Christian Wacrenier

Après la mort des gens on prend conscience de ce qu'on ne leur a pas donné en temps, en amitié. On se fait mal pour rien, ou peut-être parce que ça nous fait du bien de nous faire mal avant d'oublier.

Il faudrait quand on meurt que notre corps se désagrège en milliards de particules, en aérosol. Que personne ne nous lave, ne nous maquille, ne nous mette en boîte. On se diluerait dans l'atmosphère, on suivrait le vol des oiseaux migrateurs.

Comme d'habitude quand je ne réponds pas à un service qu'on me demande, je multiplie les raisons de mon refus. Je ne me suis jamais guéri de cette maladresse qui souligne le mensonge. La seule façon d'être vraisemblable consiste à ne présenter qu'une seule et bonne raison, simple et claire. J'ai le mensonge des faibles.

J'ai lu un truc comme ça dans la Bible ou le Coran : celui qui sauve une vie sauve toutes les vies. Brigitte Bardot elle en a sauvé un paquet de vies, de quoi lui faire une escorte de plumes, de poils et d'écailles jusqu'au Paradis!

Si Dieu a créé l'homme à son image et qu'il l'a doté d'un trou du cul, c'est que Dieu en a un lui-même et qu'il va aux cabinets comme tout le monde.

Je ne peux vivre qu'avec des chats parce que les chats vous foutent la paix. Ils ne vous font pas de chantage. Ils se débrouillent seuls. Ils restent beaux jusqu'à la mort.

Dans la chambre aux rideaux tirés, devant le corps de ma grand-mère, je n'avais pas ressenti de tristesse. Je l'avais regardée, étendue, les mains sur la poitrine comme si elle tenait un moineau sur son coeur. Elle avait des chaussures vernies que je ne connaissais pas, des chaussures neuves avec une semelle impeccable qui n'avait jamais mis le pied dehors.
Il m'avait fallu trois jours pour comprendre que je ne la verrais plus. Quand son cercueil a été descendu dans la terre, j'ai compris qu'il n'y aurait plus de chanson avant de dormir, plus de baisers sur les joues, sur le front et sur le nez, plus de caresse pour lisser le drap sur moi. J'ai commencé à être triste le soir avant de m'endormir. Plus d'un demi-siècle plus tard, je le suis encore quand j'éteins ma lampe de chevet, un Pierrot qui joue de la mandoline près d'une boule de verre.

Elle était ronde et ramassée, une fine ceinture sur sa robe imprimée comme la ligne de l'équateur sur une mappemonde.

Les gens ne dérangent pas ce qu'ils ont sur leurs murs. Ils ne veulent pas voir en face la couleur du passé.

Quand on a des chats on ne s'habille pas en noir.

Les gens de goût n'aiment que ce qui n'a pas de goût.

J'ai feint de découvrir Minouche à mes pieds alors que je la sentais contre mes jambes depuis l'arrivée des deux femmes. Je me suis baissé pour la caresser. Minouche est partie en soufflant. Les chats n'aiment pas les caresses qui trichent.

C'est toujours comme ça avec les gens de goût, ils n'aiment que ce qui ne dérange personne;

Quand le sommeil nous a emportés, j'avais posé la main sur ta poitrine et Marley sur ton ventre. Ce n'est plus toi qui à droite et à gauche gardait une main sur chacun de tes hommes, mais nous qui te tenions et te protégions en même temps que nous nous sentions tenus et protégés par ta chaleur. Le bras de Marley et le mien étaient pour toi les deux bras d'un seul amant.

Simon a levé la main.Je l'ai remercié mais Monocle avait gagné par trois voix contre deux.Beau joueur,j'ai reconnu que c'était un nom qui irait très bien au nouveau venu avec son œil au beurre noir.