Dans cette interview, Cécile Baudin nous parle de son nouvel ouvrage "Marques de fabrique".
Un voyage dans le temps en pleine révolution industrielle. Deux héroïnes, sans se connaître, enquêtent sur deux mystères imbriqués l'un dans l'autre. Morts suspectes, disparitions inquiétantes dans l'univers de la soie et de la filature
"Marques de fabrique" est disponible dès à présent en librairie.
Pour en savoir plus : https://www.lisez.com/livre-grand-format/marques-de-fabrique/9782258201057
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A voix basse, elle lui présenta les aliénations incarnées autour d’eux, comme autant d’esprits démoniaques ayant pris possession des corps : les plus courantes étaient la manie, incompréhensible suite de périodes euphoriques aussi exaltées que morbides, et la lypémanie, une forme pathologique de mélancolie absolue et permanente dont les malades ne parvenaient pas à se défaire.
La peur est comme le loup : elle ne se commande pas. Elle attaque dès que l’on a quelque chose à perdre, à la moindre faiblesse révélée.
Ce qu’elles mangeront, l’heure de leur réveil, de leur toilette, de leur coucher, tout ce qu’elles feront entre les deux, le moment de la matinée où elles iront se soulager, le choix de leur activité récréative, tout respectera désormais le règlement à la lettre. Au moins pendant trois ans, et, pour la plupart d’entre elles, jusqu’au mariage. La plus vieille de ces filles n’a pas quatorze ans.
Au-dessus d’eux, un peu plus loin devant, on reconnaît la forme d’un homme, pendu par le cou, bien qu’il paraisse également retenus par les bras, dans une posture grotesque d’oiseau en vol. Le visage n’est pas discernable, car la tête penche en avant, menton sur la poitrine, selon un angle biaisé et impossible. Claude comprend que les fils précieux avec lesquels l’homme s’est entravé ont entaillé près de la moitié du cou, comme du beurre, détachant partiellement la tête du corps.
Ce n’est rien de dire que le malheureux ne tient plus qu’à un fil…
S'il n'y avait eu qu'elle, cette enquiquineuse, et eux, ces étranges sosies, Edgar serait retourné à ses développements photographiques et à ces procès-verbaux qu'il envoie pompeusement au procureur, prétextant les avoir rédigés lui-même.
Mais il y a l'âcre douceur de la Saône, et la talentueuse cuisinière de Julien. Il sent déjà l'odeur salée de la petite friture qu'elle lui prépare, à peine farinée et citronnée, encore frémissante à la sortie du bain d'huile, comme si les poissons frétillaient encore.
Jacquet est enfin arrivé au plus près du bord. Il pose sa lampe sur la glace, à sa gauche. Il râle déjà à l'idée qu'il va lui falloir ouvrir son pantalon de velours, puis son caleçon, et offrir ce qu'il a de plus précieux à la morsure de l'hiver. D'expérience, il redoute le moment où il devra viser le plus loin possible, avec un sexe réduit à la taille d'un goujon, et pas beaucoup plus facile à attraper.
Le lendemain, Claude est contrainte de se grimer à nouveau (...). A la fabrique, c'est ainsi qu'on la connait, avec ses cheveux plaqués sur son crâne et sa moustache élégante. Un gilet d'homme et une redingote sévère sur son torse plat.
Si elle se présentait subitement en tant qu'elle-même, on ne se dirait pas qu'elle était auparavant déguisée en homme. On en déduirait plutôt que l'homme a rasé sa moustache et s'est travesti en femme. Il est curieux de constater que chez les gens, la première vision reste toujours la référence, comme un ancrage automatique de la raison. Ce réflexe doit jouer bien des tours à de nombreuses personnes.
Claude en est la preuve vivante.
Cette hiérarchisation des taches permet de coller à l’ordre naturel, les hommes étant mieux payés que les femmes, et les enfants, moins que les adultes. La rentabilité est à ce prix : la concurrence grandit, avec la Grande-Bretagne notamment, et les cocons doivent désormais s’importer du Japon.
Là où le diable ne peut atteindre, il y envoie la femme...
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Emission du 7 juin 2023