Bernard Friot (II)

Le marché du travail est bien une dimension essentielle de l'emploi et, s'il y a du chômage, c'est parce qu'il y a de l'emploi.

Le travailleur qui loue sa force de travail à un propriétaire renonce à son usage.

Sur ce marché (du travail), les offreurs de travail deviennent en réalité des demandeurs d'emploi : ils sont mis sous tutelle puisque ce sont les propriétaires des outils de travail qui peuvent rentre effective la force de travail comme productrice de valeur.

La violence de la pratique capitaliste de la valeur parvient à maintenir l'intérêt de la plupart des gens, elle est supportée parce qu'elle est instituée.

Faire société, c'est à la fois assumer la coopération des humains avec la nature dans du travail concret, et assumer le conflit irréductible qui se joue entre humains dans l'appréciation de ce qui, dans cette production concrète, vaut et ne vaut pas.

Nous devrions en être à 100% du meilleur salaire pour tous à 55 ans quelle que soit la durée de cotisation

L'enjeu est de remplacer l'emploi par le salaire à vie comme institution légitime du travail.

Tout mot d'ordre immédiat doit être tendu vers la suppression de la pratique capitaliste de la valeur. Taxer le capital, ce n'est en aucun cas un premier pas vers sa suppression.

Les fonctionnaires n'ont pas à s'excuser d'avoir un salaire à vie au nom de leur mission de service public. Ils ont à populariser la généralisation du salaire à vie aux usagers des services publics qui sont d'abord des travailleurs [...]

J'insiste sur le fait que, derrière les mots, il y a un enjeu politique. Aujourd'hui, les réformateurs mènent victorieusement la guerre des mots. La sécurisation des parcours professionnels à l'air d'être la même chose que la Sécurité sociale professionnelle, le revenu universel a l'air d'être la même chose que le salaire à vie, alors que ce sont des propositions contradictoires.

Alors qu'il faut libérer le travail de sa pratique capitaliste pour proclamer le droit politique à la qualification personnelle à 18 ans avec le salaire à vie qui l'accompagne, on construit des revendications aliénées.

[...] revendiquer le revenu de base, c'est vouloir changer la production des valeurs d'usage tout en renonçant à se battre pour le changement dans la production de valeur économique.

Récuser l'emploi n'a de cohérence que dans une action anticapitaliste qui récuse aussi la propriété lucrative, le crédit monétaire et la mesure de la valeur par la quantité de travail.

Tout ce qui permet de déverrouiller dans les têtes l'identification entre droit à ressource et mesure ici et maintenant d'une fourniture de travail est une bonne chose. Ce verrou est posé dans nos têtes dès l'enfance tant il est essentiel à la pratique capitaliste de la valeur économique.

Les comptes personnels sont le contraire de la cotisation-salaire : ils font de la Sécurité sociale un revenu différé, nous retrouvons ici l'ambition réformatrice de remplacer la cotisation-salaire par la cotisation-prévoyance. Le droit au salaire permanent, déconnecté de la subordination à un employeur, se transforme en son contraire : mes droits sont à la mesure de ma soumission au marché du travail.

De formation tout au long de la vie en bilans de compétences et en comptes individuels portables, ils s'épuisent à prouver que leur distance à l'emploi diminue, une preuve qu'ils n'apportent évidemment jamais à des propriétaires décidés à faire des emplois une asymptote jamais atteinte. Les salariés sont ainsi inscrits dans une suspicion permanente d'inemployabilité, dans l'insécurité permanente du marché du travail, y compris à l'intérieur des entreprises : tu peux être depuis vingt ans dans une boîte, pour changer de poste il va falloir que tu passes un entretien d'embauche.

L'échec ou la réussite professionnelle (qu'on ne peut d'ailleurs pas en général imputer à la seule personne en cause) auront donc une incidence sur le rythme de la carrière, mais pas du tout sur le niveau de qualification déjà reconnu, dont l'irrévocabilité garantit le caractère politique.

La suppression de la propriété lucrative et la généralisation de la propriété d'usage n'auront de sens que si cette dernière n'est génératrice d'aucun revenu : non seulement aucun dividende, aucune part sociale, mais également aucune prime, aucun supplément de salaire. De manière cohérente, ce ne sera pas l'entreprise qui paiera les salariés copropriétaires.

Posé et pratiqué comme redistributif, l'impôt corrige mais ne subvertit pas la pratique capitaliste de la valeur. Il confirme la violence sociale qui nous réduit à des êtres de besoin, des consommateurs.

[...] la classe dirigeante pose comme naturelle sa pratique de la valeur et nie qu'il puisse y avoir de la valeur économique en dehors d'elle.