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Critiques de Christian Astolfi (51)
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De notre monde emporté

Mémoire ouvrière.



Des années 70 à aujourd'hui, la chronique d'un monde disparu, celui d'une industrie florissante et conquérante, celui aussi d'une classe ouvrière fière et solidaire. Une dignité qui revit sous la plume de Christian Astolfi dans ce roman poignant et vibrant de poésie.



C'est un monde où le travail bien fait avait encore un sens. L'amour du bon geste qui devenait beau par la précision de son efficacité et la rapidité de son exécution.

Un monde solidaire, où le partage d'une même condition se ressentait chaque jour dans des horaire fixes et des postes clairement définis. Une unité de temps et de lieu qui incitait à se soutenir, à s'entraider mais aussi à s'éveiller et à prendre conscience, voire se rassembler, protester, et même se révolter et obtenir un peu de justice...

Un monde où les rapports de force étaient souvent prévisibles, mais utiles car le développement technologique permettait encore le progrès social (à condition de lutter).



C'était avant l'explosion individualiste et l'avènement du management néolibéral, ripoliné à coups "d'humain" à tous les étages, dégoulinant de bons sentiments trempés dans le développement personnel comme si de notre travail notre vie dépendait.

Un monde avant la mondialisation et la mise en concurrence internationale des industries et du savoir-faire de tous ses ouvriers, comme le démontre ici très bien l'auteur.



De sa longue expérience aux Chantiers navals de La Seyne-sur-Mer, Christian Astolfi écrit un livre de mémoire ouvrière beau et digne. Sa plume fluide se fait aussi légère que grave pour parler de l'amitié indéfectible entre collègues, de l'amour naissant, des lendemains qui chantent Barbara et des désillusions qui assoment.

C'est la chronique d'un pays et de sa transformation économique des années 70 à aujourd'hui. Un bouleversement industriel, "La Machine" chevillée au corps jusque dans ses entrailles, puisque même fermés les Chantiers restent physiquement en lui de par la couche d'amiante qu'ils y ont déposé. Le scandale de la "dame blanche", dont ses patrons connaissaient la dangerosité dix ans avant la fermeture du site, est le fil rouge de ce roman poignant, conducteur de toutes les émotions et de tous les poings levés.
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De notre monde emporté

Les chantiers navals de la Seyne sur Mer qui font vivre toute une ville, comptent parmi les fleurons industriels du pays. Embauché comme graisseur, le narrateur va rejoindre toute une lignée d'ouvriers qui oeuvrent dans les entrailles de » La Machine »

« À l'image de mes camarades, chaque fois qu'on me posera la question, je ne dirai jamais que je travaille aux Chantiers, mais que j'en suis. Comme on est d'un pays, d'une région, avec sa frontière. »

En pénétrant cet univers d'acier, de graisse et de bruits, on troque son nom contre un surnom. Il y a l'Horloger, Cochise, Mangefer, Filoche, Barbe et pour le petit nouveau ce sera Narval.

Le récit de Narval nous plonge au coeur même de cette vie ouvrière avec ses codes. Mais, si le travail est pénible, on est fier de bien l'accomplir. La ville respire au même rythme que les chantiers, on fait la fête sur les quais, et, lors des défilés du 1e mai, on sait lever le poing. Aussi, l'espoir est grand lorsque Mitterrand est élu en mai 1981.

Les désillusions viendront très vite. Déboussolé par l'arrêt des chantiers après le dépôt de bilan, Narval traine son mal de vivre et s'éloigne peu à peu de Louise sa compagne. A cette difficulté viendra se rajouter, sept ans après l'arrêt des chantiers, le scandale de l'amiante. Ces fibres, respirées tous les jours pendant des années de labeur, font leur travail de sape dans les poumons des anciens ouvriers.

« Des substances, dans la Machine, il y en avait à la pelle. Elles flottaient devant nos narines, suintaient sur les parquets, graissaient les blocs-moteur, vaselinaient les collecteurs, les gaines et les câbles. »



Avant d'être écrivain, Christian Astolfi a débuté sa vie professionnelle aux chantiers navals et, s'inspirant de son vécu, il nous immerge dans cette vie ouvrière agitée par les luttes sociales et minée par le scandale de la crise sanitaire de l'amiante. Après les années glorieuses viennent celles du dégoût, de la tristesse et des morts.

L'auteur évoque aussi les familles, il esquisse quelques portraits touchants comme celui du disquaire mélomane. La solidarité du monde ouvrier est bien rendue ainsi que cette camaraderie pudique et sans concessions. Les pages que le narrateur consacre à son père dont il est fier sont touchantes de vérité.

« Tout-à-coup, une phrase que mon père vient de prononcer me sort de ma rêverie. La dignité, c'est la seule chose qu'on ne doit jamais leur céder. »

Évitant l'écueil d'un lyrisme débridé, l'écriture sobre est vibrante de sincérité et de véracité. L'émotion est palpable et on sort un peu sonné de ce roman puissant. Pour mou, la découverte d'un auteur et un coup de coeur.





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De notre monde emporté

Naval, Cochise, Barbe, Filoche et Mangefer, hommes aux surnoms portés en cale sur les chantiers navals de Seyne-sur-mer, se tiennent la pogne, tirent, suent dans la fournaise où vole ce qui étouffe et fait cracher. Leur monde est dans la tâche, là, en bas où l’amitié serre les coudes et la crasse de ceux qui exploitent soude.

Dès les premières pages de ce roman, le souffle manque. La rudesse empoigne et nous entraine dans les entrailles des cargos rafistolés à coups de masse, de graisse, d’hydrocarbures, de soudures et de cette matière aux multiples promesses, blanche, inodore et tranquille dont on respire les fibres sans méfiance alors qu’elle s’arrime aux poumons où, silencieuse, elle prend ses aises. Ils en crèvent, ces hommes, et l’ignorent. Pourtant depuis 1977, la toxicité de l’amiante est connue.

