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Citations de Charles-Ferdinand Ramuz (534)


Mais voilà que, comme il arrivait devant chez lui, la plus grosse des cloches laissa tomber un long son sourd. ...
Boum!... Il y a quand même grand peine chez les hommes. Où qu'on soit, quoi qu'on puisse faire, on est en face de la mort. Elle ne permet pas qu'on l'oublie: qu'un instant on n'y pense pas et elle se rappelle à vous.
...
Boum! Seigneur notre Dieu, protégez-nous dans notre affliction; on ne peut rien sans vous, sans vous on n'est rien, on a terriblement besoin de vous, Seigneur notre Dieu, dans notre misère ayez pitié de nous, Seigneur.
[Joseph voit son enfant mort et sa femme morte qu'on ensevelit] ... ; mon Dieu! est-ce possible, c'est mes entrailles qui s'en vont, c'est le coeur de mon coeur, c'est la pensée de ma pensée. C'est le meilleur de moi, la promesse de mieux encore; elle était ma seule vendange, la vraie richesse de mon grenier. ... "On a coupé le noyau de ma chair, on a ôté la bonne amande." A ce moment, les mottes tombèrent sur la caisse, il poussa un cri, on l'emmena.
(chapitre IV - i)
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Qu'est-ce qu'il faudrait pour qu'on soit heureux?Dix francs par jour, serait-ce assez? Mettons-en tout de suite quinze. Et encore, il ne faudrait pas qu'on fût obligé de les gagner: il faudrait que ces quinze francs vinssent tout seuls, à date fixe, comme ce que les riches appellent leurs rentes: c'est de l'argent qui a des égards pour vous et se présente à vous, le chapeau à la main. Alors je me sentirais un homme.
(1ère édition, Mercure de France, 1914, chapitre III - ii)
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CHANSON


Les petites filles rondent —
robes rouges, jupons blancs —
les petites filles rondent, c’est dimanche, il fait beau temps.

« Laquelles prendrez-vous de ces belles
demoiselles,
lequel prendrez-vous de ces beaux
petits messieurs ? »

Les petites filles rondent
sur la place du village,
les petites filles rondent —
robes brunes, jupons bleus.

« La plus belle du rond qui s’appelle,
qui s’appelle,
la plus belle du rond qui s’appelle
Madelon. »

Les petites filles rondent —
robes grises, jupons gris —
la nuit vient, la lune est blonde
et la lune leur sourit.
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On ne savait plus si on était dans du bruit ou du silence. On était dans de la musique, qui n'est ni silence, ni bruit. Elle annonce, elle prépare, elle commente; elle est en même temps en vous et hors de vous.
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CHANSON DEVANT LA GUERITE


Fille de l’air, rêverie,
compagnonne du soldat,
le jour est long sous la pluie ;
tu reviens, le jour s’en va.

Compagnonne, compagnonne,
entends tousser les chevaux ;
la soupe n’était pas bonne,
le rata n’était pas chaud.

Ceux que j’aime, est-ce qu’ils m’aiment ?
Est-ce qu’ils pensent à moi ?
Ça ranimerait quand même,
ça serait bon par ce froid.

Une surtout, dans sa chambre,
allant prendre mon portait,
et, ayant été le prendre,
longtemps le regarderait...

Je sors le sien de ma poche,
te voilà, ma grande amour !...
Mais gare si on approche,
j’en serai pour mes vingt jours.
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Les Quatre-Heures


À quatre heures, sous un arbre, on boit le café.

Une petite fille bien sage
l’a apporté dans un panier
avec le pain et le fromage ;
il n’est ni trop froid ni trop chaud
il est tout juste comme il faut.

Les hommes et les femmes sont assis en rond,
chacun sa tasse à la main ; ils parlent
du temps qu’il fait, de la moisson
qui va venir, et des ouvrages
qui changent selon les saisons,
mais sont toujours aussi pressants,
si bien qu’on n’a jamais le temps...

Le temps de quoi ?... on se demande.

Un oiseau bouge dans les branches,
les sauterelles craquent dans le foin...
Oui, le temps de quoi ?... Et on se regarde.

