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Citations de Cécile Balavoine (40)


Le soir commence à tomber sur New York en cette fin du mois d’août. Il est un peu plus de vingt heures. Je retrouve le parfum de sel et de fruits mûrs, si typique de l’été qui s’étiole, odeur qui ne m’a jamais quittée même lorsque je suis loin.
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Nous étions entrées dans une librairie où nous avions flâné dans cette odeur de papier frais, cette odeur qui donne envie de mordre, comme dans un pain de pâte d’amande.
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Céline avait un rôle à tenir, qui à la fois me dépassait et se situait bien en deçà de ce que j'avais pu vivre. Elle avait une mission, une mission narrative, et elle s'en acquittait fort bien, tandis que moi, j'avais traversé notre histoire comme on s'engage sur une mer agitée, désorientée, portée par les courants, entre fascination, frayeur et tendresse, entre colère, rejet et attirance, jour après jour, sans désirer jamais savoir où nous accosterions. L'écrivain avait fait de moi une autre. Un double. C'était un peu une mort, et un peu une naissance.
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- Quand rentres tu à l'hôpital, quand te fais-tu opérer ? Je viendrai te voir tout de suite.
- Hors de question, tu ne vas pas venir me voir alors que je serai à moitié mort !
- Mais si tu n'es qu'à moitié mort, c'est que tu seras encore vivant !
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Derrière les vitres du salon, la pointe de Manhattan piquait un ciel torrentueux, gavé de roses, de mandarines et de violettes qui fusionnaient comme sous l'effet d'un doigt.
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Il m'était nécessaire de lui confier les épisodes les plus précieux ou les plus saisissants de mon existence, car ils s'ancraient ainsi dans la réalité, s'apaisaient s'ils étaient douloureux, s'amplifiaient quand ils étaient heureux.
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...quelle compassion j'avais pour lui, quelle curiosité j'avais de ses histoires, de ses mots, de sa guerre, de ses parents, de tous ces gens qu'il avait pu aimer bien avant nos naissances.
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C’était la première fois que je sentais vraiment, je veux dire dans mon corps, dans mes fibres, l’impact que pouvait avoir le fait d‘écrire sur soi et ceux qui nous entourent. À celui même qui non seulement pratiquait l’autofiction mais qui l’avait pensée, théorisée, j’étais parvenue à faire mal par mes mots. Dans Le livre brisé, il avait écrit, Si on avait un crâne en verre, si on pouvait se lire mutuellement dans les pensées, pas un couple qui n’éclaterait au bout d’une heure. Je lui avais sans doute montré, sans pudeur, l’intérieur de mon crâne, du moins la part qui éprouvait encore de la colère et un léger dégoût. p. 166
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Un jour, peu après sa sortie de l’hôpital, il avait demandé à notre groupe d’écriture de le retrouver chez lui plutôt que dans la salle de conférences à l’université. Il était encore trop faible pour quitter son appartement. J’étais donc arrivée en compagnie des autres, Hassen, Chris, Marguerite, Jean-Philippe, un peu gênée tout de même. La porte était fermée, il avait mis un certain temps à venir nous ouvrir. Nous avions disposé quelques chaises autour du canapé. Je m’étais installée en retrait avec Chris tandis que Marguerite avait trouvé sa place en face de lui, sous le portrait de Proust. Nous avions lu nos textes; lui commentait, corrigeait, suggérait, pérorait dans son antre en souriant, tandis que moi, je me sentais dessaisie, abandonnée, dépossédée, leurs présences m’oblitérant, je les regardais dans ce décor qui m’était si intime, que tous, ou presque, connaissaient car nous y avions dansé ensemble, dans ces soirées qui s’achevaient au petit matin, mais ça n’était plus moi, la maîtresse de céans. En les invitant, il me semblait qu’il me chassait un peu, que Marguerite, qui trônait devant lui, me destituait. Je n’avais plus ma place. p. 124
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J’avais remarqué qu’il se confiait plus volontiers depuis qu’il avait découvert que j’avais lu quelques-uns de ses livres. Au printemps, avant son retour à Paris, à la suite de son cours sur Molière, je m’étais inscrite à son séminaire sur l’autofiction, terme qu’il avait inventé vers la fin des années 70 pour désigner le fait d’écrire sur soi quand on n’était personne. Il était fier de ce mot qui avait fait florès, comme il disait. Et il aurait voulu que sa mère, qui l’avait d’abord rêvé en violoniste puis finalement en écrivain, voie ce succès. Malheureusement, elle était morte trop tôt pour en être témoin. p. 36
