Après votre premier roman, L`attente, publié l`an dernier, comment en êtes-vous venue à écrire des nouvelles ?
Elles étaient déjà en gestation au moment où L`attente a été publiée. J`aime les nouvelles, les histoires courtes qui campent des situations, des personnages, des moments. Cela oblige à la concision, à épurer pour ne garder que ce qui donne de la vigueur aux histoires.
La fréquentation des à-pics est un recueil de nouvelles, qui capturent toutes un moment clé de la vie de femmes, un point de bascule, ou bien des peurs, des préoccupations. Qu`est-ce qui vous a amené à cristalliser ces situations dans des nouvelles ?
Pour celles qui ont un caractère autobiographique, la trace qu`elles ont laissée en moi. Pour les autres, la volonté d`éclairer des épreuves particulières que presque toutes les femmes vivent, à un moment ou à un autre : la peur d`être enceinte, d`avoir un enfant anormal, la surprise de constater qu`un regard d`homme peut être prédateur, cet étonnement qui vous déniaise en un quart de seconde, le fait d`être confrontée à la maladie ou à la mort, de devoir s`en occuper sans être préparée, la perplexité face aux mystères de l`enfance, la découverte que vous n`avez que peu d`emprise sur le comportement, la psychologie de vos enfants. La vie, et en particulier celle des femmes, est jalonnée de ces apprentissages abrupts. J`ai remarqué qu`on change par à-coups successifs, et pas trop sur un mode linéaire, exactement comme se fait la croissance des enfants. Ainsi des évènements ou des paroles simples et soudains peuvent vous faire bouger d`un coup alors que vous êtes resté longtemps inerte. Ce sont ces passages qui m`intéressent et que j`ai voulu décrire.
Les sujets que vous abordez dans vos nouvelles sont souvent graves, tristes, et pourtant vous parvenez toujours à en déceler les côtés lumineux. Est-ce l`acte d`écriture qui a éclairé rétrospectivement ces récits ou bien est-ce votre façon naturelle d`appréhender les évènements de la vie ?
Je crois être positive, sur le fond. Et souvent optimiste. Lorsque je ne le suis pas c`est par prudence, pour me prémunir d`une possible déception. Mais j`espère, le plus souvent. Et j`écris avec cette croyance que d`un mal peut naître un bien. Sans cela je trouve la condition humaine trop dure. Et lorsque tout est noir, je cherche des échappées. Dans la vie on ne les trouve pas forcément. Dans l`écriture les mots aident.
Dans le bal américain, qui est la première et la plus longue nouvelle du recueil, vous racontez l`histoire d`une femme qui choisit de ne pas faire comme les autres, à la sortie de la deuxième guerre mondiale. Quel est votre sentiment envers ce personnage ? Que représente-elle pour vous et pour l`époque ?
Je dis d`elle qu`elle est une pionnière. Elle prend tous les risques de la liberté à une époque où les garde-fous n`existent pas. Elle ressemble très fort à une fille d`aujourd`hui qui aurait un gros appétit de vie et de liberté, mais l`époque n`est pas mûre. Elle est en avance, hyper-moderne et donc en décalage avec cette société des années cinquante et soixante enferrée dans des modèles proches de l`explosion. Elle persiste à ne faire aucune concession au miroir social, et le paye de sa marginalité. Aujourd`hui il y a beaucoup d`Irène autour de moi, mais elles ont la pilule, le droit à l`avortement, une indépendance financière… On ne les voit plus. Elles se débrouillent. Pour qu`on en soit là, il a fallu des « Irène », des filles qui ont transgressé les règles du jeu et tracé la route. Cette première nouvelle c`est un peu un hommage aux pionnières.
Vous vous adonnez à un numéro d`équilibriste en mettant des mots sur des instants de la vie où celle-ci ne tient souvent qu`à un fil. Et les lecteurs peuvent aisément se retrouver dans bons nombres de situations. Comment parvient-on, dans ces cas-là à trouver les mots justes ?