Lorsque j’ai reçu ce roman dans le cadre du prix du livre France bleu / Page des libraires, j’ai pensé que sa lecture allait être pénible, voire désagréable. Le résumé ne me plaisait pas, le thème m’intriguait mais sans plus et j’avais en tête l’idée toute faite d’avoir en main « un livre de mec pour des mecs » ! Qu’est-ce qu’on est c**, parfois !!! Ce roman est tout le contraire de ce que j’ai cru : il est absolument passionnant ! Et je l’ai dévoré, touchée par l’existence de ces hommes malmenés par la conjoncture, trompés par les politiques, par leurs employeurs, livrés à eux-mêmes, des hommes de chair et de sang, bien vivants, dont on entend la toux et la souffrance, dont on prend le chagrin, la colère, des hommes pour lesquels on mesure l’immensité d’un gâchis.

Ce roman est un cri à entendre. Il est le cri de ces hommes relayé par la plume incroyable d’un auteur dont il faut retenir le nom. Fresque sociale et historique – de la fin des années 70 à nos jours, il rappelle ce qu’on ne peut ignorer et dénonce les actions menées en politique dont les répercussions se font encore sentir aujourd’hui.

Une lecture bouleversante.

Ce roman a remporté le prix France Bleu / Page des libraires 2022


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De notre monde emporté

J’aime les romans qui racontent un pan oublié de l’histoire contemporaine. Qui se souvient des chantiers navals de la Seyne-sur-Mer ? Qui se rappelle des victimes de l’amiante ? Christian Astolfi.

Il nous embarque dans un récit fort et lucide, à la rencontre des hommes qui ont voué leur existence à la « machine », à la construction des géants des mers. Ils se surnomment Narval, Cochise, Filoche, Mangefer ou Barbe (très belles descriptions aux pages 13, 18 et 28). On partage leurs plus grandes espérances (l’arrivée de la gauche au pouvoir) et leurs plus sombres désillusions : la fermeture des chantiers (« J’avais finalement choisi de prendre la prime de départ (…) J’avais l’impression d’être un tueur à gages que l’on payait pour sa propre exécution »).

Ils sont pris de cours. Les uns soufflent le verre, les autres excellent dans la ferronnerie ou l’encadrement. Ils ont quitté leur travail d’équipe et leur confraternité pour des boulots d’artisans solitaires sans se douter qu’une ennemie, plus redoutable encore que le désœuvrement, les attend au tournant de leur vie.

Filoche ne se rendait compte de rien. Il maniait l’amiante avec désinvolture (« Le ramoneur a sa suie, le boulanger sa farine, moi j’ai le chrysotile qui me fait des pellicules »). Tout le monde savait, les pouvoirs publics, les syndicats, les scientifiques. Ils ont sacrifié quelques centaines d’ouvriers plutôt que de stopper la machine économique et d’engager la responsabilité de l’État. Il n’est pas mis en cause, il a pour alliés la lenteur de la justice et la mortalité accélérée des plaignants (« Nous n’avions pas de thérapie à mener. Sinon celle de ne pas oublier d’où nous venions »).

Un roman juste et poignant qui referme le chapitre de l’ère industrielle.

Bilan : 🌹🌹

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Cette fois je ne t'attendrai pas

Il y a eu la chute;

une véritable mise à genoux.

La perte de la verticalité

et de la capacité d'aller et venir.

Il y a eu l'immobilité

Une sorte de contraire de la vie..

Après l'hôpital, l'exil a été organisé

d'un centre de rééducation à

une maison de retraite.

C'est elle qui raconte,

elle qui ne pensait jamais

mettre un de ces horribles survêtements,

jamais "finir" en maison de retraite .

Son fils unique et silencieux est là,

il suit comme il peut,

la décomposition de sa mère .

Peu de mots, presque pas de mots

mais une présence .

Jusqu'où vont ils aller tous les deux

sur ce chemin des pertes?

Un texte court, vrai, fort,

qui dit, qui tait

comme dans la vie

Comme après celle ci.

La langue est belle, l'écriture et l'histoire

vous font captifs d'une rare émotion.
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De notre monde emporté

Christian Astolfi est un auteur qui mériterait d'être plus connu. Heureusement, je le découvre grâce à la sélection de son quatrième livre "De notre monde emporté" pour le Prix des lecteurs de ma bibliothèque. C'est un excellent choix car j'aime beaucoup ce roman social de la fin du 20ème siècle dans lequel on découvre le quotidien des ouvriers des chantiers navals de la Seyne-sur-Mer.



François Lorenzi est le narrateur mais aux chantiers il est nommé Narval car ils ont tous des surnoms. On y découvre tous les corps de métiers avec Mangefer, Barbe, Filoche, Cochise et L'horloger.

Le port avec la mer en point de mire, le bruit des tôles que l'on cogne et l'horizon barré par la ronde incessante des navires dans la darse est le théâtre de sa vie, son histoire familiale.

Quand les chantiers navals ferment alors qu'ils ont été le regroupés avec ceux du Nord, la Normed suit le mouvement de désindustrialisation de la France après les charbonnages et la sidérurgie. Le désœuvrement est d'autant plus grand pour les ouvriers qui y travaillent que la gauche est au pouvoir. Malgré les luttes et la solidarité, les désillusions vont grandissantes dans les années 1980 à l'époque où les dangers de l'amiante pèsent encore peu face à la mort sociale des ouvriers. Le scandale sera vite dénoncé avec de nombreux malades et les vies écourtées mais l'interdiction d'utiliser l'amiante ne sera votée qu'en 1997. Et ce n'est pas terminé…



J'ai beaucoup aimé la construction en courts chapitres de ce livre où les allers-retours dans le temps ne perturbent pas le fil du récit. Avec son titre évocateur "De notre monde emporté" le ton est aussi nostalgique qu'il est combatif dans les romans sociaux de Gérard Mordillat. Mais comme lui, Christian Astolfi fait sortir les voix du monde ouvrier avec une justesse d'écriture remarquable en raison de son expérience.