Mais, dès qu’on a vidé sa tasse,
dès qu’on a mangé à sa faim :
« Est-ce qu’on y va ?... » Vous voyez bien :
on n’a jamais le temps de rien.
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Dimanche soir


On commence à danser, les filles
rient, les gros souliers vont battant
la mesure,
et l’accordéon assis sur la table
presse et distend tout à tour
ses soufflets aigres.

C’est l’heure où le soleil se couche,
la lune est ronde, l’air est bleu ;
on dirait qu’une poussière d’étoiles
monte des champs avec la nuit.

Les cloches du dimanche ont sonné ce matin,
les cloches se sont tues,
mais il y a comme un souvenir qui reste d’elles
dans le balancement des arbres du jardin ;

et les gens sur le seuil de leurs maisons regardent,
heureux de voir grandir la lune
à la cime des peupliers.
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Ils commençaient une nouvelle nuit, et le pire moment de la journée était toujours pour eux ces commencements de la nuit.
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Le jour de notre noce, j'y pense tout le temps,
il fera un soleil comme on n'a jamais vu ;
il fera bon aller en char
à cause du vent frais qui vous souffle au visage,
quand la bonne jument va trottant sur la route
et qu'on claque du fouet pour qu'elle aille plus fort.

On lui donnera de l'avoine,
en veux-tu, en voilà ;
on l'étrillera bien qu'elle ait l'air d'un cheval
comme ceux de la ville ;
et trotte ! et tu auras ton voile qui s'envole,

et tu souriras au travers
parce qu'il aura l'air
de faire signe aux arbres,
comme quand on agite un mouchoir au départ.

On se regardera, on dira : « On s'en va,
on commence le grand voyage ;
heureusement qu'il n'y a pas
des océans à traverser. »
Et quand nous serons arrivés,
la cloche sonnera, la porte s'ouvrira,
l'orgue se mettra à jouer ;
tu diras oui, je dirai oui ;
et nos voix trembleront un peu
et hésiteront à cause du monde
et parce qu'on n'aime à dire ces choses
que tout doucement à l'oreille.
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Mais il se passa que son amour, ayant grandi comme une plante sous la dalle, dérangea ses raisonnements. Il poussa toujours plus fort, elle souffrit toujours plus. Il lui semblait que chaque jour en passant jetait une pierre dans son coeur; il devenait si pesant qu'elle tombait de fatigue.
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Et, chaque soir, au soleil couchant, quand venait l'heure elle se sentait un peu plus triste, revoyant le petit bois, le pré et le ruisseau où sont esprit s'en retournait, car l'esprit a la liberté et il est rapide, mais le corps est attaché et l'esprit se moque de lui. Elle enviait les hirondelles qui sont libres dans le ciel.
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- Est-ce que je t'ai fait du chagrin ?
- Oh ! non.
- Alors, quoi ?
- C'est parce que je t'aime.
Mais l'idée de Julien était qu'on n'avait pas besoin de pleurer parce qu'on aime. On n'a qu'à se prendre et à s'embrasser. Les femmes n'ont pas le tête bien solide. Elles pleurent pour le bonheur, elles pleurent pour le malheur. Il voyait qu'Aline n'était pas faite comme lui.
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La pensée de Strawinsky a pris son essor sur un terrain qu'il avait déjà arpenté pour composer ses ballets, celui de la culture russe de tradition orale.
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Le taupier


Il va, sa hotte sur le dos,
un bâton d’épine à la main ;
il boite bas sur les chemins
comme quand on sonne une cloche.

Sa blouse bleue à broderies
s’est toute déteinte dans l’air ;
sa barbe est grise dans la peau grise,
il fume une pipe de terre.

Il est pauvre, il dit : « on me donne
deux sous par taupe que je prends ;
en faut-il prendre et tout le temps !
et puis, l’hiver, qu’est-ce qu’on prend ?...

