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Citations de China Miéville (128)


Des policiers vaquaient à leurs tâches. D'autres enquêteurs m'avaient précédé sur place - j'en ai repéré trois, dont le brigadier Bardo Naustin -, mais j'étais le plus haut en grade. J'ai suivi Naustin jusqu'à l'emplacement où s'étaient rassemblés la plupart de mes collègues, entre un bâtiment bas, à l'abandon, et un skate park cerné de grosses poubelles en forme de bidons.
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Des ornières de voiture et des sentiers improvisés entre les ordures sillonnaient la pelouse envahie de chiendent.
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On ne distinguait pas la rue, et guère la cité. Nous étions entourés de barres marbrées de crasse où des hommes et des femmes au cheveu matinal se penchaient à la fenêtre pour nous observer, la tasse à la main. Cet espace à découvert entre les immeubles avait été paysage jadis. Imitation enfantine de géographie, il penchait comme un parcours de golf. On avait peut-être voulu le boiser, y creuser une mare. Il y avait des taillis aux arbustes morts.
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On était au printemps et la froidure se dissipait. Le panorama des toits de la cité, des transports animaux et d’une architecture scintillante s’étalait sous mes yeux depuis les hauteurs de la Légation. Quelque chose était en train de changer. Une couleur, ou son absence, un mouvement, une palpitation.
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- […] Sur certains trajets, les receveurs ont parfois le malheur de tomber sur des girafes. »
Entendant cela, les deux filles intervinrent.
« Vous êtes la deuxième personne à nous parler des girafes, dit Deeba.
- Moi j’en ai déjà vu… ajouta Zanna.
- Et elles n’ont rien d’effrayant.
- Ah bravo ! s’exclama Jones. Elles ont réussi leur coup. Faire croire que les gentils réfugiés qu’on voit dans les zoos sont des girafes normales. Et vous allez sûrement me dire que si elles ont de longs cous, c’est pour mieux atteindre les hautes branches ! Et pas pour secouer les cadavres sanguinolents de leurs victimes, c’est ça ? » Les girafes ne sont pas les seules reines de la désinformation. Pourquoi croyez-vous qu’il n’y a pas de chats à Lombres ? Parce que ce sont des crétins. Ils ne savent rien de la magie ou du mystérieux. Par contre, les cochons, les chiens, les grenouilles, toutes les autres bêtes arrivent à nous rejoindre. La communication est permanente, entre les deux villes. Les messages passent.
- Ça se tient, Za, le coupa Deeba. Tous ces animaux qui savaient que tu étais… ce que tu es, là.
- La Schwazzy… indiqua l’intéressée.
- Mais pas les chats, reprit Jones. Sans doute trop occupés à avoir l’air cool.
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- Quand arrivent-ils ? a demandé le pilote.
Il parlait des Hôtes.
- Bientôt, ai-je répondu.
Je n'en avais pas la moindre idée. Ce n'était pas eux que je voulais voir.
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Isaac aimait discuter avec Lemuel, même si celui-ci le mettait quelque peu mal à l’aise. Pigeon était un profiteur, un mouchard, un fourgue… la quintessence même du second couteau. Il s’était façonné une petite chasse gardée lucrative par son zèle à jouer les intermédiaires. Paquets, informations, propositions, messages, exilés, marchandises : tout ce que deux personnes voulaient échanger sans se rencontrer face à face transitait par Lemuel. Il se révélait inestimable pour ceux qui, comme Isaac, voulaient draguer les eaux de la pègre sans se mouiller ni se salir les mains. De la même façon, les gens du milieu pouvaient s’assurer ses services pour tremper dans une Nouvelle-Crobuzon plus ou moins légale, sans échouer, impuissants, aux portes de la milice. Toutes les activités de Lemuel ne relevaient pas de ces deux univers, loin s’en faut ; certaines étaient tout à fait légales ou tout à fait illégales. Simplement, franchir les frontières représentait sa spécialité.
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Du veldt de la broussaille des champs des fermes puis ces premières masures se dressant sur la terre… La nuit a été longue. À la faveur de l’obscurité, les maisons délabrées incrustées dans les berges ont poussé tout autour comme des champignons.
Nous tanguons. Roulons de droite et de gauche sur un profond courant.
Derrière moi, l’homme inquiet tire sur son gouvernail et le chaland redresse le cap. La lueur vacillante de la lanterne oscille. C’est moi que cet homme craint. Je suis penché au-devant de l’onde mouvante, obscure, à la proue du petit esquif.