Challenge Riquiqui 2023

Challenge Multi-défis 2023

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Une peine capitale

Un père , un fils mais pas n'importe quel père , celui - ci est le dernier bourreau français , le terme officiel étant l'exécuteur en chef des arrêts criminels de la république .

Le père a épousé la nièce d'un exécuteur et c'est d'ailleurs grâce à cet oncle qu'il aura ce travail si particulier.

Pas simple d'être le fils d'un tel homme , surtout que la seule personne qui donne un peu de tendresse , la mère va mourir d'une maladie grave .

Voilà nos deux hommes père et fils dans un quotidien bien triste , sans amour , sans presque aucune parole , le père espère que son fils va lui succéder mais hélas ce dernier n'est vraiment pas fait pour ça , il est trop sensible , n'est pas bourreau qui veut

Les dernières espérances du père vont prendre un coup fatal en 1981 , date où la peine de mort est abolie en France , pour lui c' est vécu comme un trahison , il ne perd pas simplement son travail mais également une partie de son identité , cet homme n'a jamais imaginé que la peine de mort serait abolie .

Père et fils n'arriveront jamais à se rejoindre , le père est froid , distant comme la lame de la guillotine.

L'écriture est du même acabit , froide , sèche , d'une concision qui touche au sublime .

Une lecture troublante dont on se souvient longtemps.

Premier livre de Christian Astolfi mais qui est en réalité son deuxième roman , roman qui fait partie des six romans du prix Horizon .
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Les tambours de pierre

Attention pépite !

J'ai adoré ce roman où il n'y a pas un mot de trop , une concision qui m'a séduit , qui donne de la force au récit .

Le livre nous parle de la mémoire , peut - on findiller le terrible mur dressé par la maladie d'Alzheimer en essayant de faire revivre une part du passé , en essayant de mettre le doigt sur les actes les plus importants d'une vie , ces moments qui ont compté pour nous et qui nous rendent singuliers .

Ici le narrateur qui se présente comme restaurateur de mémoire , quel merveilleux terme , va établir un contact fugace mais petit miracle tout de même , avec un homme de 82 ans , atteint de la maladie d'Alzheimer à un stade irréversible , ça m'a fait rêver cette partie du livre .

Les tambours de pierre, le titre fait référence lui au chantier naval , où a travaillé le père du narrateur , chantier naval aujourd'hui à l'abandon , devoir de mémoire également pour tous ces ouvriers qui ont perdu leur travail , pire dont l'outil de travail n'existe plus , il n'y a plus que des ruines à la place des gigantesques machines . Il n'y a plus que des malades victimes de l'amiante .

Qui est -on encore quand le paysage du travail de toute une vie disparaît ?

Il y a un grand rôle joué par les photos dans ce beau récit sensible .

C'est le premier roman de l'auteur Christian Astolfi , dont j'ai lu il y a quelques jours le deuxième roman ´ Une peine capitale ´ , dans le cadre du Prix Horizon .

Une belle découverte , merci à E. pour ce beau partage , voilà à mon tour que je vous le conseille chaleureusement..
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De notre monde emporté

Il y a une certaine logique de transmission dans le palmarès du prix France Bleu / Page des Libraires, d'un chantier naval à l'autre, du Tant qu'il reste des îles de Martin Dumont lauréat 2021 à De notre monde emporté de Christian Astolfi couronné en 2022. Le fil qui les relie c'est l'humain, la camaraderie, cette relation singulière qui se crée autour de la fabrication d'un bateau, pièce unique qui nécessite la mise en œuvre de compétences, un tempo, une réunion de savoir-faire bien spécifiques et complémentaires. C'est ce que Christian Astolfi fait tellement bien passer avec sa prose sobre mais précise, au service de l'orchestre qu'il dessine, car oui, ce chantier de la Seyne-sur-Mer fonctionne comme un orchestre bien réglé où se succèdent chœurs et solos parfaitement exécutés. Le narrateur y est entré en 1972, sur les traces de son père et il y a grandi aux côtés de ceux qui sont peu à peu devenus une seconde famille. A chacun son surnom, c'est la tradition, lui est maintenant Narval à la suite d'une journée mémorable. Les conditions de travail sont difficiles, dans la graisse, le bruit incessant des machines, la chaleur, mais les géants qui sortent de là font la fierté de tous ces hommes. C'est leur vie, leur raison d'être. Pourtant, l'activité tangue, au début des années 80 et malgré l'espoir né de l'arrivée de la gauche au pouvoir fêtée dans la liesse, les chantiers sont restructurés puis, quelques années plus tard complètement fermés. Pour certains c'est une sorte de mort, mais ils ne savent pas encore que la mort, la vraie rôde insidieusement dans leurs organismes exposés à l'amiante.



