Birdy Li

Lorsque je monte dans le bus bondé, je regrette immédiatement de ne pas avoir attendu le prochain. A peine ai-je pris place l'intérieur que je sens déjà le regard des passagers s'attarder sur moi. J'essaye de me rassurer en me disant que c'est surement à cause de ma tenue, après tout je porte un vieux short de sport, un débardeur en coton blanc miteux qui me colle à la peau et une paire de baskets tellement neuves qu'elles brillent, alors je dois être un peu ridicule. Seulement en face de moi, il y a une petite fille qui me fixe. Elle est mignonne. Elle a de longs cheveux châtains qui forment des anglaises, des grands yeux bleus, un visage tout rond et des tâches de rousseur. J'essaye de lui sourire, mais d'un air apeuré, elle tire sur le bas du T-shirt de sa mère et prononce les mots que je redoutais :



- Maman, elle a quoi la dame à la tête?



Sa mère pose alors les yeux sur moi et semble comprendre que j'ai entendu la question de sa fille puisqu'elle m'adresse un sourire désolé, avant de la prendre par l'épaule et de la mettre dos à moi.



- Arrête de la regarder.

- Pourquoi? Je vais faire des cauchemars?



La femme secoue la tête négativement alors que la gamine continue à me lancer des regards. Tristement, je détourne les yeux et défais mon chignon, faisant retomber mes cheveux devant mon visage, puis je fixe mon attention sur le paysage qui défile devant la vitre.

En sortant de chez le kiné, j'ai oublié que mes cheveux étaient relevés. D'habitude, j'ai le réflexe de les lâcher parce que c'est la seule solution pour éviter d'attirer encore plus les regards. Pourtant, aujourd'hui, j'ai gardé mon chignon. Peut-être parce que j'avais la tête ailleurs. Peut-être parce que comme il faisait chaud, inconsciemment je me suis dit que c'était mieux. Je ne sais pas pourquoi j'ai oublié, mais ce que je sais c'est que ça a apeuré cette petite fille et ce n'est sûrement pas la dernière fois que ça arrivera. Jamais je n'arriverais à m'habituer à ce que cet accident et Simon ont fait de moi.

J’ai déjà pensé à leur avouer que je participais aux fameuses courses de voitures illégales dont on parle dans les journaux. Seulement, j’ai vu leur réaction quand ils ont appris que Tristan en faisait. J’ai vu la colère sur les traits de papa et la peur dans les yeux de maman. Si jamais ils l’apprenaient, mon père m’enfermerait à double tour dans ma chambre et ma mère ne dormirait plus la nuit, se demandant ce qu’elle a pu louper dans son éducation, pour que sa fille cherche des sensations fortes, au point de risquer sa vie.

Être assise derrière le volant me procure la même sensation que lorsqu'on rentre à la maison après un long voyage un mélange de joie et d'apaisement. Dès que mon bolide va commencer à prendre de la vitesse, je vais oublier tous mes problèmes. Il n'y aura plus que Simon, le bitume et moi.
A l'arrêt sur la route de campagne que Simon a choisie, j'attends qu'il donne le départ, un sourire aux lèvres. L'endroit est parfait, à cette heure tardive personne ne circule ici et nous sommes à une distance raisonnable de Clermont-Ferrand. De ce fait, il y a très peu de risques que les policiers, qui font toujours la chasse aux Runs nous trouvent.

A côté de moi, Simon fait ronfler son moteur quelques secondes, avant de m'adresser un signe de tête, que je distingue à peine à cause de la nuit qui tombe. C'est le signal. Sans hésiter, j'appuie sur les pédales. La voiture démarre sur les chapeaux de roues, me plaquant au siège, et je ne peux m'empêcher de sourire. La vitesse m'avait manqué, pourtant cela ne fait que deux semaines que je n'ai pas pris le volant. Comment est-ce que je vais tenir sans les Runs? On ne pourra pas improviser ce genre de course toutes les semaines.

Simon me nargue en restant à l'arrêt ; je l'imagine très bien ricaner sous son casque, les yeux pleins de malice. Nous savons tous les deux très bien qu'il n'aura aucun mal à me rattraper, sa moto est plus puissante et bien plus maniable que ma petite voiture, ce qui est un atout indéniable sur une route comme celle-ci. C'est donc seule que je roule, à la puissance maximale, au milieu des arbres et de l'obscurité.

Dans un sens, il m'avait tout pris. Je n'avais qu'un but dans la vie : finir mes études, et il voulait aussi me prendre ça, pour que je n'aie vraiment plus que lui. C'était trop. C'est là que j'ai compris. J'ai compris que tout le monde avait eu raison et que j'avais été conne de ne pas les croire. J'étais avec lui pour les mauvaises raisons, l'amour m'aveuglait et j'étais seule. Je vivais pour lui, mais pas pour moi. J'étais loin d'être heureuse.

Nous rions, papotons, dansons et nous chamaillons avec une familiarité surprenante. Ça me fait plutôt plaisir, sachant que j'avais peur de faire rentrer en collision mes « deux vies. » Au final, comme souvent en ce moment visiblement, je me suis trompée, mais ce n'est pas plus mal. Passer des bons moments comme ça, ça permet de se vider l’esprit.

Ce qui me plaisait, c'était simplement que j'étais folle amoureuse et que je me sentais enfin utile pour quelqu'un. J'avais l'impression de rendre Kevin meilleur, d'être une sorte d'âme sœur qui contrebalançait ses défauts. Chaque fille pense pouvoir changer un Bad Boy, je ne dérogeais pas à la règle. Qu'est-ce que j’ai été stupide.

Je ne suis pas un trophée, ou je ne sais quoi. Tu ne peux pas t’amuser avec mes sentiments, sans t’attendre à ce que je réagisse. Je ne suis pas un passe-temps. Tout ce que tu me fais là me fait souffrir. Alors, pour une fois dans ta vie, agis comme un adulte et admets qu’entre nous, il ne peut plus rien y avoir.

"Si jamais il y a un demain ou nous ne sommes pas ensembles, promets-moi que tu te rappelleras toujours: tu es plus courageuse que tu ne le crois, plus forte que tu n'en à l'air et plus intelligente que tu ne le penses. Mais la seul chose la plus importante est, même nous sommes séparés, je serai toujours avec toi."
Tristement, je souris. Cette citation de Winnie l'Ourson nous correspondra toujours.

C’est définitivement fini entre toi et moi Kevin, il faut que tu te mettes ça dans la tête. Tu continues à revenir à la charge simplement par pure fierté. Je te connais. Seulement il faut que tu arrêtes. Il faut que tu grandisses et que tu arrêtes de croire que tout dans la vie n’est qu’un jeu.

On n'oublie pas un premier amour, c'est tout. Surtout quand il a été aussi fort que le tien. Si l'amour a été vrai, il y aura toujours quelque chose qui te le rappellera et quoi qu'il arrive, on est toujours attaché à lui d'une certaine façon.