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3.95/5 (sur 189 notes)

Nationalité : France
Né(e) à : Toulon , 1958
Biographie :

Christian Astolfi est né en 1958. Il vit à Marseille et a travaillé de nombreuses années à l’Arsenal maritime de Toulon. Il est aujourd'hui conseiller d'éducation dans un lycée toulonnais.

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Rencontre avec l'écrivain Christian Astolfi, organisée par la librairie Préambule à Cassis. Réalisation, Claude A. Alain P.


Citations et extraits (56) Voir plus Ajouter une citation
C'était un temps sans douleur ni chagrin. Un temps fanfare et musique, tintamarre et magique, féerie féerique. Je me doutais bien qu'il ne durerait pas éternellement, mais que ce temps tînt simplement à l'élection d'un homme, une rose à la main, ne cessait de me surprendre. Je m'en voulais, mais au fond de moi pointait ce scepticisme — je me gardais bien de l'afficher devant Louise — qui empêchait tout emballement. Louise, elle, y croyait dur comme fer. Les nationalisations, l'augmentation de dix pour cent du SMIC, la réduction du temps de travail hebdomadaire à trente-neuf heures, la cinquième semaine de congés payés, la retraite à soixante ans, l'abolition de la peine de mort, le remboursement de l'IVG, la libéralisation de l'audiovisuel. Elle énumérait les mesures du gouvernement Mauroy comme le refrain d'une chanson à succès. Je la regardais s'enthousiasmer. Je la trouvais toujours plus belle. Et c'est presque religieusement que je l'écoutais me tourner les pages d'un catalogue dans lequel il suffirait de puiser, à l'aveuglette, pour changer la vie. Je me gardais bien de susciter chez elle la moindre contrariété. J'avais trop peur de rayer le disque tout neuf de notre existence. Je me demandais juste si tout cela, ce qu'ils nous donnaient sans compter d'une main, ils n'allaient pas nous le reprendre plus tard de l'autre, dissimulée dans leur dos, s'agaçant de ce qu'elle voyait, comme une marionnette dans les coulisses piaffant d'impatience d'apparaître sur la scène.

Pages 49-50, Le Bruit du monde.
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Sept années s'étaient écoulées depuis la fermeture des Chantiers. Sept années au bout desquelles nos métiers, nos savoir-faire, nos expériences s'étaient dissous dans un plan de restructuration dont on n avait jamais rien su des résultats. Nos existences dispersées, pour eux, nous n'étions plus que des reclassés. Nul d'entre nous ne portait plus sa colère le long des quais, des voies ferrées ou des autoroutes, nos mots envolés, nos slogans rangés, nos banderoles roulées. Les Chantiers avaient mis la clé sous la porte. Nous n'en serions plus jamais. Nous étions devenus des nombres, des pourcentages sur des tableaux statistiques. Ils nous avaient réduits à des taux de réemploi, de chômage, de créations d'entreprise, de préretraites, nos curriculums répertoriés, analysés, suivis, nos visages agrafés, nos vies numérotées sur des dossiers cartonnés. Sur la crête de nos têtes épinglées on traçait des avenirs incertains. Les organismes les plus divers —ANPE, Unedic, Assedic — étaient restés au chevet de ceux d'entre nous qui boitaient encore professionnellement — les uns pris dans les doutes d'une conversion trop rapide, les autres dans les mailles d'un projet qui les dépassait. Nous avions fini par nous perdre dans cet océan de sigles. Beaucoup d'entre nous ne s'occupaient pas de qui était qui et qui faisait quoi, ballottés que nous étions au gré de nos histoires personnelles.

Pages 107-108, Le Bruit du monde.
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Quand nous sortons de la Machine, nous recherchons tous la même respiration — poumons gonflés, bouche entrouverte — la même liberté de mouvement pour enfin redresser nos squelettes, tirer sur nos muscles ankylosés, dégourdir nos jambes, mouliner l'air de nos bras, la même lumière naturelle, le regard planté dans le ciel, à cligner des yeux pour accommoder. Certains jours d'hiver, le travail le réclamant, il m'arrive même de ne jamais apercevoir le soleil de la journée. Je passe la coupée avant son lever, sous les spots aveuglants qui éclairent le quai et la coque massive du navire. Je n'en ressors qu au soir tombé. Avec cette seule idée en tête d'arriver à la fin de la semaine, l'espoir chevillé au corps que le temps se mettra au beau, et que je pourrai passer du temps en bord de mer.