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INCIPIT
L’inquiétante étrangeté
C’était la première fois qu’il m’invitait. J’avais sonné, les bras chargés de soleils. Sa voix s’était aussitôt fait entendre. Il me priait d’entrer. J’avais trouvé la porte entrebâillée et lui assis sur le grand canapé du salon, pliant le New York Times. Il s’était levé, s’était saisi des fleurs, un peu surpris, les avait disposées dans le vase en cristal qu’il était allé chercher dans un placard de la cuisine, ce que j’avais pu observer puisque ladite cuisine n’avait pas de porte et qu’une large ouverture, sorte de bar, la reliait au salon. Puis, posant le bouquet sur une vieille table en chêne, placée sous un lustre en étain, il m’avait demandé quelle chambre je comptais choisir. La question m’avait semblé tout à fait naturelle, même si je n’étais jamais venue chez lui. Les lieux ne m’étaient pas inconnus, il le savait, tout comme moi je savais que je ne choisirais pas la chambre bleue, avec les lits jumeaux et les vestiges de sa vie conjugale. Ni non plus celle, proche du salon, où il lisait et travaillait. Il m’avait conduite à travers les pièces et quand nous étions arrivés devant un cagibi, dans le couloir, juste avant la grande chambre du fond, celle qui lui servait de bureau, la plus grande, avec sa salle de bains et son dressing, il m’avait déclaré que, s’il venait à mourir, il me faudrait en briser le cadenas afin de rassembler ses manuscrits et les remettre à l’institut dont j’ignorais alors le nom, qu’il m’avait aussitôt noté sur un morceau de papier. Il aurait pu tout simplement me dire où se trouvait la clé du cadenas à briser. Mais il ne m’en avait rien dit et j’avais, dans une sorte de panique, pensé que je risquais de ne pas savoir comment m’y prendre, n’ayant jamais brisé de cadenas.
Je m’étais rassurée en me répétant que je n’aurais pas à le faire. Il reviendrait. Bien sûr qu’il reviendrait. Pourquoi, de quoi serait-il mort à Paris ? Il n’était pas si vieux. Du moins avais-je conscience qu’il n’était vieux que de manière relative à mon âge. Il était vieux parce que moi j’étais jeune. Je venais tout juste de fêter mes vingt-cinq ans. Lui, bientôt, en aurait soixante-dix. Nous étions tous les deux nés en mai, lui à la fin, moi au début. Il n’était pas si vieux, je le savais. Mais il parlait souvent de sa mort, lorsque nous conversions parfois, dans l’ascenseur, le jeudi soir, avant de nous quitter sur University Place ou devant la bibliothèque de New York University, massif bâtiment rouge face à Washington Square. Il me parlait de la mort qui le guettait et de la mort qui l’avait déjà guetté, autrefois, étoile jaune au revers de sa veste. J’étais cependant certaine qu’il lui restait au moins deux décennies, peut-être trois s’il avait un peu de chance. Il reviendrait. Et quand il reviendrait, le parquet de la chambre que j’aurais choisie serait briqué à la cire ; sur son bureau, il y aurait un bouquet dans le vase en cristal où baignaient maintenant mes soleils ; la cuisine, récurée, sentirait le vinaigre blanc.
Nous étions finalement entrés dans la chambre du fond, avec ses étagères de livres qui recouvraient les deux pans de murs latéraux, avec l’immense fenêtre qui ouvrait sur Soho et sur les Twin Towers, avec le grand bureau auquel il écrivait. J’avais fini par décréter que c’était là, dans cette chambre, que j’allais m’installer. Et aussitôt, de sa voix caverneuse, qui m’était devenue familière au fil des mois, il m’avait rétorqué, sans aucun embarras, Nous coucherons donc ensemble par chambre interposée ! Il avait ri, cette fois d’une voix de fausset, aiguë, malgré son timbre autrement très profond. J’étais restée un instant sans bouger, figée, honteuse. Peut-être un peu flattée au fond.
Pourtant, en quelques secondes, je m’étais imaginé ce qui se serait passé si j’avais joué l’outrée : je serais partie sur-le-champ, claquant la porte pour qu’il me coure après, pour qu’il s’excuse, pour qu’il m’implore devant les ascenseurs du douzième étage, dans le corridor éclairé aux néons. Pourquoi m’étais-je imaginé cette scène alors que je me tenais là, sans intention de m’en aller, heureuse dans sa grande chambre qui serait bientôt la mienne, détournant le visage pour éviter qu’il ne remarque que sa muflerie me faisait sourire, et même plaisir ? J’avais honte, j’aurais dû avoir honte, mais je savais très bien, il était impossible de me mentir à moi-même sur ce point, que je n’avais peut-être rien attendu, cette année-là, d’autre que cela : QU’IL ME VOIE.
