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Citations de Christine Détrez (54)


Parce que, tout simplement, c'était mon papa. Il était assis sur le bord du lit, il ne me regardait pas, il demandait pardon. "J'ai cru que vous seriez heureux". Je lui ai répondu que bien sûr que oui, nous avions été heureux, que nous étions heureux, que j'étais heureuse. On n'en a plus reparlé du week-end, et on s'est serrés très fort le lundi matin quand je suis repartie. Il était couché, le buste relevé par des oreillers, sa radio calée près de lui. "Merci", lui ai-je dit avec un dernier baiser, tandis que ma mère m'attendait déjà dans l'ascenseur pour me ramener à la gare.
A la fin de l'entretien, mon père a demandé pardon, et j'ai pensé qu'il pouvait partir en paix, qu'enfin il avait parlé.
Comme ce que je raconte est vrai, qu'on est ni dans un film ni dans un roman, ce n'est pourtant pas la dernière fois que je l'ai vu. Il est mort un an plus tard, en juillet 2018. (p. 102-103)
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Tout au long de cette enquête, j'éprouverais la même gêne à évoquer mes recherches devant lui. Cette impression d'avancer en terrain miné, de gratter les plaies de quelqu'un qui ne m'a rien demandé, de l'obliger à marcher sur des cailloux de colère aux arêtes encore tranchantes, de se déchirer aux chagrins hérissés comme des chardons. Tout comme avec mon oncle, avec mon père, ce sentiment de leur imposer mes interrogations, de leur infliger mon remue-ménage, à eux, qui peut-être, auraient voulu rester tranquilles, avec leur tristesse apprivoisée tant bien que mal, comme un animal dont on sait qu'il ne faut pas trop le provoquer au risque de voir des années d'efforts réduites à néant, au risque qu'il vous bondisse dessus et vous arrache le coeur. J'ai du mal à penser que le fait qu'il s'agisse là de trois hommes soit un pur hasard. Serre les dents, marche ou crève. (p. 117)
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Et François de me mimer la surprise de la rencontre, avec l'accent du Nord retrouvé, de me mimer, avec cette phrase de ceux qui se souviennent -"je le revois, c'est comme s'il était là, je le vois comme je vois"- qui chaque fois me bouleverse, parce qu'elle me fait saisir ce que je ne pourrai jamais attraper : la réalité d'un souvenir.
Quand ceux qui se souviennent disent ces phrases, ils regardent juste au-dessus de mon épaule, et j'aimerais alors pouvoir me retourner sans faire fuir les fantômes. (p. 165)
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Le soir, après notre journée de travail, nous racontions les anecdotes que nous avions glanées, je prenais un air enjoué, guettant toujours les réactions sur le visage de mon frère.
Les enfants écoutaient, puis retournaient à leurs téléphones, à leurs séries, à leurs occupations, demandaient ce qu'on allait manger, fouillaient dans le réfrigérateur. Et pour les adultes, c'était pareil, et c'était bien : l'enquête sans pathos, l'enquête dans le cours de la vie, entre le repas à préparer et les nouvelles des uns et des autres, dans le doux chahut de nos familles recomposées si rarement rassemblées. Je les regardais, tous ces enfants autour de la grande table de la salle à manger, et Lilia parmi eux qui déjà réfléchissait à son montage. Quoi qu'il advienne de cette enquête, cela était fait qui ne pouvait être défait : le secret était éventé, Christiane était entrée dans leur vie, elle y avait désormais sa place. Dans un petit coin, sans grande importance, elle était là. Les enfants connaissaient son nom, connaissaient son existence dans leur arbre généalogique. Et pour eux, c'était naturel. De cela, ai-je pensé, je suis fière. (p. 157)
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Christine Détrez
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A cet instant où Annie s'est levée, a oublié la caméra de Lilia pour danser comme ma mère, j'ai pensé que je devais faire un livre aussi beau que cette image, ma mère à quatorze ans, heureuse et dansant dans une robe de mousseline verte.
C'est forcément un hasard, mais le vert a toujours été ma couleur préférée. (p. 156)
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Christine Détrez
Aujourd'hui, je sais que je n'avais pas à choisir. Je peux pleurer l'une et chérir l'autre, je peux les aimer toutes les deux, mes deux mamans. Je peux à mon gré, les appeler ici par leur prénom, ou écrire, pour l'une et l'autre, "ma mère". Mais il m'a fallu du temps, et sans doute tout ce travail, pour le comprendre. (p. 209)
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Le premier été sans mon père, passé à m'occuper de Danielle, et à retrouver Christiane. Danielle que j'appelle maman, Danielle qui est ma maman, ma seconde maman, et sans doute fallait-il tout ce chemin, toutes ces années, pour oser parler, et pour savoir, l'une et l'autre, et Christiane en ombre derrière nous, que l'une n'exclut pas l'autre. Car quand on est petite, si on n'ose pas demander, c'est aussi pour ne pas peiner celle qui est là. Même enfant, on connaît l'équation terrible : si l'une avait vécu, l'autre ne serait pas là. Regretter l'absence de l'une égale alors regretter la présence de l'autre. Au jeu des préférences, il n'y a pas de réponse possible. Aujourd'hui, je sais que l'équation était fausse. (p. 208)
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Petite, j’imaginais une voiture rouge, sur le modèle de celle de Starsky et Hutch. Je ne suis même pas sûre de la marque, une 4L, une R16, comme sur cette photo que j’ai récupérée.
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C’est compliqué de demander, quand le silence s’est installé si longtemps. C’est compliqué, quand on vit dans une famille où tout le monde s’aime, le père, la mère, les trois enfants, et où tout a toujours été fait pour que nulle différence n’existe dans cet amour.