Sous la plume inspirée de Christian Astolfi c'est tout un monde qui renaît. Il y a de la chair, des bruits et des sensations dans ces pages qui racontent la vérité d'une fierté de travailleur et les espoirs floués, qui disent la réalité humaine face au système qui broie. Il y a tout ce qui n'apparaît jamais dans un compte-rendu journalistique, l'essence d'un être dont la vie se confond avec le labeur au point de ne plus trop savoir qui il est une fois arraché à sa tâche. Est-ce que cet investissement corps et âme valait le coup pourrait-on se demander ? L'auteur glisse habilement la question qui ne prend jamais le pas sur l'entreprise mémorielle de ce texte. Depuis le début ce sont les hommes qui comptent, ce sont eux dont il faut se souvenir par ces temps de luttes jamais interrompues.
Lien : http://www.motspourmots.fr/2..
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Une peine capitale

Un petit roman d'un auteur que je ne connaissais pas. Un livre sur la non-communication, le non-amour. Froid et surprenant et pourtant qui se laisse lire avec plaisir.

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De notre monde emporté

Je remercie Babelio et les Editions Pocket pour ce roman de Christian Astolfi.

Dans le récit « de notre monde emporté », le narrateur, Narval (surnom que lui ont donné ses collègues) raconte son quotidien au coeur des Chantiers navals de la Seyne-sur-Mer. Il commence à y travailler au début des années 70 jusqu'à la fin des années 80, à la fermeture des chantiers et la liquidation de la société Normed (regroupant les chantiers navals de Dunkerque, la Seyne-sur-Mer et la Ciotat).



Narval nous parle de ses premiers jours, de la découverte de ce travail dur, physique, des gestes qu'il acquiert face aux machines, de cette communauté avec ses collègues, ses camarades, presque une famille. Chacun se voit attribué d'un surnom en fonction de ses qualités pour une tâche particulière ou encore pour un trait de caractère. Des surnoms qui soudent les uns aux autres, qui leur donnent également le sentiment d'appartenance à un groupe et leur confèrent une identité sociale. de ce métier difficile, dans l'antre de « la Machine », naissent des relations solides entre collègues, la passation du savoir, des techniques, leur attachement à leur métier, la satisfaction du travail accompli, l'entraide, une cohésion, des amitiés fortes, un groupe, une famille…

D'ailleurs, entrer dans les chantiers, c'est souvent une histoire familiale. le père de Narval, cet homme qu'il admire et respecte, a fait lui aussi partie des chantiers.



Mais les commandes commencent à diminuer, certains contrats de travail ne sont pas renouvelés… Et malgré la lutte ouvrière, les grèves, les chantiers finissent par fermer, en laissant plus d'un sur le carreau… et La Seyne-sur-Mer s'allonge à la longue liste des villes ouvrières qui baissent le rideau (Longwy, etc.), avec cette impression que direction, pouvoirs publics et même syndicats n'ont pas assez oeuvrés pour maintenir le travail de ces salariés, pour ne pas dire qu'ils les ont laissé tomber…

Et pour avoir pendant tant d'années travaillé, avoir été malmené physiquement, s'être usé, pour avoir tant donné à son travail, aux chantiers, il y a de quoi l'avoir mauvaise, il y a de quoi ressentir aigreur et abattement.

Alors que certains peinent encore à retrouver du travail, que d'autres n'ont plus la même implication pour leur nouvel emploi, un autre mal rôde et ronge, encore plus insidieux… l'amiante appelée par un de ses collègues ‘'la dame blanche''.

Lui et ses anciens collègues vont finir par apprendre que l'amiante -qu'ils respiraient toute la journée dans les chantiers- est mortelle et que les dirigeants le savaient, au moins dix ans avant la fermeture des chantiers navals… de quoi démolir encore, de quoi rager encore, de quoi mettre un gros coup au moral encore, de quoi faire naitre désillusion et amertume, colère et rancoeur… surtout à la vue des amis qui sont malades, s'amenuisent et meurent…



A travers Narval, l'auteur nous ouvre les portes sur le quotidien des chantiers navals. Dans ce roman social, il met en scène ces ouvriers, une classe sociale qui pendant des décennies a permis à l'hexagone de construire sa force industrielle… Industrie qui a fait les belles années de la France avant que le tertiaire ne la supplante et qu'on commence à oublier peu à peu ceux qui ont travaillé et qui travaillent encore dans ce secteur...

Durant la lecture de ce roman, j'ai pensé à d'autres récits mettant également en avant cet univers professionnel : « A la ligne », « l'établi », etc. ou encore au très bon documentaire « Nous, les ouvriers » passé récemment sur France2.



Né à Toulon en 1958 dans une famille ouvrière, Christian Astolfi, entre à 16 ans comme apprenti à l'Arsenal maritime de Toulon et deviendra ouvrier charpentier tôlier, avant d'entreprendre des études d'ergonomie qui le conduiront à analyser le monde du travail.

Parce que, notamment, il y a travaillé pendant des années, Astolfi sait raconter, créer l'ambiance, reproduire les gestes, faire entendre le bruit assourdissant dans la Machine, le coeur des Chantiers. Il sait parler aussi, avant tout, de ces hommes, ceux qui disaient « être des Chantiers ». Et rien que cela, une fois perdu, on peut comprendre que leur identité sociale est mise à mal.

Par un subtil mélange d'une narration pleine de pudeur, de mots justes qui percutent et de petites touches poétiques (lors de l'évocation de la relation amoureuse entre Narval et Louise ou encore par la référence à Neruda), Christian Astolfi réussit à marquer le lecteur.



