Citations de Cath Crowley (68)
Cal et moi avons grandi à Gracetown. Nous avons déménagé pour Sea Ridge il y a trois ans, l’année de mes quinze ans. Mamie avait besoin qu’on s’occupe d’elle ; nous ne voulions pas qu’elle vende sa maison, et nous refusions de l’envoyer dans une maison de retraite. Nous passions déjà toutes nos vacances chez elle depuis notre naissance, été comme hiver, donc Sea Ridge était notre deuxième maison.
— Il ne reste plus qu’un an de lycée, dit Maman.
Peut-être, mais avant la mort de Cal, j’avais ma vie en main. J’avais d’excellentes notes, j’étais heureuse. L’an dernier, exactement à l’endroit où je me trouve en ce moment, j’avais dit à Cal que je voulais devenir ichtyologiste, pour étudier des poissons comme les chimères, qui ont évolué il y a quatre cents millions d’années. On avait essayé de s’imaginer le monde à cette époque.
— J’ai l’impression que l’univers s’est foutu de Cal, et de nous avec lui, dis-je à Maman.
Avant, Maman m’aurait expliqué avec calme et logique que l’univers rassemblait toute la matière et l’espace existants : le système solaire, les étoiles, les planètes et les galaxies, qui s’étendaient sur dix milliards d’années-lumière de diamètre. Tout ça n’avait tout simplement pas la capacité de se foutre de qui que ce soit.
Ce soir, elle s’allume une cigarette.
— C’est le cas, dit-elle en soufflant sa fumée vers les étoiles.
Cher Henry,
Je laisse cette lettre à la page de « La chanson d’amour de J. Alfred Prufrock » parce que tu aimes ce poème et que moi, je t’aime. Je sais que tu es avec Amy, mais bordel… elle ne t’aime pas, Henry. En fait, elle n’aime qu’elle-même, ça, c’est certain. Et moi je t’aime. J’aime que tu dévores les livres, que tu préfères ceux d’occasion. J’aime pour ainsi dire tout chez toi, et je te connais depuis dix ans, ce n’est pas rien ! Je pars demain. S’il te plaît, appelle-moi quand tu trouveras cette lettre, même s’il est tard.
Rachel
Les mots ne guérissent pas le cancer, ils ne ramènent personne des morts. Les romans non plus. Ils n'ont aucune utilité pratique. J'ai adoré que tu me lises ce poème ce soir-là, mais le monde n'a pas changé pour autant.
C'est peut-être l'effet de surprise, je ne sais pas, mais en tout cas je perd totalement le contrôle et un gros rire ronflant me sort par le nez.
-Et n'écoute pas ce qu'on dit, ajoute-t-il. Les mecs adorent les filles qui rigolent comme des phacochères après les avoir écrasés. Non vraiment, c'est hyper sexy.
Je ronfle de plus belle.
-On va pouvoir payer le loyer. Le grand méchant loup devra réessayer le mois prochain.
Je lui fais une tasse de thé avant de repartir. La grand méchant loup en a après nous en ce moment, mais cela ne durera pas toujours. J'imagine un mur: une meute de chiens sauvages qui courent, et moi qui leur cours après, en uniforme de chez McDonald's. C'est toujours mieux qu'un pyjama orange.
Maman dit que quand ce qu'on veut et ce qu'on a entrent en collision, c'est l'heure de vérité. Je désire cette collision. Je veux heurter l'ombre de plein fouet, et que le choc éparpille nos pensées, et que nous les ramassions pour les échanger et les empiler en tas de galets luisants.
Si le passé existe, alors pourquoi on ne peut pas y aller ?
Personne n'a de raison de se lever. La vie ne sert à rien, pourtant tout le monde se lève le matin. C'est comme ça que fonctionne l'espèce humaine.
"Je lui raconte comme c'est agréable quand on aime et qu'on est aimée sans ambiguïté."
"Je me demande comment elle pourrait oublier quelque chose comme ça et comment elle peut continuer à vivre si elle n'oublie pas."