Je ne sais pas. Je les cherche à chaque fois. C`est un travail, et ça me prend la tête, à vrai dire.
Toutes les nouvelles sont précédées d`une date, mais leur enchainement n`est pas chronologique. Pourquoi ce choix ? Quelle est pour vous l`importance du temps ?
J`aime situer. Lieu, temps. C`est difficile de raconter des histoires en faisant abstraction de cela. Quant à l`ordre des nouvelles, je voulais que le bal américain soit en premier car il s`intéresse à tous ces verrous que les femmes ont fait sauter plus tard. C`est « l`avant ». Pour les autres nouvelles, on commence par une histoire qui est une sorte de naissance et on termine par une mort. Entre deux l`ordre des histoires est un peu intuitif, j`en ai essayé plusieurs et puis celui-ci s`est imposé.
Le temps est indissociable de l`identité humaine. L`homme est une espèce qui a du temps, en fait. En terme d`espérance de vie, nous avons beaucoup plus de temps que la plupart des créatures animales. On peut envisager des constructions. Mon premier livre, L`attente, parlait aussi de temps, j`y ai numéroté les jours.
La plupart de vos nouvelles portent des voix de femmes, ou de filles. Sauf une qui donne la parole à un homme. Quel est votre sentiment en tant qu`auteur lorsque vous créez un narrateur masculin, placé au milieu de toutes ces femmes ?
C`est une nouvelle sur l`impossibilité d`enfanter et la vie qui passe sans enfant. Je la trouvais plus intéressante du point de vue de l`homme. de cet homme resté fidèle malgré l`échec à enfanter. Sa façon particulière de vivre avec cette douleur, de la transformer, de fantasmer les enfants qu`il n`a pas eus. Sa façon d`être père quand même, avec les enfants des autres. Je trouvais cela plus inédit, et à travers lui on voit bien la femme qui n`a pas été mère.
J`aime bien me glisser dans la peau d`un personnage masculin. Dans le livre il arrive un peu comme un intrus dans un gynécée, mais l`histoire touche au rôle dédié à la femme depuis la nuit des temps : mère.
Songez-vous maintenant à écrire un autre livre ? Quelle en sera l`essence ?
Oui, il y a plusieurs possibilités. Je ne sais pas en parler encore.
A propos de vos lectures :
Quel est le livre qui vous a donné envie d`écrire ?
Il y en a beaucoup. L`oeuvre au noir de Yourcenar,Le roi des Aulnes de de Michel Tournier, Un barrage contre le pacifique de Duras, La Douleur, idem, La place d`Annie Ernaux, Les choses de de Perec …
Quel est l`auteur qui vous a donné envie d`arrêter d`écrire (par ses qualités exceptionnelles...) ?
Houellebecq. « Les particules élémentaires », c`est final, comme on dit.
Quelle est votre première grande découverte littéraire ?
Zola, au collège.
Quel est le livre que vous avez relu le plus souvent ?
Je ne relis pas les livres en entier. « La Possibilité d`une île », pour le poème, je le relis souvent.
Quel est le livre que vous avez honte de ne pas avoir lu ?
A la Recherche du temps perdu.
Quelle est la perle méconnue que vous souhaiteriez faire découvrir à nos lecteurs ?
Un livre tendre et drôle, parfois féroce, de Sybil de Ligny sur la vie en maison de retraite : La déroute de l`hippocampe.
Quel est le classique de la littérature dont vous trouvez la réputation surfaite ?
Qui suis-je pour juger des grands classiques ? Je m`abstiens.
Avez-vous une citation fétiche issue de la littérature ?
Non. En citations, je ne me lasse pas de celles de Churchill. Ce n`est pas de la littérature, mais de la politique, ou simplement du bon sens. Un exemple : le pouvoir de l`homme s`est accru dans tous les domaines, excepté sur lui-même. Et un autre, hilarant : Une pomme par jour éloigne le médecin, pourvu que l`on vise bien.
Et en ce moment que lisez-vous ?
Satellite Sisters, de Maurice Dantec.