M. Brenske avait fait du rabbin Dayem de Łódź son jouet.
Cela aussi, c'était de ces choses qui arrivaient. Le vieillard chantait à ravir, ce qui s'était su par pur hasard : le jour où il devait être gazé, il avait eu tort de vouloir adoucir par son chant l'agonie de ses frères, et M. Brenske l'avait entendu même à travers la porte blindée; il l'avait fait ouvrir, l'avait sorti de là et lui avait assigné ce chant suave comme travail obligatoire dans la salle de séchage.
Elle voulait trop de sursis, et elle était elle-même trop peu de chose; peut-être d'ailleurs que M. Herman Cohen et les dix-neuf autres ne faisaient pas non plus le poids. Elle n'avait même pas dit adieu à son père, entraîné vers l'avant par un mouvement de foule quand quelqu'un avait parlé de gaz "là-dedans", à moins que ce ne fut vers l'arrière, allez savoir, quand justement on ne savait pas où était le commencement ni où était la fin ni ce qui adviendrait de vous. On savait seulement que le camp était immense.
Il a été capable à la fois de nous rendre fiers d’être des hommes et tristes à propos de nous-mêmes. Il nous a appris à sourire et à être sérieux, à prendre la vie comme l’unique privilège que nous avons et à nous voir comme les seules créatures de l’univers capables de sentir, de voir et de se souvenir, même si cela ne dure jamais très longtemps. Pavel [Ota] est devenu — à juste titre — un classique moderne.
Ota Pavel, la courte vie d’un écrivain tchèque
Le viol, point faible des troupiers allemands – et, sans doute, des soldats du monde entier – malgré les efforts de la police militaire pour maintenir la pureté de la race à force de proclamations claironnées sur les toits
Comme disait déjà son père, les meilleures infidélités sont celles dont la femme ne sait rien
Elle aussi y était à sa place, c’était sans appel, le camp était partout. Sa race et ses origines étant ce qu’elles étaient, il n’y avait pas où fuir. Soudain elle eut un doute : existait-il encore un monde en dehors de ce camp ?
Les roues sur les rails scandaient les mots camp et crépuscule, l’un après l’autre, toujours et encore
Manger, marcher, courir. Sans se pousser en avant ni rester en arrière. Sans regarder à droite ni à gauche. Aller, aller, aller. Ne pas se penser en archipel. Chacun pour soi. Sauve qui pouvait.
Il ne voyait pas le commencement, seulement la suite. Il savait déjà où Fine avait été, ce qu’elle y avait fait. Il s’efforçait de tout considérer selon la justice, pour ne pas imputer une ombre de faute à mauvais escient. Il ne pouvait en appeler à ce à quoi la religion elle-même n’offrait pas de réponse. Il était troublé, sans repères. Il pensait à cette impudeur sans borne. Elle voulait vivre. Elle ne pouvait vivre qu’à ce prix, en subissant ce qu’elle avait subi. Quand la vie, le vouloir-vivre sont-ils un péché ? Quand la simple soif de vie est-elle un blasphème ? Le rabbin se retrouvait en terrain inconnu, égaré dans sa propre âme comme dans un labyrinthe. Il n’y avait plus seulement le oui ou le non. Le bon ou le mauvais. Le bien et le mal. Où tirer la ligne entre le mensonge et l’erreur qui ne serait pas une faute ? Le juste et l’injuste ? (…) Dans ce pays sans Dieu, dans ce monde sans Dieu, au milieu d’hommes sans Dieu, après la chute des piliers soutenant la voûte céleste, la rabbin Gedeon Schapiro sentait s’abattre sur ses épaules un fardeau intenable, où il y avait comme des rochers, une pluie aveuglante d’éclats de pierre et de bois, et cette poussière omniprésente qui a raison même du plus fort.
mais tout en exprimant son désir, il sentait dans chaque fibre de son corps la proximité du camp et tout ce qui allait avec, depuis la rampe et les rails et les wagons à bestiaux jusqu’à ces grands bâtiments bas avec leurs cheminées trapues ; s’il ignorait l’origine de la grasse fumée noire qui déferlait dans le ciel, quasi sans discontinuer, il la savait là, et donc il se tut