Pendant un instant suspendu, je n’étais plus l’homme qui donne sa vie pour le football et qui aujourd’hui, ne vaut plus rien, car il ne peut pas s’exprimer sur un terrain. Elle me rappelle que le sport est à la fois ma plus grande source de bonheur, mais aussi une prison. Si je ne peux pas exprimer mon talent, qu’est-ce qu’il me reste ?
Son regard est vraiment intense et j’avoue que je peine également à regarder ailleurs. Vivement que le photographe le fasse se retourner, qu’est-ce qu’il lui prend d’ailleurs, je me sens mal à l’aise. Dans la salle tout le monde a les yeux rivés sur lui, et pourtant personne ne s’aperçoit de ce qu’il regarde réellement. Je ne sais pas comment associer le plaisir d’être le sujet de son observation à la gêne que cela me procure maintenant.
’est pas possible cette vision archaïque de la princesse en détresse qui a besoin d’être secourue ! Je suis indépendante, je ne serai jamais, jamais une petite chose qu’on peut briser alors, ne pense plus que c’est à toi de prendre des décisions qui me concernent !
Je profite de cette vue des jardins si bien taillés, de ce verre de Nero dʼAvola qui fait briller mes lèvres. Le soleil qui rejoint lʼhorizon nous aveugle légèrement et jʼai soudain envie de stopper ce moment doux pour une petite folie.
On dit souvent que les gens qui bossent en freelance sont plus adeptes de la procrastination, de la liberté et allergiques au cadre classique du salariat. Je suis tout l’inverse à vrai dire. Je fais à peu près la même chose tous les jours, un peu par confort, je l’avoue. Je travaille avec les clients qui me correspondent, je choisis comment je mène ma vie. Le salariat c’est limite dépassé. Bon j’exagère peut-être mais j’aime le contrôle que me procure ma vie indépendante.
On ne peut pas être insensible au sport quand on vit en Italie et surtout par rapport au football. Je ne suis pas une spécialiste et mes deux collègues du jour le savent. Je relis mes questions, une par une, à la fois pour me rassurer et pour avoir l’air plus naturelle pendant l’entretien. Je vois à ce moment-là qu’on arrive à l’entrée du Centre de la Juventus. Je m’adosse correctement à la banquette, je m’immobilise en respirant profondément. Je suis concentrée.
Quand on est premiers de Serie A, perdre contre une petite équipe n’était pas franchement l’idéal mais on sait que le manque de concentration en deuxième partie de saison peut avoir cette conséquence. Mais en plus, voilà que je suis blessé en plein mois de mars. C’est une période où on doit être au top pour gagner le plus de matchs possible mais il a fallu qu’un défenseur, pas assez rapide, vise ma cheville à la place du ballon.
Il est charmant voire séduisant, avec un petit tic à sourire ce qui me fait dire qu’il est au courant de son charme. Il a l’air en bonne forme physique, mais en même temps, son attitude le rend mystérieux. Il a des yeux bien marrons, c’est peut-être ça qui lui donne un côté énigmatique, ou peut-être ce sourire permanent alors que son visage peut paraître stricte avec sa mâchoire carrée. Il est franchement bien habillé mais bon pour un italien, ce n’est pas si spectaculaire. Quand j’étais enfant, j’avais un jeu avec ma grand mère, on s’arrêtait sur un banc et on regardait les gens qui passaient. Le jeu consistait à deviner ce que faisaient ces gens dans la vie. Là, à cet instant, quand je regarde cet homme en face de moi, je n’ai aucune idée de ce qu’il peut bien faire dans la vie.
Quel traquenard, je ne sais pas du tout quoi faire. Si je sais, mon instinct me dit de refuser. Ma zone de confort est une bonne protection. Accepter c’est sauter d’un avion sans parachute, c’est du stress sans aucune garantie que j’en ressortirai gagnante.
Jʼai été quelle genre de débile à avoir peur de ce que tu pouvais impliquer. Je nʼétais pas bête en réalité, je savais juste que ce type de situation merdique pouvait arriver. Je savais que je pouvais retomber dans cette fragilité totale.