Des bruits ténus enflent par-dessus le ronron huileux du moteur et la caresse du flot – bruissement de maisons : les poutres crachotent, le vent frotte le chaume, les murs se tassent, les planchers jouent pour s’adjuger l’espace. Les dizaines d’habitations sont devenues centaines, puis milliers ; éparpillées à partir de la rive, elles émettent leurs lueurs à travers toute la plaine.
Elles m’entourent, grossissent. Gagnent en hauteur, en embonpoint, en coffre. Se coiffent de toits d’ardoise, s’arment de murs de brique.
La rivière tourne et vire pour affronter la ville. Qui soudain se dévoile, menaçante, massive, taillée à l’emporte-pièce dans le paysage. Son halo se répand vers le cirque pierreux des collines tel le sang d’un hématome. Ses tours sales sont illuminées. Je suis ramené à ma petitesse. Contraint de m’incliner devant cette présence extraordinaire, née du limon au confluent des deux rivières. Elle n’est qu’une immense pollution, que puanteur, qu’un éternel coup de klaxon. Même à cette heure, même au cœur de la nuit, ses cheminées trapues vomissent leur crasse dans le ciel. Ce n’est point le courant qui nous pousse, mais la cité elle-même, dont le poids nous aspire. De faibles cris épars, des beuglements animaux : le fracas et les coups de boutoir obscènes des usines où copulent d’énormes machines. Les voies ferrées sillonnent ce corps urbain telles des veines apparentes. Brique rouge et murs sombres ; églises trapues d’aspect troglodyte ; stores en lambeaux qui volettent ; labyrinthes pavés de la vieille ville ; culs-de-sac ; sépulcres séculiers des caniveaux criblant la terre : c’est là tout un nouveau paysage de friches, de pierre écroulée, de bibliothèques regorgeant de volumes oubliés, de vieux hôpitaux, d’immeubles de bureaux, de navires et de serres métalliques soulevant le fret au-dessus des eaux.
Comment avons-nous pu être aveugles à ce qui approchait ? Par quel étrange tour de la topographie ce monstre tentaculaire peut-il se dissimuler ainsi, prêt à fondre sur le voyageur ?
Il est trop tard pour m’enfuir.
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Si tu restes désœuvré au milieu de ce changement d'époque, c'est que tu n'es qu'un point de détail
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- Je me présente, ai-je dit. Inspecteur Borlù, Brigade des Crimes Extrêmes.
Je n'ai pas donné mon prénom. Coton pour les interrogatoires, à cet âge-là : trop vieux pour qu'on les tutoie, pour les euphémismes et pour les jouets, mais pas assez pour faire preuve d'une opposition frontale - du moins tant qu'on y allait à la loyale.
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L'astre flottait au-dessus de la ville, non pas comme un disque, une pièce de monnaie ou un ballon, mais comme un donut. On voyait le ciel gris à travers le cercle parfait qui lui faisait défaut.
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It must be an intoxication to step through the borders and greet their foreign comrades across what they made suddenly one street, to make their own country even if just for seconds at night in front of a scrawled slogan and a broken window. They must know by now that the populaces were not coming with them, but they did not disappear back to their respective cities. How could they go back now? Honour, despair, or bravery kept them coming. (p. 335, Chapitre 27, Partie III, “Breach”).
Tentative de traduction : « Ce devait être enivrant de passer par-delà les frontières et de saluer leurs camarades étrangers de l’autre côté de ce qui devenait tout à coup une rue, de créer leur propre pays même si ce n’était que pour quelques secondes, de nuit, avec pour seuls témoins un slogan hâtivement griffonné et une fenêtre cassée. Ils devaient savoir maintenant que la population ne les rejoindrait pas, mais ils ne se repliaient pas pour autant dans leurs villes respectives. Comment auraient-ils pu revenir en arrière maintenant ? L’honneur, le désespoir ou le courage les poussaient de l’avant. »
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If someone needed to go to a house physically next door to their own but in the neighbouring city, it was in a different road in an unfriendly power. (...)
But pass through Copula Hall and she or he might leave Besźel, and at the end of the hall come back to exactly (corporeally) where they had just been, but in another country, a tourist, a marvelling visitor, to a street they had always unseen, to the Ul Qoman house sitting next to and a whole city away from their own building, unvisible there now they had come through, all the way across the Breach, back home. (p. 86, Chapitre 6, Partie I, “Besźel”).