Un récit que j'ai ressenti comme un double témoignage, à la fois celui du vécu de ces ouvriers, mais aussi celui de l'affection et l'admiration d'Astolfi pour ses camarades, ses frères…





[Et le combat de ses salariés se poursuit avec ses succès et ses revers … Extraits de journaux glanés sur internet, suite à cette lecture:

-Octobre 2023 « le tribunal administratif de Besançon a rejeté le jeudi 26 octobre dernier l'ensemble des requêtes déposées par d'anciens salariés du site d'Alstom à Belfort, qui demandaient réparation après avoir été exposés à de l'amiante jusqu'en 1985. Il s'agissait d'une ultime tentative des plaignants engagés depuis les années 90. »

-Avril 2021 : « La justice a condamné l'État à indemniser, pour le préjudice d'anxiété lié à l'exposition à l'amiante, 32 ex-salariés des chantiers navals de la Normed à Dunkerque avant la première réglementation de 1977. » […] 150 autres salariés attendaient encore leur jugement à cette époque

« Dans l'un des jugements favorables datés du 28 avril, le tribunal administratif de Lille estime que l'État a commis une ‘'faute de nature à engager sa responsabilité'' en n'ayant pas pris de mesures, dans les années 1960, pour éviter ou limiter les dangers déjà connus liés à l'exposition à l'amiante.

Le juge reconnaît également que l'État a failli à son rôle de contrôle, après 1977 et jusqu'à la disparition de la société à la fin des années 1980, en n'envoyant pas l'inspection du travail s'assurer du respect de la réglementation, mais estime que cette absence ne peut être ‘'fautive qu'au terme d'un certain délai''.]

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De notre monde emporté

Narval grandit dans un milieu ouvrier à La Seyne-sur-Mer, près de Toulon, dans les années 1970. Employé des chantiers navals, tout comme son père, il se construit une identité auprès de ses collègues autour de l’amour du travail bien fait. Des années plus tard, en apprenant l'éventualité d'une fermeture du site pour raisons économiques, il rejoint ses camarades dans la lutte.



Un roman – ou un récit – qui, grâce à l’expérience de Narval et à ses camarades hauts en couleur, réussit le pari de nous faire vivre les crises du vingtième siècle et cette triste période de la désindustrialisation en France à hauteur d'hommes.



Ces hommes fiers et dignes, courageux et travailleurs, se sont retrouvés remerciés et laissés sur le carreau, presque du jour au lendemain, après pas loin de 40 ans de carrière pour certains. Leur corps détruit à petit feu par la fibre, «la dame blanche», cette amiante dont ils étaient recouverts et dont ils respiraient les poussières dès les années 1970. Triste neige.



Qui se souvient encore de cette période ? Seront-ils encore nombreux à pouvoir témoigner ?



Ce texte est très poignant et nous amène au plus près de Narval, Filoche, Barbe, Conchise et les autres. Entre les lignes, la perte de la dignité, la maladie, la mort, mais surtout l’humanité, la camaraderie et la solidarité d’un monde qui n’est plus.



Merci à l’opération Masse Critique de Babelio et aux éditions Pocket.

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De notre monde emporté

C’est le roman d’une débâcle annoncée, le naufrage des chantiers navals et le scandale sanitaire de l’amiante.

Une histoire contemporaine du monde ouvrier. Le récit d’un combat social, d’une ode à la camaraderie, au combat pour la dignité.



Ils étaient au-devant de la scène où se joue la dérive d’un drame déjà écrit.

« Des Chantiers, jusqu’à notre dernier souffle, nous resterions ».



Toute une époque est relatée dans ce roman dans son évolution politique et sociale, avec les espérances et les désillusions.

Ces ouvriers des Chantiers navals de La Seyne sur Mer sont nombreux, à travers leur dur labeur, à s’être tués à la tâche ; tragiquement jetés en pâture, car si eux ne savaient pas, certains savaient.



Alors que des anciens des Chantiers se retrouvent à Paris en mars 2015, victimes d’un interminable feuilleton judiciaire, l’auteur revient sur les années où les Chantiers, alors en pleine activité, faisaient vivre des milliers de famille.



Le surnommé Narval commença à travailler aux Chantiers en 1972, tout comme son père avant lui. Avec « ses frères d’insalubrités », il découvrit là tout un monde nourri par un fort sentiment d’appartenance. Y régnaient la franche camaraderie, l’esprit de famille, la forte solidarité.

Aux Chantiers, le risque chimique était quotidien, la Tôlerie, la Forge, la Machine… bourrée de substances toxiques …



Puis de blocages en affrontement, ils se sont battus pour maintenir les Chantiers à flot. Peine perdue. « Nous liquidions notre colère. Pendant ce temps, en coulisse, eux liquidaient les Chantiers ».

On ne soupçonnait pas encore l’issue tragique qui sonnerait le glas d’une époque, tout un monde.

Emporté, il le sera ; la menace sourde couvait, une condamnation inéluctable car l’amiante était partout.



Pour ces travailleurs, ce fut la double peine, la fermeture des Chantiers et surtout le scandale de l’amiante. Le poison était là depuis toujours.



L’auteur décrit, avec une justesse touchante, l’atmosphère autour de ces travailleurs des Chantiers, de l’engouement avec l’espoir des promesses annoncées, l’émulation, jusqu’à la restructuration, le désenchantement, la liquidation et enfin la sidération…

Ils se sont battus pour leur dignité, et porter devant la Justice ce scandale sanitaire.



Des phrases courtes et percutantes, une écriture mêlant sobriété et poésie.

C’est un roman poignant que j’imagine très bien adapté à l’écran.

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De notre monde emporté

« Nul parmi nous n’esquisse le moindre mouvement de repli. Tous nous restons de marbre. Yeux secs. Lèvres muettes. Mains dans les poches ou sur l’anse des sacs à main. Rien de ce que nous ressentons ou pensons ne se voit ni s’ébruite. Nulle voix ne s’élève. Nul souffle ne s’échappe. Nous sommes là parce que nous attendons…Nous attendons l’arrêt de la chambre criminelle de la plus haute juridiction de l’ordre judiciaire de ce pays, sur le pourvoi que nous avons formé pour homicides et blessures volontaires dans le scandale sanitaire qui nous frappe. Le malheur qui a jeté sur nos vies depuis plus de vingt années un voile de malheur. Le scandale pour lequel nous réclamons à nouveau qu’on nous fasse réparation. Le scandale de l’amiante. » Le narrateur, Narval, fait le récit de ces vies sacrifiées, grignotées par l’amiante. Des vies d’ouvriers qui se sont déroulées sur les chantiers navals de la Seyne-sur-Mer où l’amitié permet de tenir le coup face à la dureté des tâches. Des ouvriers liés par les luttes : contre la fermeture des chantiers, contre l’amiante.