On ne pourrait pas avec ça
s’offrir des habits de fin drap,
ni se payer des redingotes ;
eh bien ! quand même, voyez-vous,
trois décis par jour et vingt sous
de burrus bleu chaque semaine,
je dis quand même que ça mène
un homme content jusqu’au bout. »

Il se met en route quand les oiseaux chantent
il prend en travers des luzernes,
il est salué par le merle
et reconnu par les mésanges.
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Il est descendu si vite qu'il a été tout surpris de voir qu'il était arrivé. La maison de Romailler a été à côté de lui, comme si elle eût été bâtie beaucoup plus haut sur la pente. C'est comme si elle avait couru à sa rencontre.
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-Rimbaud-

Les poètes "maudits". L'épithète n'est qu'à moitié juste, car comme Vigny le fait remarquer:
-Le poète a une malédiction sur sa vie et une bénédiction sur son nom-

Le cas de Rimbaud me semble illustrer remarquablement cette pensée, mais il est vrai de dire que cette bénédiction coûte cher. Rimbaud l'a payée de sa vie. (...)
Et le voilà qui meurt, mais il faut mourir pour ressusciter. Et, lui, ce n'est pas d'un coup, c'est lentement, c'est progressivement qu'il ressuscite, en marge des célébrités, des gros tirages et des Académies, - dans un esprit, puis dans un autre, mais enfin aujourd'hui il est -debout- Lui aussi, sera né dans l'étable entre l'âne et le boeuf, lui aussi, aura été crucifié; lui aussi, sera venu pour apporter, non la paix, mais la guerre: une espèce de sourd ferment qu'il répand dans les consciences des jeunes hommes qui le lisent, et c'est toujours un adolescent qui parle à des adolescents. (p. 48)
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De son côté, il s'était mis en route ; c'était à son tour à lui de se remettre en route, pendant que la petite musique venait toujours, mais elle venait à présent pour lui entre les pins, dans se pensées, bougeant doucement derrière leurs troncs rouges, et par terre aussi c'était tout rouge, à cause des aiguilles tombées sur lesquelles Victorine glissait.
Pendant que la petite musique venait, et la petite musique venait d'en haut à leur rencontre, entre les pins ; tandis que Victorine glissait, parce qu'elle n'avait pas de clous à ses souliers.

(C. F. RAMUZ, "La Grande Peur dans la montagne", 1926)
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Un soleil comme vu à travers du papier huilé, qui a été vu, qui ne l'est plus ; -- qui paraît, qui a disparu.

(C. F. RAMUZ, "La Grande Peur dans la montagne", 1926)
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-- Oui, a continué Fontana, parce que je dis, moi, que son or est meilleur que celui du gouvernement. Et je dis qu'il a le droit de faire de la fausse monnaie, parce qu'elle est plus vraie que la vraie. Est-ce que, ce qui fait la valeur des pièces, c'est les images qui sont dessus, ou quoi? ces demoiselles, ces femmes nues ou pas nues, les couronnes, les écussons? ou bien les inscriptions [...] ou bien [...] les chiffres qu'y met le gouvernement ? Les inscriptions, on s'en fout, pas vrai? et les chiffres aussi, on s'en fout. [...] Le gouvernement vous dit : " Cette pièce valait tant ; eh bien, maintenant, elle vaudra tant... " [...] C'est moins honnête que Farinet, les gouvernements, parce qu'à lui, ce qu'on lui paie, c'est en quoi ses pièces sont faites et, à eux, c'est ce qui est dessus...

