Il y a eu la chute;
une véritable mise à genoux.
La perte de la verticalité
et de la capacité d'aller et venir.
Il y a eu l'immobilité
Une sorte de contraire de la vie..
Après l'hôpital, l'exil a été organisé
d'un centre de rééducation à
une maison de retraite.
C'est elle qui raconte,
elle qui ne pensait jamais
mettre un de ces horribles survêtements,
jamais "finir" en maison de retraite .
Son fils unique et silencieux est là,
il suit comme il peut,
la décomposition de sa mère .
Peu de mots, presque pas de mots
mais une présence .
Jusqu'où vont ils aller tous les deux
sur ce chemin des pertes?
Un texte court, vrai, fort,
qui dit, qui tait
comme dans la vie
Comme après celle ci.
La langue est belle, l'écriture et l'histoire
vous font captifs d'une rare émotion.
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Journal intime d'un déclin, troublant par la lumière nue qu'il jette sur l'indicible, pénétrant par ses réminiscences de roses et d'épines, Cette fois je ne t'attendrai pas donne à entendre le pouls de plus en plus ténu d'une vie au purgatoire. Sa clairvoyance affole nos dénis et nos sentiments enfouis.
Lire la critique sur le site : Lexpress
On me le reprochera certainement. On me fera les gros yeux comme à une enfant désobéissante. On me grondera avec ces mots sans méchanceté qui diront de ne pas recommencer. Puis on me retirera ce sac fétide, rempli de cette bouillie de matières. On me nettoiera l’entrejambe, le sillon fessier, le pubis, le bas-ventre. On effacera les coulures sur mes jambes, les traces sur mes doigts. On me mettra une nouvelle protection – parce qu’il n’y a plus d’autre moyen de récupérer ce qui sort encore de mon corps putride.
J’avais un beau visage – son ovale sans faiblesse. Je l’entretenais avec un émollient naturel qu’utilisait déjà maman en son temps. Je m’appliquais à suivre ses contours, comme une route dans la fraîcheur et la beauté de la lumière du matin. J’aimais ce rituel qui me faisait en quelque sorte le redécouvrir. Je le sortais de l’engourdissement de la nuit. Je gommais les plis du sommeil avec une telle facilité que cela en était presque déconcertant. Puis je le maquillais – toujours sans exagération. Je rosissais mes joues en les poudrant légèrement. Je les arrondissais avec un pinceau souple. J’adorais me voir accomplir ce geste circulaire sur mes deux faces – tourner ma tête, d’un côté, puis de l’autre, voir les muscles saillir sous la peau de mon cou.
Attendre. Rien que le mot pour toi est insupportable. Tu l’as toujours balayé d’un revers de manche, écrasé sous la semelle de ton impatience. Attendre n’est pas dans ta nature. Attendre n’est pas de ton temps. Il est du mien. De ce premier jour où j’ai entendu siffler les bombes au-dessus de ma tête, dans cette cave où nous étions entassés avec Grande sœur… J’ai attendu la fin de l’alerte, puis la reprise, et la fin à nouveau. J’avais l’impression que les alertes ne s’arrêteraient jamais. Puis quand elles ont cessé, j’ai attendu que la vie reprenne là où elle m’avait laissée, désemparée, à cette minute précise où ma mère m’avait tirée par le bras pour m’entraîner à l’abri, un caramel mou collé au palais de mes dix ans.
On rêvait de jupes virevoltantes, d’écumes de jupons, de décolletés gonflés, d’imprimés fleuris que nous n’aurions jamais osé porter. On entrait au Météor, sur le grand boulevard. On s’asseyait sur les banquettes en cuir au fond de la salle. On commandait un chocolat chaud et un mont-blanc à partager. Le dimanche après-midi, le lieu se transformait en salle de bal – les filles dans leurs robes piquées sur la machine à coudre de maman, les garçons guindés dans leur unique costume tiré à quatre épingles. Tout se passait sans un mot arraché à nos langues timides.
Il y a encore quelques années, je n’aurais jamais revêtu ces vêtements décontractés – leurs pantalons qui vous serrent la taille et vous bâillent aux mollets, leurs vestes zippées qui molletonnent votre ventre. Je regardais celles qui en portaient comme des personnes sans goût, peu soucieuses d’elles-mêmes et de leur image. J’avais l’impression qu’elles entraient dans un sac pour participer à une course ridicule. Le plus inélégant dans leur accoutrement était encore ces baskets qu’elles chaussaient – leurs couleurs vives ou pailletées.
Rencontre avec l'écrivain Christian Astolfi, organisée par la librairie Préambule à Cassis.
Réalisation, Claude A. Alain P.