Page 24, Le Bruit du monde.
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Dignité. Je me surprends à murmurer le mot. Me reviennent ceux de mon père, un dimanche, sur le port où nous allons en promenade. Il est entouré de camarades de travail que l'on vient de croiser. Ils évoquent un conflit social dont j'ai égaré l'origine dans ma mémoire. Je me tiens à côté de lui, silencieux. Je suis dans cette ferveur de l'adolescence qui s'autorise bien des prises de parole intempestives. Lui seul me plie à cette règle de ne parler — en sa présence — qu'à mon tour et à bon escient. La conversation traîne en longueur. J'en perds le fil et l'intérêt. Je regarde ailleurs, du côté des coques rutilantes et des voiles qui claquent. Tout à coup, une phrase que mon père vient de prononcer me sort de ma rêverie. La dignité, c'est la seule chose qu'on ne doit jamais leur céder. J'observe les visages de ses interlocuteurs. Ils ressemblent à ceux d'élèves que leur maître fascine. Quelque chose vibre en moi qui a l'accent de l'admiration. Un peu plus tard, mon père salue ses camarades, et nous reprenons notre marche. Me restent sa parole, le silence qui la grave.
Je pense à lui, là-bas, assis dans sa pièce sombre, à torturer ses mains comme de la pâte à modeler. Je sais que dans ce monde où il est entré, la disparition des Chantiers ne sera bientôt plus qu'une anecdote.

Pages 75-76, Le Bruit du monde.
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Je ne me rappelle plus lequel des deux ensuite avait adressé la parole à l'autre. Ni comment le fil de l'histoire nous avait rapidement rapprochés. Sans doute avions-nous simplement la même envie de prendre un peu de bon temps. De profiter tant qu'on est jeune, comme disaient les anciens, avec leurs mines chargées de regrets. J'étais aux Chantiers depuis deux mois. Louise encore à l'école d'infirmières. Nous partagions la même urgence. Celle d'une indépendance à affrmer. Nous n'avions pas d'autre exigence. Nous avions posé nos sacs dans le premier appartement qui nous tombait sous les yeux. Nous nous étions assis autour d'une grosse bobine en bois qui nous servirait de table, la porte laissée entrouverte. Louise avait débouché une bouteille de vin qu'elle avait achetée le matin au marché. Et nous avions bu comme des enfants, dans l'insouciance du lendemain.

Page 31, Le Bruit du monde.
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Il m'a fait penser à ces analystes qui étaient venus, un temps, aux Chantiers pour nous aider à évaluer la valeur de notre travail. Une méthode importée des États-Unis, qui avait germé au début des années 1980 dans la tête de la direction pour réduire les coûts, tout en améliorant la qualité. Ils arrivaient à quatre ou cinq, col blanc et veste kaki. Ils nous réunissaient par métier ou par atelier. On faisait cercle autour de grandes tables, et on discutait. Eux appelaient ça « verbaliser On racontait ce qu'on faisait tous les jours sans, paraît-il, nous en rendre compte. Ils disaient qu'on devait « conscientiser la tâche». Puis ils nous demandaient d'imaginer comment on pouvait améliorer l'effcacité et le rendement de notre travail. Ils noircissaient des tableaux papier, empilaient des mots, des sigles, des acronymes, les reliaient par des flèches ou des symboles. Puis ils ramassaient nos paroles dans des « boîtes à idées» qu'ils remettaient chaque semaine, tels des trésors de bon sens, à la direction. Qu'en faisait-elle ? Nous ne l'avons jamais su, ni n avons constaté le moindre changement dans l'organisation de notre travail. Cela avait duré quelques mois, puis on n'en avait plus entendu parler. Volatilisés, tels des extraterrestres venus un temps jouer les messies avant de retourner d'où ils arrivaient. Les Chantiers en avaient été quittes pour une dépense somptuaire de plusieurs centaines de milliers de francs, histoire de se donner l'illusion qu'il y avait encore quelque chose à sauver.

Pages 124-125, Le Bruit du monde.
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Le 1er janvier 1997, la France décrétait :

interdites, au titre de la protection des travailleurs, la fabrication, la transformation, la vente, l'importation, la mise sur le marché national et la cession à quelque titre que ce soit de toutes variétés de fibres d'amiante, que ces substances soient ou non incorporées dans des matériaux, produits ou dispositifs.

Le droit venait de parler. La décision n'était pas de moindre importance. Nous l'attendions. Et pourtant ! Pourquoi avionsnous ce sentiment diffus qu'elle ne nous concernait déjà plus ? Ou plutôt, qu'elle ne s'adressait pas directement à nous ? Qu'elle était prise pour un monde sans amiante ? Un monde auquel nous n'appartenions pas. Un monde qui s'apprêtait à faire de nous des laissés-pour-compte. Car nous étions du monde d'avant. De l'ancien temps, comme disaient nos pères. Nous étions du monde qui nous avait empoisonnés.

Notre colère ne retombait pas. Tout ce que nous avions entendu de la bouche du chimiste, à la Bourse du travail, la ravivait à la moindre étincelle.