(C. R. RAMUZ, "Farinet ou la fausse monnaie", 1932, chap. I)
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Ce fut une semaine après que Romailler, le municipal, avait fait savoir à Farinet qu'il serait content d'avoir sa visite, parce qu'il avait à lui parler.
Et ce n'est pas Joséphine qu'il avait chargée de la commission, mais bien Crittin qui la transmit à Farinet, l'ayant pris à part, un soir que Farinet était venu chez lui.
II dit à Farinet :
- Romailler voudrait te parler ...
- Qu'est-ce qu'il me veut ?
- Je ne sais pas, dit Crittin, mais il t'attend un de ces soirs.
Farinet avait secoué la tête.
- A ta place, moi, j'irais, dit Crittin. On ne sait jamais. Romailler a les bras longs. Et puisqu'il te garantit que tu ne risques rien en allant le voir, c'est qu'il a lui-même des garanties.
Farinet avait secoué de nouveau la tête, mais voilà que le lendemain, comme il attendait Joséphine, tout à coup il s'était rappelé la proposition de Romailler. Et il était sous la terre. Et ça ne pouvait décidément plus durer. Il avait roulé l'échelle de corde et l'avait cachée dans un des renfoncements du passage avec le falot-tempête. Il s'est avancé avec prudence parmi les blocs épars et les buissons de ronces, n'ayant gagné l'espace découvert qu'après avoir été sûr que personne ne l'épiait aux environs. Mais du haut des vignes, en terrain nu, sous l'éclairage des étoiles, la vue portant de tout côté l'avait rassuré tout à fait. Et rien de plus facile alors que de gagner la maison de Romailler à travers prés. On voyait de loin cette maison blanche. Elle était un peu à l'orient et un peu au-dessus du village ; elle était neuve avec un soubassement de pierre peint à la chaux. Les contrevents étaient fermés, aucune lumière ne se voyait aux fenêtres. Il n'en monte pas moins l'escalier de pierre, et allait heurter à la porte, quand elle s'est entrouverte, et Romailler s'est avancé. Il voit Farinet, il dit :
- Ah! c'est toi !
Puis il a dit:
- Entre, je t'attendais.
Ils traversèrent la cuisine, puis sont entrés dans une chambre tout à côté, où il y avait une table et des chaises.
- Assieds-toi, avait dit Romailler, je voudrais causer avec toi tranquillement.
Farinet s'était assis sans rien dire. Romailler avait commencé par lui offrir un cigare que Farinet avait pris, pendant que Romailler frottait une allumette. Ensuite, Romailler a dit:
Eh bien! comment ça va-t-il ?
- Ça va, merci.
- C'est qu'il va y avoir du temps qu'on ne s'est pas vus. Tu te rappelles quand tu travaillais chez moi? Ça va faire combien? (Il a compté.) Bientôt neuf ans, je crois. Et il s'est passé des choses depuis. Lui-même avait allumé un cigare, il tirait sur son cigare. Il en a tiré deux ou trois bouffées; puis tout à coup:
- Et c'est justement, mon garçon ... Parce que tu dois te rendre compte que ta situation ne sera plus tenable bien longtemps. Il suffirait qu'on sache où tu te caches, à supposer d'ailleurs qu'on ne le sache pas déjà... Ecoute: j'ai une proposition à te faire ...
Il secoua la cendre de son cigare, pendant que Farinet écoutait ; Farinet ne disait rien.
- C'est qu'il y a les libéraux, avait repris Romailler... Tu n'as peut-être pas lu leur journal, parce que par ici on ne le lit guère. Tu comprends, ils sont de l'opposition. Eh bien ! ils disent que le gouvernement, s'il voulait, pourrait t'arrêter, mais qu'il fait exprès de ne pas t'arrêter. Parce qu'on est conservateurs par ici comme lui. Et parce qu'on est tous tes amis ... Ils disent que le gouvernement a peur, s'il t'arrêtait, de perdre nos voix aux élections ... As-tu compris? Farinet a fait un signe de tête.
- Et c'est ennuyeux ... c'est ennuyeux pour le gouvernement. Alors voilà, j'ai été chargé de te dire que tu devrais te rendre; c'est la bonne solution ... Le gouvernement t'en tiendrait compte. Tu as déjà fait six mois de galères [prison], ils te seraient décomptés... Dieu sait, tu n'en aurais peut-être plus que pour six mois et six mois d'hiver, c'est vite passé... Tu pourrais rentrer tranquillement dans ta maison; tu ne devrais plus rien à personne... Mais à la condition... Romailler s'arrêta de nouveau :