Tentative de traduction : « Si quelqu’un devait se rendre dans une maison physiquement voisine de la sienne mais dans la ville autre, c’était une autre rue, un monde hostile. (…)
Mais en passant par le Siège de la Copule, cette personne pouvait quitter Beszél et, à la sortie, revenir à l’endroit (corporellement) exact qu’elle venait de quitter, mais dans un autre pays, touriste, visiteur émerveillé, dans une rue jusqu’alors toujours invue, dans une maison Ul Qomanienne située tout à côté et à toute une ville de distance de sa propre maison, celle-ci devenue invisible maintenant qu’elle est de l’autre côté, de l’autre côté de la Faille, là-bas chez soi. »
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Les Décollés ont écartelé le monde, en arrivant ici. La force de leur atterrissage est à l'origine du Pays Fracturé, et les dommages ne furent pas seulement physiques...
..."Nous avons couturé d'espoirs ce monde tempéré, l'avons profondément blessé et brisé, avons laissé notre empreinte sur sa plus lointaine contrée et jusqu'à plusieurs milliers de lieues par-delà les mers, car ce que nous brisons, nous pouvons le refaire, et ce qui échoue peut réussir malgré tout. Nous avons trouvé de riches veines de possibilités que nous allons creuser..."
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Dans sa main, il y a la statuette, son filigrane de nageoire replié comme des couches de millefeuille, sa bouche ronde, dentifère, de rémora faisant la moue, et la langue de l'homme est encore froide là où il l'a embrassée. Il est beaucoup plus rapide à présent, il a beaucoup moins de mal à accepter le langotage frétillant de la pierre froide, et il sait diriger avec beaucoup plus d'adresse les énergies que libère leur union dénuée de passion.
Il se tient perpendiculaire à la nuit en un endroit que lui montre la statuette et où son baiser permet de se tenir, un lieu ou une sorte de lieu où les rayons de lumière s'entrecroisent et où lui-même n'est pas visible : les portes, les murs, les fenêtres ne le voient pas tant qu'il est l'amant de cette effigie qui pue l'iode.
L'embrasser n'est jamais plaisant. Mais le pouvoir que ce geste lui confère, qui le pénètre avec la salive de la chose de pierre, est une merveille.
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"Maintenant, c'est surréel."
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Je ne vais pas raconter à mon tour l'histoire, cela a déjà été fait dans de nombreuses critiques. J'ai aimé le premier tome de Perdida Street Station. Le deuxième m'a moyennement intéressée, trop de descriptions, de personnages (sauf le formidable personnage de La Fileuse) et d'actions inutiles. Les scarifiés dont le titre original est "the scar", la balafre ou la cicatrice qui ne désigne pas la même chose et donne une autre vision des événements. Les personnages ne sont pas vraiment réussis "Uther Dol, mercenaire mystérieux aux pouvoirs surhumains" ne sert strictement à rien à part prendre de mauvaises décisions. Le plus fascinant à mon avis est le vampire qui est puni pour avoir eu raison et dont on aimerait connaître un peu plus de ses origines et de son histoire.
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Armada avait la bougeotte. Ses passerelles balançaient de droite et de gauche. Ses tours gîtaient. Elle dansait sur l’eau.
Tout, de A à Z, avait été récupéré dans les vaisseaux. Couchettes et cloisons s’étaient transformées en habitations ; on avait construit des ateliers dans d’anciennes batteries de canons. Cependant, la cité ne s’était pas contentée de l’épiderme existant des navires. Elle l’avait remodelé. Les coques étaient surmontées de structures dont les styles et matériaux agglomérés formaient, à partir de centaines d’esthétiques et d’histoires, une architecture composite.
Des pagodes vieilles d’un siècle s’inclinaient au-dessus du pont d’antiques capitanes ; des monolithes en ciment s’élevaient tels autant de tuyaux de cheminée supplémentaires sur des bateaux à aubes ravis dans les mers du Sud. Entre les édifices, les rues étaient étroites. Devenues passerelles, elles surplombaient les vaisseaux reconvertis entre des labyrinthes, des places et ce qui devait être des hôtels particuliers. Des parcs boisés recouvraient les clippers, au-dessus d’arsenaux profondément enfouis. Les immeubles construits sur les ponts s’étaient fissurés et fendus sous la tension qu’imposait le mouvement constant de la mer.