Page 138, Le Bruit du monde.
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Des substances, dans la Machine, il y en avait à la pelle. Elles flottaient devant nos narines, suintaient sur les parquets, graissaient les blocs-moteurs, vaselinaient les collecteurs, les gaines et les câbles. Plomb, benzène, solutions de sodium, huiles minérales, hydrocarbures, fumées de soudure, résines, décapants, poussières de métal ou de bois, vapeurs diverses — pour ne parler que des risques chimiques — la liste longue comme le bras. Elles faisaient partie intégrante de nos vies professionnelles. On portait sur elles un regard fataliste. On les passait sous silence le plus clair du temps. Seuls nos corps en parlaient — notre respiration souvent engorgée, notre salive d'un seul coup chargée de sable, nos yeux piqués de larmes, nos mains mouchetées de brûlures, leur peau rayée comme la glace d une patinoire. Certes nous nous protégions ! Mais cela se faisait selon les circonstances de la tâche à exécuter. Je revois Mangefer jeter sur le parquet ses gants de protection, le cuir qui le gênait pour braser la tubulure qu'il était en train de fixer, Barbe relever ses lunettes sur son front pour mieux apercevoir le point de fusion de sa découpe, l'Horloger ôter ses bouchons d'oreilles pour mieux écouter la fréquence vibratoire des turbos. Et tant d'autres faire fi des dangers qui les entouraient — pourtant maintes fois atteints dans leur chair par la lame qui coupe, les mors qui pincent, les étincelles incandescentes, les projections acides. Il n'y avait de notre part aucun autre défi, seulement le besoin d'ajuster le geste au métier.

Page 109, Le Bruit du monde.
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La suite, c'est le quotidien qui vous rattrape — ses calmes plats, ses soubresauts, ses habitudes, son cours ordinaire. Louise avait commencé à travailler à l'hôpital. Le jour, la nuit, les week-ends, elle se tenait en alerte comme un soldat mobilisable à tout moment. On se croisait. Elle partait quand j'arrivais. Rentrait quand je partais. Souvent c'était un jour sur deux. Comme dans un amour alterné. Parfois j'avais l'impression que nous prenions un de ces tourniquets, à l'entrée des grands magasins. Nos vies disparaissaient dans la rotation de nos emplois du temps. Alors on s'écrivait. Pour elle une lettre sur la table. Pour moi un mot collé sur le frigo. Elle s'appliquait, je me contentais de griffonner. Je me cherchais des excuses en répétant que je ne savais pas trouver les mots. Elle ne me croyait pas. Pour elle, chacun de nous est poète. Le seul témoin de ce manège épistolaire s'appelait Apollinaire : le chat qui habitait avec nous. C'est elle qui avait choisi son nom. J'aurais préféré Sonny, pour Sonny Rollins, dont les microsillons tournaient sur ma platine, mais les calligrammes de l'auteur des lettres à Lou l'avaient emporté sur les notes du saxophoniste.

Pages 31-32, Le Bruit du monde.
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J’ai cinq ou six ans. Je suis juché sur un bollard, Fier comme Artaban, j’arrive presque à hauteur d’épaules de mon père. Le printemps touche à sa fin. Le soleil est au plus haut. Ses rayons tombent à pic sur la mer qui clapote. On ma mis un vêtement à col marin, affublé d’une lavallière qui bâille sur ma poitrine. Ma mère et ma sœur portent des robes à fleurs et des chapeaux de paille. Autour de nous, des milliers de personnes sont rassemblées, le pont levant, les terre-pleins et les quais envahis. Les Chantiers ont ouvert au public tôt le matin. La ville s’y est engouffrée en habits du dimanche dans une procession silencieuse, comme on entre à l’office. C’est un jour chômé. Un jour de kermesse. Mon père s’est mis sur son trente-et-un. Il a le visage bienheureux, le sourire marqué du premier communiant qu’il n’a jamais été. Tout à coup, une clameur monte. Comme celle d’une libération. Je me dresse sur la pointe des pieds, sautille désespérément sur place pour apercevoir un bout du spectacle. Devant moi, les grandes personnes font écran tels de hauts arbres cachant la lumière dans une futaie. Mon père avise mon désarroi du coin de l’œil. Il me soulève comme un ballot de plumes par les aisselles, et me hisse sur ses épaules. Me voila tout à coup vigie sur un grand mât. Je mets mes mains en visière à défaut de lunette grossissante. Au bout de la grande forme, une porte flottante s’ouvre. Un navire géant glisse telle une savonnette sur un plan incliné dans la darse. Avec son ventre proéminent, il me fait penser à ce grand cétacé pourchassé par le capitaine Achab dont ma sœur me lit les aventures, le soir avant de m’endormir. J’entends mon père annoncer sur un ton de fierté : Deux cent soixante mille mètres cubes. C’est le plus gros de sa génération. Son nom est tracé en grosses lettres dorées au-dessous de l’écubier, il s’échappe telle une fusée. Des remorqueurs l’entourent aussitôt à la manière de porteurs d’eau protégeant leur champion. De leurs pompes hydrauliques sortent des geysers pour saluer sa sortie. D’autres bateaux sont là, en deuxième rideau : voiliers, chaluts, pointus pour accompagner le monstre au bout de la darse. Partout flottent des drapeaux tricolores, retentissent des coups de piston, des fla de tambours, des chocs de cymbales, résonnent des flonflons à foison, fusent des acclamations. Je me mêle aux hourras et vivats d’une voix de crécelle. Je vois mon père dénouer sa cravate, et la faire tournoyer au bout de son bras, comme un vulgaire supporter. À mon tour, je défais ma lavallière et le copie du même geste spontané. Au bout d’un moment, il lève les Yeux vers moi, s’aperçoit de mon imitation, et éclate d’un rire qui entraîne à sa suite ma mère et ma sœur.
Je l’entends encore.
183/184
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