« De notre monde emporté » est un roman juste et digne sur le monde ouvrier, à l’instar de « A la ligne » de Joseph Ponthus. Christian Astolfi nous raconte le délitement d’un monde, l’effondrement du centre économique de la Seyne-sur-Mer. Ce que montre parfaitement l’auteur, c’est la fierté des ouvriers, leur dignité et le fort sentiment d’appartenance à une communauté, à un lieu. Ce n’est pas seulement leur travail que Narval et ses camarades perdent à la fermeture des chantiers navals, c’est également une précieuse fraternité.



Christian Astolfi inscrit son roman dans l’histoire politique de la France des années 70-80. La gauche arrive au pouvoir et fait naitre un immense espoir notamment dans la classe ouvrière. « De notre monde emporté » est également le récit d’une déception face aux promesses non tenues de la gauche, les enfants des soixante-huitards sont à leur tour floués. Le chagrin, mais aussi la nostalgie des années de chantier, innervent le récit de Narval qui voit sa vie et celles de ses camarades se disloquer. La solitude prend la place de la communauté, les souvenirs prennent celle d’un possible avenir.



« De notre monde emporté » est un roman poignant, sans esbrouffe sur la disparition du monde ouvrier, sur la désillusion et le désenchantement. Mais l’écriture, celle de Christian Astolfi et celle de Narval, permet de faire revivre les amitiés, les solidarités perdues.
Lien : https://plaisirsacultiver.com/
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De notre monde emporté

Le roman s’ouvre sur la notion de justice, sur la fin de combat qui aura laissé beaucoup de personnes et d’idées sur le carreau. À travers le regard imbibé de mélancolie de Narval, nous découvrons d’abord le décor de ces chantiers, leur fonctionnement, les personnalités des ouvriers. Ensuite, c’est la confrontation avec la réalité, avec ce capitalisme des années 80 qui s’exprime et se déploie. Le narrateur tente de garder une certaine distance avec tout cela. Il observe surtout. À ses débuts, il ne cesse de regarder son père qui a fait toute sa carrière ici. Narval admire, respecte et semble indécis face aux affirmations des autres, à leur positionnement. C’est donc un monde admirable qui nous est présenté, d’autant plus qu’il sera émietté progressivement et douloureusement. On assiste à la disparition des chantiers, à la fin d’un monde oublié par les politiques. C’est depuis le monde ouvrier que le narrateur nous raconte les actions politiques.

Christian Astolfi mène un récit où les illusions n’ont pas vraiment leur place. L’histoire est un long flash back alors le narrateur, Narval en l’occurence, sait que les attentes seront déçues. Cette déception est renforcée par les allers-retours entre le présent et le passé, entre Mais il faut parfois mettre de côté les menaces si prévisibles. Nous sommes ainsi au coeur d’un monde qui lutte pour sa survie, garde l’espoir chevillé au corps et c’est très beau. L’auteur emporte son histoire par la puissance de ces personnages, par la détermination de leur conviction. Ces envolées ne cachent pas l’amertume grandissante et cette sensibilité au monde, tentant de s’accrocher au présent et de rêver un futur, renforce la portée citoyenne de ce roman. En filigrane de l’agonie d’un monde industriel, on observe la maladie ronger, petit à petit pour certains et brutalement pour d’autres, les ouvriers. Alors les personnages disparaissent progressivement et le roman s’enrichit d’une foule de fantômes dont Narval devient le porte-parole, le héraut.
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De notre monde emporté

Me tenir aux mots comme à un fil dans l’obscurité.

Un jour d’Octobre 1972, comme son père des années avant lui, Narval arrive aux Chantiers navals de La Seyne-sur-Mer. Bienvenue dans le monde des ouvriers, des bruits, des odeurs, des matériaux spécifiques à ce type d’emploi. C’est auprès de ses collègues que Narval va devenir un homme, affiner sa personnalité, faire des choix, affirmer ses idées.

Ce roman est une observation fine et très juste du monde des ouvriers. Au bout de quelque temps, des liens très forts sont déjà tissés. « En quelques mois à peine, la Machine nous lie, les Chantiers nous tiennent ferme, main dans la main, chacun est important aux yeux des autres. »

Machine et Chantiers ont une majuscule, comme s’il s’agissait de noms propres, sans doute pour les « personnifier » et dire combien les deux sont présents et prennent de la place dans le quotidien des travailleurs. Tous ont des surnoms, des habitudes qui les démarquent des copains et qui accompagnent leur personnalité. Quand l’un arrête, ceux qui restent sont tristes. Ils se soutiennent, se connaissent, s’entraident, discutent. Narval est de ceux-là, il vit avec sa compagne dans un petit appartement, travaille sérieusement et envisage l’avenir assez tranquillement.

En 1980, les premières rumeurs de fermeture courent, et chacun y va de son idée, comment agir, et d’abord, est-ce que c’est vrai ? Peu après, c’est l’élection de Mitterrand, on suit les hommes, l’actualité, leurs discussions. Beaucoup ont voté à gauche, pensant qu’ainsi tout ira mieux pour eux qui sont en bas de l’échelle. Et pourtant : « Je crois qu’ils m’ont volé ce qu’il me restait d’espoir. »

Les premiers signes de maladie apparaissent chez l’un ou l’autre, c’est l’amiante qui les empoisonne mais le rapprochement n’est pas fait tout de suite. On cache les faits, on les tait afin de ne pas faire peur à ceux qui sont encore sur les chantiers.