"Les mots ne nous empêchent pas de mourir. Ils ne nous rendent pas les morts. C'est la mort qui est la plus grande, dans le grand dessein de l'univers."
"la transmigration de la mémoire qui se produit en permanence : sauver les gens de la seule manière possible, retenir les morts parmi nous grâce à leurs histoires, à leurs traces laissées dans les pages, à leur passé. C'est une très belle idée tout à fait possible, selon moi."
"Les choses se perdent, mais il arrive qu'elles reviennent. La vie ne se déroule pas toujours dans l'ordre qu'on voudrait."
Qu'est-ce que j'ai perdu ? Qu'est- ce que j'ai perdu, moi ? Tout, espèce d'abruti. J'ai perdu plus que toi, ça c'est certain. J'ai perdu Cal. Mon ancienne mère, mon ancien moi. J'ai perdu un océan entier.
Je pense à la transmigration de la mémoire. [...] qui se produit en permanence:sauver les gens de la seule manière possible, retenir les morts parmi nous grâce à leurs histoires,, à leurs traces laissées dans les pages, à leur passé.
On devrait tuer les victimes de l'amour à sens unique. On devrait simplement nous abattre à la seconde où ça se produit.
— Tu devrais lui dire que tu veux qu'elle revienne, m'a conseillé Bert après son départ.
— Ou pas.
— Qui ne risque rien n'a rien.
Il a terminé sa bière.
Je suis resté derrière le comptoir, à passer en revue toutes les manières de la récupérer, mais chacune menait au même point : moi lui avouant que je restais ici, et elle partant sans moi. J'avais la sensation que le monde était trop étroit.
J'ai raconté à Bert que je devais partir tôt et ai emporté une bombe de peinture; mon cerveau s'est éteint et mes mains se sont allumées à la place. Je me suis évadé sur le mur. J'ai peint un fantôme enfermé dans un bocal. En reculant pour mieux le voir, je me suis rendu compte que le plus triste n'était pas qu'il allait manquer d'air. Le plus triste, c'est que dans cet espace confiné, il avait encore assez d'air pour toute une vie. À quoi pensais-tu, petit fantôme ? Te laisser piéger comme ça ?
Néanmoins, aux funérailles, quand tout le monde avait fini par quitter la chapelle, j’étais restée. J’attendais le fantôme de Cal. Je n’y croyais toujours pas, mais j’avais cette idée folle que, puisqu’il y croyait, ça pouvait être possible. « Tu vois, Rach, me voilà », aurait-il dit en levant les bras pour me montrer le soleil qui brillait à travers lui. Mais les fantômes ne sont que poussière et imagination, et le directeur du funérarium avait fini par me demander poliment de m’en aller. Une autre cérémonie allait commencer.
Le passé m’accompagne, l'avenir est changeant, encore indéfini. C'est à nous de l'imaginer se dérouler devant nos yeux, rempli de la lumière du soleil, d'un bleu profond et des ténèbres.
Je garde les yeux sur la route avec l'étrange sensation que si je tourne la tête vers le siège, il est possible que Cal soit là. Je lui dis qu'il avait raison, que j'ai pardonné à Henry. Je lui raconte pour Maman, et comment sa mort nous a changés.
"C'est nécessaire, me dis-je. Une mort doit nous changer pour toujours. Aucune mort ne devrait être pareille."
Parler tard le soir, pour décrypter le monde à l'aide de la science et de la littérature.
- Est-ce qu'on s'est embrassés hier soir ?
- Oui, on s'est embrassés. Et puis j'ai couru aux toilettes et j'ai bu directement dans la cuvette.
- Un simple "non" aurait suffit, Rachel.
Si on baissait tous les bras chaque fois qu'il faut faire des efforts pour sauver ce qu'on aime, le monde serait perdu.
Le passé m'accompagne, l'avenir est changeant, encore indéfini. C'est à nous de l'imaginer se dérouler devant nos yeux, rempli de la lumière du soleil, d'un bleu profond et des ténèbres.