Citations de Arnaud de La Grange (77)
Bon Dieu, pourquoi se bat-on ?
Giap, c'était un général bâtard, fruit des amours coupables de la révolution et de l'éducation publique.
Chaque mort nous renvoie à la nôtre qui peut venir demain, maintenant. Une fraction de seconde, avant même de pleurer l'ami perdu, nous voyons notre fin à travers la sienne. "Et si c'était moi..." Ici, on meurt plusieurs fois par jour et c'est épuisant.
Le vacarme inouï. Il envahit tout, le reste disparaît. Le toucher, le goût, la vue, les sens sont anéantis, ne reste que ce hurlement de fer qui prend possession de la boîte crânienne.
Un peuple creuse fébrilement son chemin vers la victoire. Notre camp n'est plus qu'une immense motte grignotée par des galeries qui sans cesse se multiplient.
Nous finissions par avoir plus d'estime pour ces guerriers coriaces nous tendant les pires pièges que pour les huiles parisiennes qui nous avaient envoyés ici.
Je me disais que Pauline ressemblait à l'une de ces divinités qui au cœur des longues forêts attendent les hommes pour l'amour.
Les maisons se serraient sans jamais se rassembler. tout était de guingois, juxtaposé, rajouté, décati, dans une réjouissante anarchie architecturale. Effluves poivrés, odeurs de soupe, de tabac, de végétaux, de cire et de moisissure se mêlaient dans l'air lourd.
La vallée de Dien Bien Phu commandait le chemin du Laos qu'il fallait protéger des appétits viet-minh. Longue de dix-sept kilomètres et large de six, c'était une petit île plate au milieu d'un océan tourmenté.
Sa tendresse butait sur ma souffrance, son amour se heurtait à ma rage.
J'écris... Si j'ose regarder les choses en face, je vois que je noircis des pages car je ne me sens plus assuré de pouvoir un jour raconter.
Cette guerre traîne depuis huit ans, au mieux dans l'indifférence, au pire dans l'hostilité de la métropole.
Le Viet-minh, lui, est passé maître dans l'art de la dissimulation. Jamais on a vu une armée se soucier autant de la nature. Les arbres sont sacrés, les buissons intouchables. Routes et abris respectent leurs racines, se coulent sous leurs frondaisons.
La vallée jadis si verte est brune du sol retourné par les pelles puis les obus. Le ciel grisonne de l'acier qui siffle. On respire du feu.
Kader est surtout d'une bonté contre laquelle les mauvaises volontés viennent se perdre. Il est né en Kabylie, dans un village comptant moins d'âmes que notre compagnie.
On se sert de nous, ce qui est normal puisqu'un soldat est fait pour servir. Mais les choses se font avec un cynisme qui défie la décence. On ne nous demande plus de vaincre mais de peser dans les négociations qui se jouent dans les salons cossus. Notre sang en lourds boyaux dans la balance.
Je suis ici parce que j'ai lu Loti et que la France m'ennuie. Je me rêvais pèlerin d'Angkor et me voilà planté dans une grande mare de boue. Embarqué dans une sale histoire en un coin où l'on se tue avec une inépuisable énergie.
Au-dessous de moi, c'est un chaudron où bouillonne l'âme noire des hommes.
Ce couloir de tôle qui dans les airs fend la lourde nuit, c'est l'antichambre de la mort.
Nous ne sommes plus les mêmes, nos corps en font l'aveu. Nous avons durci. La guerre nous a taillés, rabotés, calfatés comme une coque marine. elle a élagué tout ce qui chez nous ne servait pas aux actes élémentaires.