Bénédicte des Mazery nous présente l'Intrus, aux éditions Plon.
Que reste-t-il d'une vie? Des moments, juste des moments qui reviennent comme des flash et que l'on peine à relier les uns aux autres.
Je crois qu'on entend encore dans les entrées d'immeubles l'écho des pas de ceux qui avaient l'habitude de les traverser et qui, depuis, ont disparu. Quelque chose continue de vibrer après leur passage, des ondes de plus en plus faibles, mais que l'on capte si l'on est attentif.
Patrick Modiano,
Rue des Boutiques obscures
Ca commence dès l'acte sexuel quant les spermatozoïdes éjaculés survivent plusieurs jours dans le ventre féminin alors qu'ils meurent aussitôt à l'air libre. Le corps des femmes, à tout jamais réceptacle. Un corps qui permet la vie mais au creux duquel la vie déforme tout.
les coulisses de la guerre quand les généraux veulent briser dans l'oeuf le sentiment d'abandon, de sacrifice que ressentent les poilus alors que tout un travail d'intox est fait dans la presse pour laisser croire à une heureuse issue du conflit mais surtout que les soldats prennent leur sort avec fierté et courage sans se plaindre. Pour éviter que la vérité se répande, on surveille leur courrier, on le censure voire on le saisit. J'ai apprécié d'explorer par le truchement de ce roman le fonctionnement de ces commissions de lecture et de comprendre qui les composait. Je regrette seulement quelques longueurs mais dans l'ensemble j'ai aimé le découvrir.
Je suis bien sacrifié là où je suis, à 40 mètres des Boches, seul avec un camarade. Sûr que je suis là dans la tranchée en attendant la mort. J'ai beaucoup à vous dire et à vous raconter, mais je ne peux pas vous écrire sans pleurer car personne ne sait ce que je sais.
Un livre facile à lire, qui révèle les horreurs de la grande guerre au travers des lettres que les poilus envoient du front à leur famille. Ils racontent l'enfer des tranchées, les conditions de vie abominables et la peur au ventre qui ne les quitte pas. Le jeune Louis se retrouve chargé de censurer voire d'intercepter les lettres les plus pessimistes; mais comment ne pas être touché par la détresse de ces hommes quand on a soi-même connu l'effroi d'être au cœur des danger du combat?
A mettre entre les mains des collégiens en début de 3ème.
« Je crois qu'on entend encore dans les entrées d'immeubles l'écho des pas de ceux qui avaient l'habitude de les traverser. Et qui, depuis, ont disparu .Quelque chose continue de vibrer après leur passage, des ondes de plus en plus faibles, mais que l'on capte si l'on est attentif. » Patrick Modiano. Rue des boutiques obscures.
Romain a beau tourner l'affaire dans tous les sens, il peine à apporter une réponse satisfaisante aux questions posées, et il culpabilise en prenant conscience que la garde, le soin, la sécurité de leur bébé se trouvent entièrement placés dans des mains de femmes. Et que ce n'est pas juste. Comme Elise le lui a lancé à la figure dimanche, elle n'a pas le choix : elle doit rester là. Quand il passe la porte, lui, c'est qu'il part travailler, mais si elle fait ça, elle, ça signifie qu'elle abandonne son enfant. Il s'était senti infiniment triste, et terriblement impuissant, en comprenant soudain que sa colère n'était pas un avertissement, elle ne s'en irait pas, mais l'expression d'une indignation profonde, que ses cris ressemblaient à des appels au secours et, surtout, qu'elle avait raison.
Alfred s'adosse à sa chaise. Sa lâcheté passée lui répugne. Mais était-ce vraiment de la lâcheté … Peut-être s'agissait-il juste de paresse ? Ou bien de cette mélancolie qui ne l'a jamais quitté et qu'il porte depuis sa naissance comme une marque au front, un imprimatur indélébile ?
Le cœur encore battant, celui-ci se plongea dans la lecture de sa lettre tout juste dépliée:
"Nous nous battons pour le triomphe du droit et de la civilisation! Telle est la phrase que, depuis trois ans, les journaux nous ressassent chaque jour. De bien grands mots pour une chose aussi creuse que la guerre actuelle. C'est nous, gens civilisés, raffinés, qui au début de la guerre nous flattions d'avoir des obus à la Turpinite, obus aux effets foudroyants qui tuaient tout à leur portée, par des gaz. C'est nous, gens civilisés, qui sommes allés déposséder les Marocains, les Indochinois par le fer et le sang, c'est nous qui disons aujourd'hui que les Boches sont des barbares."