance, marchant à l'arrière du cortège portant le corps de Rani pour la crémation, Rani qui avait tellement vu qu'elle n'aurait jamais pu oublier, peut-être avait-il été naïf à l'époque, peut-être n'y avait-il pas que des images de beauté qui obscurcissaient la vision au fil du temps mais aussi des images de violence, ces moments de violence qui pour certains étaient tout autant t de la vie comme des moments de beauté, les deux sortes d'images apparaissant quand on s'y attend le moins et toutes les deux continuant à nous hanter par la suite, qui nous ont toutes deux marquées et marquées, limitant jusqu'où nous pouvions voir par la suite ».

Quand il ne pense pas, Arudpragasam nous raconte des histoires, varies le plus souvent comme celle de Kuttimani, en fait celle de Nadarajah Thangavelu, rebelle tamoul, mort à 25 ans plus connu connu sous son nom de nom-de-guerre Thangadurai. Lors de son arrestation, les gardiens de la prison auraient laissé tomber leurs clés entre les mains des prisonniers cinghalais. Et l'un des agresseurs a coupé la langue de Kuttimani et a bu son sang en criant « J'ai bu le sang d'un tigre »

En fait, il ne peut s’arrêter de penser « Entre l'oubli qui s'opère grâce à notre consentement, qui est un oubli dont nous avons besoin pour concilier nos passés et nos présents, et l'oubli qui nous est imposé contre notre propre gré, qui est si souvent une manière de forcer nous d'accepter un cadeau auquel nous ne voulons pas participer ». Et « Il ne pouvait s'empêcher de penser, alors que le train se rapprochait de sa destination, qu'il n'avait parcouru aucune distance physique ce jour-là mais plutôt une vaste distance psychique à l'intérieur de lui, qu'il n'avait pas avancé du sud de l'île à son au nord, mais du sud de son esprit à ses propres étendues lointaines au nord ».



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Un bref mariage

Je ne sais pas comment je suis tombé sur ce livre mais, toujours est-il que j'en avais commencé la lecture trop rapidement. Or, c'est un roman qui se lit doucement, au rythme de Dinesh qui, en pleine zone de guerre, réapprend à se soucier de son apparence, de son odeur et à retrouver le sommeil et les larmes grâce à la présence d'une jeune fille qui lui a été confiée en mariage par un homme ayant renoncé à la vie.



Une belle découverte littéraire. Bonne suite à cet écrivain prometteur.

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