« La navale vivra. » La crise économique, la concurrence internationale, la révolution industrielle, les difficultés sont là et augmentent. C’est très pénible à vivre pour ceux qui sont sur le terrain. Les employés luttent, avec leurs moyens, mais c’est compliqué. Cela crée des tensions quand il y a désaccord. Narval s’accroche, pense à son père pour qui les chantiers étaient toute sa vie. Que faire ? Comment laisser une trace de tout ça ? Comment rester « présent » dans son couple lorsque les problèmes rencontrés au travail envahissent votre esprit ? Narval est tiraillé, partagé, il souffre. Il veut comprendre les réactions des autres, les raisons de leurs décisions.

Le récit est très vivant, les phrases courtes donnent un bon rythme. Narval est un personnage attachant qui partage plusieurs années de sa vie avec le lecteur, le texte est écrit à la première personne. L’écriture de Christian Astolfi est délicate, poétique, c’est à la fois sobre et précis. Tout est dit en peu de mots car ils sont magnifiquement choisis et font mouche. Cela m’a beaucoup plu. Ce recueil est édifiant, on réalise ce qu’ont vécu ces hommes, ce qui les a portés ou abattus. Avec eux le mot fraternité prend tout son sens.


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Une peine capitale

C'est un huis clos à trois puis à deux, oui clos par le père, figure paternelle tournée vers le non, l'ordonnancement, en marche vers la machine qui dévisage les corps condamnés.

Un huis clos plein d'une présence qui ronge plus que l'absence, d'un regard sombre comme une ombre, aussi tranchant que la lame de la guillotine, qui impose le silence sans jamais dispenser la moindre tendresse.



Pour survivre, l'enfant, entre deux exécutions, traverse les jours en apnée, hurle sans un bruit devant le miroir, à s'en décrocher la mâchoire. Attend une tragédie pour rejoindre la surface, crache la boule de cendres coincée au fond de sa gorge et remplit ses poumons d'un peu d'ivresse, d'humanité. Il secoue la couverture lugubre et dénoue ses cauchemars, parle, vit, un peu. Se souvient de sa défunte mère. Vite. Avant qu'Il ne revienne.



Il quittera la maison comme on sort de prison. Retrouvera, figure humaine dans le bruit et la poussière de plomb. Éprouvera un sentiment de liberté. Une liberté conditionnée par Son regard.
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De notre monde emporté

« De notre monde emporté » livre socle, l'exemplarité et la rectitude.

Il suffit de lire les premières pages pour comprendre l'heure cruciale. Être d'emblée en transmutation aux Chantiers navals de la Seyne-sur-Mer. L'écriture cède la place au vaste de ce récit éperdument sociétal et engagé.

La douceur du ton est un arrêt sur le mot et son symbole. Figer ce qui fût de ces hommes aguerris à l'effort, à la beauté même du travail bien fait, la glorification du travail. Sueur perlée sur le front, mains gercées, les heures longues d'un travail opératif.

Le narrateur est un jeune homme surnommé Narval par ses pairs, passeur des existences blessées et meurtries dans leur chair. Son père avant lui, ses collègues et amis, les Chantiers navals, le pictural du monde ouvrier. Bataille rangée dans l'action même, « je ne dirai jamais que je travaille aux Chantiers, mais que j'en suis. Comme on dit d'un pays, d'une région, avec sa frontière. » Des centaines d'hommes, fourmis en file indienne, vaillants et tenaces, régler, démonter, polir, subir, se serrer les coudes, la concorde et la connivence pour alliées. Un navire, des milliers d'heures de travail, sans même savoir le risque, l'amiante à cris et à flots, à mains et à souffles. Poumons pris en otage, ils ne devinent pas, pas encore, le flux de ce poison lent.

Puisque le temps est à la grève, à la reconversion, au lâcher-prise, au vaisseau fantôme. Les Chantiers navals agonisent. « Comment imaginer à cet instant que tout cela , un jour, puisse disparaître. »

Narval pressent sa vie basculer. Les aiguilles s'affolent. Tout change, Louise, sa compagne, le quitte. Ce serait s'affranchir, couper le cordon qui le retient encore un peu, dans cette ville où son coeur bat en diapason de celui de ses collègues et amis.

Le récit est olympien, calme, maîtrisé, malgré les turbulences de ce qui va advenir subrepticement. On ressent Narval attentif aux siens, à l'image de son père, mort car malade d'un trop plein de travail et d'amiante. « Je gardais les Chantiers en point de mire… Je me demande juste si après tant d'années passées aux Chantiers, on vaut quelque chose dehors. Je veux dire sur le marché du travail. »

Questionnements, l'impression d'un gâchis immense. Il est un symbole, « il n'y avait de notre part aucun défi, seulement le besoin d'ajuster le geste au métier. »

un double drame qui a pris son temps pour abattre ses victimes : la fibre. « La fibre s'élevait et retombait en pluie fine sur leurs vêtements, saupoudrait leurs mains nues, pailletant leurs chevelures. On tournait autour du mal sans le savoir. »

Asbestose. Tous, vont être malades, voire mourir à petits feux. le tourbillon, trou noir, d'aucuns sont ici au tribunal emblématique. Entendre les responsables, craquer ses doigts, serrer les poings, larmes sur les bateaux invisibles. Veuves à milliers, fils et pères en fauteuil roulant, l'amiante, « l'héritage empoisonné ».