Nous avions finalement quitté la pièce, nous marchions l’un derrière l’autre sur le parquet fait de petits carreaux de bois pour retourner au salon. Je m’étais installée sous un portrait de Proust pâle, catleya à la boutonnière, sur l’immense canapé fleuri, fané, affaissé par les ans, dont le velours restait pourtant très doux et pelucheux. Il s’était éclipsé, était revenu avec deux verres, m’avait servi du vin, s’était assis en face de moi, était demeuré silencieux un instant. Puis, lentement, presque grave, articulant chaque mot, il m’avait dit :
— J’aimerais vous demander un service.
Je ne sais plus ce que j’avais répondu, sans doute que j’étais ravie de pouvoir l’aider mais en quoi ? J’avais sûrement accompagné ma réponse d’un geste séducteur, passant une main dans mes cheveux ou souriant tête penchée.
Derrière les vitres du salon, la pointe de Manhattan piquait un ciel torrentueux, gavé de roses, de mandarines et de violettes qui fusionnaient comme sous l’effet d’un doigt. Les Twin Towers s’allumaient peu à peu, et l’on devinait, au tout dernier étage de la tour nord, une lumière rouge montant comme en un trait, peut-être un escalier roulant bordé d’un éclairage.
J’attendais. Qu’allait-il me demander ? Il hésitait, prenait son temps, son souffle. Il paraissait troublé, comme s’il n’était pas sûr que je puisse accepter.
— J’aimerais vous demander, avait-il fini par me dire, s’interrompant à mi-phrase. J’aimerais vous demander de me renvoyer mon courrier à Paris.
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Je comprenais maintenant que s'il n'avait été ni un amant ni vraiment un ami, ni un grand-père ni tout à fait un confident, que s'il n'existait pas de mot pour qualifier ce lien qui nous avait unis et qui continuerait probablement de nous unir, Serge était devenu un repère de ma vie.
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Et pour la première fois ce soir-là, j'avais compris, en lui parlant, qu'il me serait toujours nécessaire de revenir auprès de lui pour déposer entre ses mains les événements marquants de mon existence.
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Ce devait être le mois de mai, ou peut-être de juin. Je me souviens que j'avais envoyé à Doubrovsky une carte de Key West, depuis la maison d'Hemingway. Je me souviens aussi d'avoir omis volontairement de mentionner la présence de l'amant zurichois. J'avais conscience de l'étrangeté de mon geste. J'avais conscience de ma duplicité, mais je ne savais pas pourquoi elle m'était nécessaire.
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Il avait saisi son verre, avait fermé les yeux, savourant sa gorgée. Puis il avait regardé droit devant lui, comme si je n'existais plus.
— Vous devriez écrire.
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C'était donc lui, cet homme que j'avais tenu pour mort, dont j'avais cru qu'il n'existait qu'entre les pages de livres écornés, dans les rayons de bibliothèques obscures. C'était troublant de le voir enfin, après m'être délectée de ses tragédies, de ses frasques et de ses ébats, au bord d'une piscine, dans un jardin, dans les trains, entre mes draps, sur des bancs.
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J'avais honte, j'aurais dû avoir honte, mais je savais très bien, il était impossible de me mentir à moi-même sur ce point, que je n'avais peut-être rien attendu, cette année-là, d'autre que cela : QU'IL ME VOIE.
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J'avais alors compris que la vie ne s'arrêtait pas mais qu'elle se transformait. J'en avais eu la certitude en constatant qu'une amitié naissait à la dernière extrémité. Je m'étais dit alors que tout était toujours possible. Et j'en avais conclu ou plutôt éprouvé physiquement, que la vie n'était qu'une infinie métamorphose, la mort n'étant plus que la plus ostensible de toutes. p120
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« l’écrivain avait fait de moi une autre. Un double. C’était un peu une mort, et un peu une naissance. »
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Près de cette photo s'en trouvait encore une de lui, jeune cheveux très bruns, crépus, méconnaissable, nez aquilin, méconnaissable. Je m'étais retournée pour le regarder, le comparer. Je le trouvais plus beau maintenant, plus vieux mais bien plus beau qu'il ne l'avait été autrefois comme s'il s'était ajusté à lui même.
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