Bernard Friot (II)

La cotisation, c'est bien du salaire, et c'est du salaire qui subvertit les institutions centrales que sont le marché du travail, la propriété lucrative, la mesure de la valeur par le temps de travail et le crédit. Le salaire socialisé est aujourd'hui chargé de tant de potentialités anticapitalistes que son remplacement par des formes non salariales de rémunération est l'obsession patronale.

[...] la logique de la cotisation-salaire est majoritaire, mais elle est en permanence deligitimée et attaquée, comme l'est le salaire à vie des fonctionnaires.

La validation capitaliste de l'activité par l'emploi et l'accumulation du capital, naturalisée par des siècles de construction des institutions "ad hoc", fait aujourd'hui l'objet d'une interrogation fondamentale au spectacle de la folie des valeurs d'usage qu'elle conduit à produire dans un péril écologique et anthropologique croissant.

Être payé, ce n'est pas simplement percevoir de l'argent. C'est ce qui oppose un "salaire" et un "revenu". Un épargnant qui touche les intérêts de son épargne n'est pas payé, pas plus qu'un actionnaire qui perçoit les dividendes de son portefeuille financier. L'actionnaire reçoit de l'argent, plein d'argent même, mais ça ne reconnaît pas son travail, ce n'est pas du salaire. On peut prendre la question par l'autre bout du spectre de la société : quelqu'un qui perçoit une allocation d'aide sociale a donc de l'argent, mais ce revenu n'est pas un salaire. Un allocataire n'est pas considéré comme un travailleur. C'est pourquoi la création du RMI en 1989 a été un acte d'une particulière violence sociale en transformant des chômeurs ayant droit au salaire en pauvres ayant droit à un revenu.

Naturaliser une réalité sociale, c'est en faire une nécessité de nature qui échappe aux rapports sociaux et donc à l'histoire. Le rôle de la science sociale est de dénaturaliser les institutions de la valeur économique, de montrer qu'elles sont historiques, que la définition et la pratique de la valeur sont également historiques. Sinon, la science est au service du pouvoir.

Même si réduire l'hiatus entre valeur économique et valeur d'usage est une bonne chose, faire société, c'est gérer cet insurmontable hiatus, ce n'est pas faire comme s'il n'existait pas et rêver d'une société de la transparence des valeurs d'usage, une société de l'activité.

Ce n'est pas parce que ce que je fais est utile que je dois être payé.

Quand on additionne les marchandises dangereuses, inutiles, antidémocratiques, aux effets écologiques désastreux, on arrive à une part importante du PIB qu'il nous faudra supprimer.

Il y a une irréductible différence entre utilité sociale et valeur économique.

D'où vient le salaire des fonctionnaires, des retraités, des soignants, des parents et des chômeurs ? De leur travail. Ce sont eux qui produisent la valeur que reconnaissent l'impôt et les cotisations sociales, et cela sans marché du travail, sans mesure de la valeur par le temps de travail, sans actionnaires et sans crédit.

Le propre du capitalisme est d'organiser la violence sociale - inhérente à toute société humaine - dans un échange d'équivalents, entre individus égaux en droit. Le travailleur est libre de travailler et sa force de travaille est payéé à sa valeur.

Nous seuls produisons la valeur économique, les propriétaires ne produisent rien, et pourtant le capitalisme nous transforme en demandeurs soumis à leur chantage.

La perversion qu'introduit le marché du travail est absolue.

Le cœur du capitalisme, c'est qu'il y a des propriétaires lucratifs de l'outil de travail et que les non-propriétaires sont réduits à se présenter sur un marché du travail comme demandeurs d'emploi.

[Reformulation]
Les institutions majeures, inséparables les une des autres, font le système.
Il y en a quatre : le marché du travail, la propriété lucrative, la mesure de la valeur par le temps de travail et le crédit.

Faire société, c'est à la fois produire avec la nature les conditions de la vie humaine, les valeurs d'usage, et gérer la lutte des classes, la valeur économique.

Retraite à 60 ans » Bernard Friot propose de « poser sa signification politique, donc contingente, conventionnelle, et en même temps source de droits garantis à un âge qui ne peut être laissé à l’initiative privée mais doit être le même pour tous, et obligatoire dans ses effets, comme l’est ”la majorité à 18 ans”

L’analyse d’une société selon la naturalisation de caractéristiques biographiques individuelles (comme l’appartenance à une génération), posées du coup comme des essences, empêche l’affirmation des logiques d’abstraction fondatrices d’un lien social politique.

C’est seulement à partir du rappel du mouvement qui a conduit au système de retraite actuel et à sa réussite, tant politique qu’économique, qu’on peut comprendre les objectifs de la réforme et ceux qu’on peut lui opposer pour prolonger un mouvement qu’elle tente d’interrompre

Retraite à 60 ans (Bernard Friot propose de) poser sa signification politique, donc contingente, conventionnelle, et en même temps source de droits garantis à un âge qui ne peut être laissé à l’initiative privée mais doit être le même pour tous, et obligatoire dans ses effets, comme l’est la majorité à 18 ans