On distinguait les auvents du Marché d’Hivernage – dont les centaines de canots et de chalands mesurant tous moins de six mètres emplissaient l’espace entre les vaisseaux plus munificents. Amarrés les uns aux autres par des chaînes et des nœuds figés, ces petits esquifs s’entrechoquaient sans cesse. Les marchands ambulants étaient occupés à ouvrir leurs auvents, à suspendre leurs denrées, à enguirlander leurs petits bateaux-boutiques de banderoles et de panonceaux. Les acheteurs matutinaux, venus des vaisseaux environnants par des ponts de corde escarpés, enjambaient les bastingages d’un pied expert pour descendre vers les étals.
Sur le côté flottait une corbite maculée de lierre et de fleurs grimpantes. Des habitations basses, finement ouvragées, étaient bâties par-dessus. Ses mâts n’avaient pas été abattus, au contraire : la verdure qui les frangeait leur donnait l’air d’arbres vénérables. Il y avait là un submersible qui n’avait pas plongé depuis des dizaines d’années. Une crête de maisons fines pareille à une nageoire dorsale s’étirait autour de son périscope. Ces deux navires étaient joints par les ponts de bois oscillants qui passaient au-dessus du marché.
Un vapeur à la coque cassée par de nouvelles fenêtres était devenu quartier résidentiel avec cage à poules pour les enfants sur le pont. Tel bateau à aubes carré hébergeait des champignonnières. Un coche de mer à la bride ouvragée s’était couvert de rangées de maisons adjacentes en brique qui emplissaient les creux de ses fondements navals ; des chapelets de fumée s’élevaient de ses cheminées.
Autant de navires corsetés, dans des teintes allant du camaïeu de gris et de roux aux bigarrures flamboyantes des armoriaux. Une ville aux formes nébuleuses. Son métissage était âpre et sans charme, gâté par le délabrement et les graffiti. Cette architecture, vaguement menaçante, faisait le gros dos. Elle se redressait puis s’avachissait de nouveau avec l’eau.
Bidonvilles comme demeures somptueuses peuplaient l’étendue des paquebots et vacillaient en travers des sloups. Il y avait des églises, des sanatoriums, mais aussi des maisons désertées, les uns et les autres rehaussés de sel et léchés par une humidité constante, à force de tremper dans le bruit des vagues et l’odeur de pourriture fraîche de la mer.
Les bateaux étaient subjugués les uns aux autres dans des entrelacs de chaînes et de poutrelles articulées ; chacun constituait un ponton au sein d’un écheveau de passerelles de corde. Ils se lovaient les uns contre les autres, formant des digues de navires enchâssés, et encerclant des vaisseaux qui flottaient librement : c’était la Darse de Basilio où, à l’abri des coups de tabac, marine et visiteurs d’Armada pouvaient décharger, faire relâche et réparer leurs avaries.
De leur côté, les plus vastes vaisseaux louvoyaient autour des bordages de la cité, par-delà les remorqueurs et les vapeurs subjugués à ses flancs. Plus loin encore sur l’océan voguaient les flottes de bateaux de pêche, ainsi que les vaisseaux de guerre, coches, cotres et le reste. Marine corsaire d’Armada, ils s’élançaient dans toutes les directions de par le monde pour revenir à quai porteurs de cargaisons prises à la mer ou à l’ennemi.
Et, au-delà de tout cela, plus loin que le ciel urbain grouillant d’oiseaux et d’autres formes volantes, après ce tas de vaisseaux, l’océan.
Des vagues comme des insectes en motion constante.
Le grand large.
Étourdissant et vide.
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Choyé par les thaumaturges et les merveillants du bord, le moteur météoromancien situé près du beaupré du Terpsichoria déplaçait l’air devant le navire. La pression s’élevait par derrière, les voiles s’incurvant pour remplir le vide. Ils filaient à bonne allure.
Cette machine rappelait le gratte-nuages de Nouvelle Crobuzon. Elle faisait songer aux énormes engins hermétiques et détraqués qui saillaient au-dessus des toits du Bec de Poix. Bellis éprouvait une franche nostalgie pour les rues, les canaux, le gigantisme de sa ville.
Voilà que son regret s’étendait aux moteurs, à présent. Aux machines. Elle en avait été cernée, à Nouvelle-Crobuzon. Il ne lui restait plus désormais que ce petit engin météoromancien, ainsi que l’artefact de la salle à manger. Le moteur à vapeur qu’hébergeaient les soutes avait beau transformer l’ensemble du Terpsichoria en un gigantesque mécanisme, il demeurait invisible. Bellis se mit à errer dans le bateau telle une Engrenage livrée à elle-même. Le chaos utilitariste qu’elle avait été contrainte de quitter lui manquait.
