Ce roman nous propose de suivre le destin de deux familles les Bernstein, Juifs américains, spécialisés dans la vente vintage, en devenant les rois du « seconde main » à Washington DC et la famille Oxenberg, soixante ans plus tôt à Iaşi, en Roumanie, où Jacques, le chef de famille est un obstétricien reconnu que l'on surnomme le médecin aux doigts beethovéniens.
Le patriarche Joe Bernstein a épousé Dora, au caractère bien trempé avec laquelle il a fondé une famille. Ils sont richissimes et tentent de s'implanter dans le monde entier et pourquoi pas commencer la Roumanie dont ils ont émigré il y a longtemps. C'est en se rendant sur place que Dora et son fils Ben font la connaissance d'une jeune femme Sanziana Stipuc, rebaptisée Suzy par Dora, qui leur a servi de guide dans la ville et qui deviendra l'épouse de Ben.
La société Bernstein Vintage Ltd prospère sur la vague du « seconde main », et tente de se donner bonne conscience en évoquant des oeuvres caritatives. En fait, ils sont capables de vendre de n'importe quoi, un blouson porté par un personnage connu, que des collectionneurs n'hésitent pas à payer pour des sommes exorbitantes.
On récupère des vêtements, chaussures, vieux vinyles, sacs à main par containers entiers, puis on recoupe, on reconditionne, on fait du neuf avec du vieux… On a recours à des employés hispaniques qu'on exploite allègrement, un sou et un sou, et on se donne bonne conscience en se targuant de secourir les sans-abris (homeless) et c'est bien connu, les pauvres sont prêts à acheter même s'ils n'en ont pas les moyens.
« Soyez bons pour les drogués, les vétérans et les clochards. Ce sont eux qui nous entretiennent. Ils nous acheté nos limousines. le drogué et le clochard nous payent notre Jaguar. Ce n'est pas pour rien que ça rime. Ils nous payent nos vacances en Europe. Ils assumeront vos frais d'études à l'Université. Sans eux, nous aurions la vie dure. Comme la leur. »
Jacques Oxenberg de son côté a épousé Roza qui est licenciée en lettres et travaille avec un ami Carol Drimmer à la traduction en allemand d'une « anthologie de la littérature roumaine ». ils ont deux enfants Lev et la petite Golda. Jacques est devenu le spécialiste de la césarienne pour que ces dames ne voient pas leurs corps abîmés par les accouchements et puissent garder le ventre plat et le périnée en pleine action, car il s'agit alors de ne pas laisser un époux partir avec une maîtresse plus jeune.
Tout va pour le mieux pour la famille Oxenberg, les gens de la haute société payent à Jacques des honoraires rondelets, mais l'antisémitisme s'avance sournoisement et tous ces gens ne vont tarder à le mépriser, le haïr car il est riche, à commencer par la bonne et son amant…
On découvre la trajectoire des deux familles, en alternance, et on constate que toutes les deux deviennent de plus en plus prospères. Suzy va tout faire pour s'intégrer sans la famille Bernstein (le mot veut dire Ambre), se plongeant dans la religion, les coutumes du Judaïsme, mais aussi l'Histoire de ce peuple, les persécutions, les pogroms, la Shoah…
Peu à peu, les Juifs vont être exclus de l'université, les nationalistes bons chrétiens vont monter en puissance à l'instar de l'Allemagne. On pousse les Juifs hors des trains, on frappe à la moindre occasion…
Le contraste s'accentue peu à peu entre les deux familles, l'une de plus en plus riche, l'autre de plus en plus en danger. On sent très vite qu'il y a forcément un lien entre elles. J'ai éprouvé beaucoup plus de sympathie pour la famille Oxenberg, malgré leur optimisme et leur naïveté parfois, refusant de croire à la réalité du danger. Par contre, le côté obsédé par l'argent des Bernstein, m'a souvent exaspéré, tellement américain, et j'ai souvent eu vraiment envie de leur mettre des paires de claques monstrueuses…
Catalin Mihuleac nous fait visiter la Roumanie, ses musées, ses artistes : musiciens, écrivains, les hommes politiques qui ont compté, les pourris et ceux qui ont fait preuve de courage, et surtout le pogrom de Iaşi . J'ai adoré son humour féroce dans la manière d'aborder aussi bien les Américains que les Roumains, sans concession aucune.
Un lien très fort se tisse entre Suzy et Joe Bernstein, une complicité bien plus forte que sa relation avec son époux. Ils discutent pendant des heures, lui racontant comment il a rencontré Dora, et finit par lui dire un jour que la famille a une ascendance roumaine. Tout au long du récit, une phrase revient souvent dans la bouche de Joe, phrase qu'il attribue à Danton et qu'il s'approprie en la modifiant un peu :
Sais-tu ce que disait Danton Suzy ? « on n'emporte pas son pays à la semelle de ses souliers. »
Sache-le Suzy, on n'emporte pas son pays à la semelle de ses souliers, mais on garde toujours un petit quelque chose dans le talon.
Il y a des scènes très fortes, les Juifs entassés dans ce train, en plein soleil, qui s'aident moralement en imaginant partager un repas, ou boire un bon café alors qu'ils n'ont rien à manger ni à boire, s'efforçant de respirer par le moindre petit trou entre les planches qu'on a clouées….
Une autre scène touchante : Golda, hypersensible, haute comme trois pommes, libérant ses canetons en plastique dans la mer Baltique, pour qu'ils puissent profiter de la liberté et trouver l'âme soeur. Elle est tellement à l'opposé de son frère Lev, qui n'a que l'argent en tête, allant jusqu'à créer une banque alors qu'il doit avoir dix ou douze ans, n'hésitant pas à racketter ses copains ou sa propre soeur !
J'ai beaucoup aimé ce livre et découvert plus en profondeur le pogrom de Iaşi. Je connais encore peu la littérature roumaine mais plus je découvre des auteurs, plus je l'apprécie, ainsi que son histoire et sa culture.
Un immense merci à NetGalley et aux éditions Noir sur blanc qui m'ont permis de découvrir ce roman et son auteur dont j'ai beaucoup apprécié la plume, la verve devrais-je dire et sa manière si particulière de raconter l'irracontable, car il y a des scènes très dures mais Catalin Mihuleac ne tombe jamais dans le pathos.
Je ne peux que vous inciter à lire ce roman magistral que j'ai pris le temps de déguster : il est des livres qu'on dévore, tenu par le suspense, et d'autres qu'on lit lentement, pour le faire durer comme une friandise.
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