« Ce soir-là, j'ai écrit sur mon carnet. Il n'y aura pas de reconnaissance définitive de notre condition tant que notre parole ne sera pas jetée à la face de ce scandale. »

Christian Astolfi est un passeur, un lanceur d'alerte, car l'heure est toujours pavlovienne. Un homme-écrivain qui rend hommage à ses frères des Chantiers. Il pointe du doigt là où ça fait mal. Il dévoile une période qui s'étire en vie entière, celle du monde ouvrier et de ses plus grands malheurs. La Cause du siècle. Sociologique, la fraternité révélée, les souffrances et les lâchetés des puissants, tout ici est mémoire et urgence sociétale. Ce serait à l'instar du Rocher de Sisyphe, mais voilà Christian Astolfi prend parole et acte le combat de « Notre monde emporté ». Livre d'utilité publique, pétri d'humanité. Une chronique sociale, politique, sans colère froide. Juste dire les faits et bousculer les diktats qui perturbent le café du matin avant de franchir les Chantiers navals de la Seyne-sur-Mer. Un hymne au monde d'en bas, alors que c'est celui d'en haut pour ceux qui savent. Ce récit est un livre blanc résolument bâti. Un hommage bouleversant car humble. Publié par les majeures Éditions le bruit du monde.

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De notre monde emporté

A La Seyne-sur-Mer comme ailleurs en France, les chantiers navals ont longtemps fait la fierté de ceux qui y travaillaient : la mise à l’eau d’un nouveau navire était l’occasion d’une cérémonie à laquelle les ouvriers qui l'avaient bâti se réjouissaient de prendre part, revêtus de leur habit du dimanche. D’ailleurs, le Chantier, on n’y travaillait pas, on en était, « comme on est d’un pays, d’une région, avec sa frontière. » Mais vous connaissez l’histoire : désindustrialisation, choc pétrolier, concurrence internationale… plans de restructuration, licenciements, le Chantier se délite peu à peu.



Un espoir immense, cependant, surgit, celui de l’accession de la gauche au pouvoir. Avec Mitterrand et des ministres communistes au gouvernement, les lendemains vont enfin chanter et la navale vivra ! Enfin… certains ne peuvent s’empêcher de douter, et le tournant de la rigueur leur donnera rapidement raison. A la fin des années 80, le Chantier ferme définitivement ses portes.



L’histoire n’est pas finie pour autant. Les ouvriers sont touchés par une maladie qui atteint leurs poumons et leurs capacités respiratoires. Comme un deuxième round fatidique, l’amiante à laquelle ils ont été exposés lorsqu’ils exerçaient leur métier les tue à petit feu. Et même si, par bonheur ou par miracle, ils en réchappent, l’épée de Damoclès est là, qui empoissonne les jours qui leur restent.



Et pourtant, on savait. Il en faudra de la pugnacité pour faire éclater le scandale, longtemps contenu par les lobbys...



Avec les mots simples des protagonistes et une extrême pudeur, sans effet de manche ni de pathos, Christian Astolfi retrace le chemin de ces ouvriers que l’on a voulu reléguer aux oubliettes de l’histoire pour leur rendre toute leur dignité. Plus largement, il restitue une époque, ses espoirs et ses combats. Il nous invite ainsi à réfléchir à ce qu’il reste d’un monde lorsqu’on s’acharne à le vider de toute forme de transmission, de solidarité, de collectif, et qu'il n'y a plus que la seule et vertigineuse recherche de rentabilité pour faire loi. Des questions plus que jamais à l’ordre du jour.
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De notre monde emporté

Tout d'abord, je dois vous avouer que ce n'est pas du tout mon genre de livre habituellement. Mais je l'avais sélectionné dans la liste sorties poche de Mars et les critiques babeliotes me l'ont fait acheté, Et c'est cela justement que je cherchais en m'inscrivant sur Babelio, sortir de ma zone de confort et m'ouvrir ! Ce qui a aussi fait penché la balance, est que, vivant dans la région, je me suis souvent promenée sur les quais et regardés les vestiges du chantier naval de la Seyne-sur-mer sans vraiment en connaitre l'histoire.



Et vraiment, je ne le regrette pas !

Ma note se justifie surtout par le fait que cette histoire a vraiment fait écho en moi, sur l'amour de son travail qui sur le long court se transforme en famille, en le centre de tout, à qui l'on donne tout, ses soirées ses nuits ses week end pendant des années jusqu'à en perdre au final son couple. Pour qu'à la fin, dans d'autres circonstances bien moins dramatiques que celles de Narval et des chantier, tout vous soit repris, vous laissant esseulé, tétanisé, incapable de tourner la page et comme Narval incapable même plusieurs années après de pouvoir en parler sans tristesse nostalgie et le deuil jamais totalement fait.



Ce récit écrit comme un journal, celui de Narval, relatant son histoire, celle des ouvriers du chantier naval de la Seyne-sur-mer a été pour moi poignant.

Le récit se découpe en trois grandes parties selon moi.

Le travail au chantier qui malgré sa dureté, est vécu par tous comme l'amour du travail bien fait, la transmission, la camaraderie, le centre de toute leur vie, leurs sens.

Puis le combat attendu et perdu d'avance pour éviter ou ne serait ce que retarder la fermeture du chantier.

Et enfin, le après la fermeture, la façon de chacun d'affronter sa déception qui va ensuite se transformer en colère avec l'ouverture du scandale de l'amiante avec à nouveau un très très long combat.

Nous suivons Narval avec ses réflexions tout au long de ces moments marquants et Christian Astolfi, nous déroule selon moi avec beaucoup de poésie une tranche de vie en même temps que celle de notre histoire française des années 70s à 90 avec une conclusion bien trop tardive initiée en 1997, en 2015.







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