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C’est loin, la Tunisie, quand on n’a jamais pris l’avion. C’est loin, pour ces parents habitués à vivre là où ont vécu leurs propres parents, et les parents de leurs parents avant eux. La terre, alors, était lourde aux semelles. À peine change-t-on de village, au gré des mariages. Le manque encore plus douloureux quand les petits-enfants naissent, si loin. Alors on envoie des photos.
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Le monde est grand, leur monde est vieux, et tout semble possible à ces jeunes du baby-boom. La guerre d’Algérie n’est pas loin et, pour beaucoup de ces jeunes hommes en âge de faire leur service militaire il est impensable de toucher une arme. Alors ils partent enseigner loin, en Afrique, au Maghreb, ils emmènent leurs jeunes épouses. Certains les ont rencontrées lors de leurs études, à l’université, à l’école normale, et ils obtiennent des postes doubles. Pour mes parents, ce fut la Tunisie. Tous ces jeunes adultes qui s’embarquent, qui s’envolent, sans rien savoir souvent du pays où ils ont été affectés, laissent derrière eux leurs propres parents. C’est loin, la Tunisie, quand on n’a jamais pris l’avion. C’est loin, pour ces parents habitués à vivre là où ont vécu leurs propres parents, et les parents de leurs parents avant eux. La terre, alors, était lourde aux semelles. À peine change-t-on de village, au gré des mariages. Le manque encore plus douloureux quand les petits-enfants naissent, si loin. Alors on envoie des photos.
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Elle ne sourit pas. « J’ai toujours gardé ces photos près de mon cœur », écrit mon oncle dans le message qui accompagne les deux photos. Et les pliures du papier sont les marques de son chagrin inextinguible.
Les pliures du papier lui font les rides qu’elle n’a jamais eues.
Les pliures du papier sont les griffes de l’oubli auxquelles je veux l’arracher.
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L’imagination est-elle un muscle qu’il suffirait d’entraîner ? Maintenant que j’ai des photos d’elle, peut-être qu’à les regarder attentivement les traits de son visage s’inscriront à rebours dans ma mémoire. Peut-être qu’à force de la regarder elle reprendra vie, dans une boucle des synapses de mon cerveau. À défaut de me souvenir, arriverai-je, enfin, à l’imaginer ?
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Françoise Dorléac et Natalie Wood occupaient mon imaginaire et je n’avais pas besoin de chercher ailleurs. J’apprenais par cœur les chansons des Demoiselles de Rochefort ou de West Side Story et me les chantais comme une berceuse. Parce que Robert Wagner avait épousé Natalie Wood, je passais mes dimanches après-midi devant Pour l’amour du risque, et j’en voulais un peu à Stefanie Powers d’occuper l’écran, j’aurais adoré que ce soit Natalie Wood qui ait le rôle.
Je pensais que tout allait bien.
*
L’imagination est-elle un muscle qu’il suffirait d’entraîner ? Maintenant que j’ai des photos d’elle, peut-être qu’à les regarder attentivement les traits de son visage s’inscriront à rebours dans ma mémoire. Peut-être qu’à force de la regarder elle reprendra vie, dans une boucle des synapses de mon cerveau. À défaut de me souvenir, arriverai-je, enfin, à l’imaginer ?
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À cet instant [...] j'ai pensé que je devais faire un livre aussi beau que cette image, ma mère à 14 ans, heureuse et dansant dans une robe de mousseline verte.
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La séparation, pour un enfant si jeune, c’est le monde qui s’écroule, c’était elle l’adulte, c’était à elle d’être patiente. Delphine se raisonnait et, doucement, se levait, tandis que le souffle de la petite semblait retrouver la régularité du sommeil. Pourtant il lui semblait, chaque fois, voir entre les boucles couler un regard où se mêlaient vengeance et victoire.
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Ça se résume très vite, une vie d’avant, tellement vite que ça en donne le vertige, une rencontre, après d’autres, quand on a vingt ans et qu’on fait ses études, quand on se croit si adulte alors qu’on est encore si jeune, quand on a ces belles certitudes que le temps se chargera d’effriter.
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À Valentine tout allait parfaitement. Sur Valentine tout devenait naturellement sexy. Valentine, elle, avait la tchatche, comme disaient les garçons. Elle abordait les serveurs des restaurants, discutait et négociait sans cesse, pour un supplément chantilly gratuit, pour un Coca, pour une ristourne, pour tout. Et ça marchait. Valentine rappelait à Delphine les filles de sa classe à qui ses copines et elle ne parlaient jamais, sans que ce soit délibéré, en un accord tacite des deux parties. Il y avait les filles bûcheuses, les filles sages, et les filles populaires.
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Elle était l’adolescente que Delphine n’avait jamais été, elle qui avait traversé ces années-là engoncée dans ses complexes et sa timidité, qui avait eu une adolescence à lunettes et appareil dentaire avant que ce ne soit la mode, une adolescence à lire des romans sur des berges de rivières désertes, dans le village paumé où l’emmenait une tante célibataire, et même pas un cousin pour jouer au docteur. Elle avait été une adolescente au corps guindé, ne sachant plus que dire dès qu’elle était en présence d’un garçon, et même les gestes les plus simples, mettre un pas devant l’autre, devenaient alors artificiels et lourdauds.
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Véro était ce qu’on pouvait appeler une très belle femme, les traits délicats, le petit nez droit, les attaches gracieuses, les lèvres très fines. Des yeux bleu acier et une magnifique chevelure blonde, soyeuse et brillante sous le soleil du matin. Une beauté froide et dure. Elle croisait et décroisait ses longues jambes déjà délicatement dorées, et Delphine se sentit, en comparaison, maladroite et mal foutue, la peau chiffonnée par le voyage, le nez déjà en train de rougir sous le soleil.
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