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Quinze kilomètres à peine après la ville, le fleuve perd son élan, crachote vers l’estuaire saumâtre qui alimente la Baie de Fer.
Les bateaux partant de Nouvelle-Crobuzon vers l’aval pénètrent un paysage nivelé. Côté sud, il y a des cabanes, et les petits pontons putréfiés sur lesquels les travailleurs des champs pêchent pour agrémenter un régime alimentaire monotone. Leurs enfants adressent des signes éteints au voyageur. De temps à autre pointent une butte rocheuse, un petit bosquet d’arbres de bois de fer – des lieux qui défient toute culture. Néanmoins, pour l’essentiel, ces terres-là sont épargnées par la pierre.
Depuis le bastingage, par-delà la bordure de haies, d’arbres et de ronces, c’est une étendue de champs que les marins distinguent : l’extrémité de l’Hélice à Grain, la longue spirale de terres arables qui alimente la grand-ville. On aperçoit des hommes et des femmes parmi les cultures – ou labourant la terre noire, brûlant le chaume, selon la saison. Entre deux champs, sur les canaux que cache la berge terreuse et végétale, teuf-teufent étrangement des péniches. Avalantes, entre la métropole et les domaines, elles apportent sans fin à cette campagne produits chymiques et combustible, produits de luxe, pierre et ciment. Lorsqu’elles remontent vers la cité en longeant les hectares de champs parsemés de hameaux, de moulins et de vastes demeures, c’est chargées d’innombrables sacs de grain et de viande.
Ce trafic ne s’interrompt jamais. Nouvelle-Crobuzon est insatiable.
La rive nord du Bitume est plus sauvage.
C’est une longue étendue de broussaille et de marigots qui s’étire sur plus de cent trente kilomètres, jusqu’à être tout à fait recouverte par les contreforts et les montagnes basses qui rampent dans sa direction. Enserrée entre le fleuve, ces montagnes et la mer, cette steppe est un lieu vide. S’il y existe d’autres habitants que les oiseaux, ils demeurent invisibles.
Bellis Frédevin a effectué le passage vers l’est à bord d’un bateau en partance au cours du dernier trimestre de l’année, une période de pluies perpétuelles. Les champs qu’elle a vus n’étaient que boue glacée. Les arbres à demi dénudés ruisselaient. Leurs silhouettes paraissaient reliées par du liquide aux nuages.
Par la suite, en repensant à cette époque atroce, elle sera secouée par la précision des souvenirs. Elle se remémorera la formation du vol d’oies passé en jasant au-dessus du navire ; la puanteur de la sève, celle de la terre ; la nuance d’ardoise du ciel. Elle se rappellera avoir cherché les haies du regard sans en voir aucune. Rien que des maisons trapues aux volets tirés contre le mauvais temps, des écheveaux de fumée de bois dans l’atmosphère détrempée.
Rien que le mouvement étouffé de la végétation dans le vent.
Debout sur le pont, enveloppée dans son châle, ouvrant l’œil, tendant l’oreille, guettant des pêcheurs, des jeux d’enfants ou quelqu’un qui cultive l’un des méchants potagers qui défilaient devant elle. Les seuls bruits étaient ceux des oiseaux sauvages. Les seules formes d’allure humaine, des épouvantails – aux traits rudimentaires impassibles.
Ce voyage n’a pas été long, mais son souvenir l’a pénétrée telle une infection.
Elle avait l’impression d’être reliée par le temps à la ville derrière elle : les minutes se tendaientà mesure qu’elle s’éloignait, ralentissaient plus loin elle allait, faisant traîner sa courte croisière.
Et puis ce fil-là a claqué, et elle s’est retrouvée catapultée dans l’ici, le maintenant ; seule, loin de chez elle.
Beaucoup plus tard, une fois à des kilomètres de tout ce qu’elle a connu à l’époque, Bellis s’éveillera étonnée de ne pas rêver de sa ville véritable – celle qui fut son foyer pendant plus de quarante ans. Eh bien non, ses songes porteront sur cette courte longueur de fleuve, sur ce couloir de campagne battue par les intempéries qui l’a environnée moins d’une demi-journée.
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