Je voulais découvrir Bernard Chambaz par son récit "Martin cet été", puis au final, je me suis lancé dans la première partie de son histoire personnel où l'on navigue entre ses figures tutelaires: Staline, Lénine, son grand-père et surtout, son père à qui il écrit des lettres déchirantes, à la fin du livre.
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Critique de Jean-Baptiste Harang pour le Magazine Littéraire
Bernard Chambaz évoque la douleur du deuil d'un enfant avec ce portrait de Robert Enke, le gardien de but international allemand qui s'est suicidé en 2009 à l'âge de 32 ans. «Plonger», cet infinitif sec sur la couverture du livre de Bernard Chambaz évoque le «Courir» de Jean Echenoz, et, en deçà de la parfaite beauté des deux ouvrages, ils ont en partage de dire l’histoire de deux sportifs venus de l’Est, Emil Zátopek court de fond pour la Tchécoslovaquie, et Robert Enke est né en RDA. Sauf que Zátopek ne fait que courir après des médailles qu’il attrape à foison, qu’Echenoz le quitte vivant et humilié avant même qu’il ne meure, alors que Robert Enke n’est pas plongeur, mais footballeur, gardien de but, de ces gardiens dont on dit qu’ils plongent lorsqu’ils s’envolent, et lui, Enke, va plonger comme un champion dans les plus grands stades d’Europe, se plonger dans quelques livres, puis replonger dans une profonde dépression, dernier plongeon le 10 novembre 2009, à 18 h 25, sur un passage à niveau, il prend le régional express de Brême en pleine poitrine. Suicidé à 32 ans.
C’est une autre mort qui ouvre le livre : «Lara est morte le 17 septembre 2007, entre quatre et cinq heures, des suites d’une malformation cardiaque, à l’institut médical de Hanovre. Elle avait deux ans et dix-sept jours. C’était un dimanche.» Lara est la fille de Robert et Teresa Enke, la vie même, le commencement de leur fin. Sur la tombe de sa fille, Robert a fait graver: «Lara papa kommt». Il a mis un peu plus de deux ans à venir et Teresa fait inscrire sur le faire-part ces mots de Vaclav Havel: «L’espérance n’est pas la conviction que quelque chose finira bien, c’est la certitude que quelque chose a un sens quelle que soit la façon dont ça finit.» C’est le dernier paragraphe du livre.
Le récit de Chambaz ne se laisse pas plomber par la situation, il s’évade comme il peut, se laisse savamment distraire du tragique, par son érudition nourrie de Goethe et de la Mannschaft, par le goût du détail, des coïncidences. La veille de la mort d’Enke, on fête le vingtième anniversaire de la chute du mur de Berlin, on y croise un ou deux papes, puisque l’un fut gardien de but et l’autre allemand, on refait l’histoire encore inachevée entre les Ossis et les Wessis. On fait le tour d’Europe des clubs où joua Robert Enke, Iéna, Mönchengladbach, Benfica, Fenerbahçe, Tenerife, Hanovre, dans un ordre qui doit plus à la pratique du marabout-bout de ficelle qu’à la chronologie. Chambaz saute sur les mots pour leur faire dire des histoires, souvent drôles, toujours symboliques, de l’état du monde, de la vanité des choses, du souvenir des gens, Garrincha, Rosa Luxemburg, Berti Vogts, Gary Lineker, Martin Luther, Karl Marx, Kleist, Gauss, Gudrun Ensslin, Jesse Owens, tous ne furent pas footballeurs. Les mots allemands brillent ici comme le mica dans le granit, et les nombres comptent les jours, mais on a beau s’éloigner du roi des Aulnes, il s’acharne, et «le dernier vers tombe comme une hache : In seinen Armen das Kind war tot, Dans ses bras l’enfant était mort».
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livre hommage au père tissant et retissant :
amour pour le père
affrontements caractères et idéologies
Paris à travers les âges
un Thorez parlant de Blum qui ne passe pas
toujours amour pour le père
histoire d'une famille et histoire d'un parti
cheminement d'un corbillard dans Paris
les marionnettes siciliennes
des femmes dont une mère
toujours l'amour du père - et les livres
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j'ai fini de lire, samedi soir, dans la nuit, «l'arbre de vies» de Bernard Chambaz (son premier livre, suis pas rapide et c'est très bien ainsi), en goûtant la paix finale dans la maison qui est restée axe, d'un âge à l'autre, toujours un peu présente, elle et le grand-père, à travers les évènements de cette vie et de l'histoire, entremêlés (et cette écriture qui se modèle sur la pensée, d'un calme lyrisme en parlant de l'enfance, d'un calme gardé, d'historien et de mémorialiste intime, pour l'évocation du père, de Maximilien Robespierre, de leurs fins, du passage des époques, heurtée, grotesque parfois, quand le je, Antoine, est pris et acteur dans la campagne de Russie). Paix inquiète, constat de la fin qui approche (et qui sera aussi la fin des Couthon, puisqu'il n'y a pas de petit-fils)
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