- A la condition, tu entends bien, que tu t'engagerais à renoncer à fabriquer et à mettre en circulation tes pièces, ça c'est la grande condition ...
Alors Farinet avait dit :
- Ma foi, non!
Romailler ne s'est pas laissé interrompre :
- Je sais bien que tu crois que ton or est bon, et c'est possible. Mais il y a les lois. Est-ce que tu te rends compte de ce qui arriverait si tout le monde se mettait à faire comme toi? Comment est-ce qu'on se débrouillerait ? ... Il y a les lois, il y a un code. On te demanderait seulement de le respecter à l'avenir... Farinet, de nouveau avait dit:
- Ma foi, non !
- Attends, disait Romailler, n'allons pas si vite ... Alors voilà qu'il avait appelé. Il a appelé en levant la tête. Il a crié : « Eh ! Thérèse ! » puis de nouveau : « Eh ! Thérèse ! » On a entendu le bruit d'une chaise qu'on déplaçait sur le plancher dans la chambre au-dessus de nous. Ensuite la porte s'est ouverte.
Farinet ne l'avait pas vue tout de suite, parce qu'il lui tournait le dos.
Mais Romailler avait dit:
- Viens ici, Thérèse.
Et puis, quand elle avait été à côté de lui :
- C'est ma fille, tu ne la reconnais pas? Farinet n'a rien répondu.
- Ah! c'est qu'elle est à l'âge où les filles changent vite, avait dit Romailler en riant. C'est une demoiselle. Te voilà une demoiselle, Thérèse.
Elle était devenue toute rose en haut de son corsage de soie qui était bleu comme le ciel.
Et Farinet ne disait toujours rien ; alors Romailler avait dit à sa fille :
- Ecoute, Thérèse, va nous chercher une bouteille de fendant.
Elle a dit: « Oui, père»; elle sort, elle s'en va; et Romailler ne disait rien, parce qu'il attendait qu'elle est revenue et elle est revenue avec la bouteille, mais Farinet n'osait plus la regarder.
Elle avait posé la bouteille et les verres sur la table; il n'osait pas la regarder, pourtant il continuait de la voir au-dedans de lui.
Il a entendu la voix de Romailler :
- Merci bien, Thérèse ... Je crois qu'on a tout, tu peux aller ...
Il entend qu'elle sort, il entend son pas qui s'éloigne; alors il y a eu un moment de silence pendant que Romailler débouchait la bouteille qu'il tenait serrée entre ses genoux. Puis il a rempli les deux verres; et puis voilà qu'il recommence:
- Il est bon, hein? ou quoi? Et peut-être que tu le reconnais, Farinet. Tu t'étais aidé à le faire... dans le temps.
Prenant une gorgée de vin entre ses lèvres, il l'avait retournée sous son palais deux ou trois fois sans avaler (c'est pour en épuiser le goût) :
- Hein? il n'est pas si mauvais que ça, qu'en penses-tu? a-t-il repris, parce que Farinet n'avait rien répondu; mais le bon vin, vois-tu, il faut pouvoir le boire tranquille ...
Et Farinet avait voulu répondre.
- Non, ne réponds rien. Ecoute, je vais te dire, tu as trois semaines pour te décider. Tu as d'ici à la fin du mois. Réfléchis ! Parce qu'aujourd'hui ... Je sais bien, il y a l'amour-propre ... Aujourd'hui, tu dis non parce que c'est le premier mouvement, et demain tu voudrais dire oui et demain tu ne pourrais plus ... Tu as trois semaines. Et pendant ce temps, je te le dis, tu n'as pas à craindre d'être arrêté ... Bien sûr qu'il vaudra mieux pour toi de ne pas te montrer en plein jour sur la place du village, si les gendarmes étaient aux environs, et de ne pas trop avoir l'air de les narguer. Mais, à cette condition près, on te laissera tranquille, je t'en donne ma parole... Ne réponds rien... Santé!
Ils trinquèrent encore une fois. Farinet s'était levé.
- Encore un verre.
- Non, disait-il, il faut que j'aille.
- Rien qu'un.
Il fit signe que non.
- Alors c'est entendu ; tu m'apporteras la réponse avant la fin du mois.
Mais Farinet était déjà dehors.

[C. F. RAMUZ, "Farinet ou la fausse monnaie", chapitre IX, pages 109-115]
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