AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Critiques de Christophe Granger (27)
Classer par:   Titre   Date   Les plus appréciées


Joseph Kabris ou les possibilités d'une vie -..

Joseph Kabris ou les possibilités d'une vie n'est pas un roman. Mais son sujet est foncièrement romanesque. Celui qui fut tour à tour matelot, prisonnier, guerrier, invité des sociétés savantes et des cours européennes, homme de foire ne pouvait échapper à l'exercice biographique. Sauf que sous la plume de l'historien Christophe Granger, la trajectoire de Joseph Kabris est analysée sous l'angle des sciences humaines.

L'ouvrage s'inscrit donc dans une méthode rigoureuse qui refuse de combler les blancs, encore moins d'organiser les épisodes biographiques en un ordre capable de suggérer des significations non visibles. Là où le romancier chercherait à styliser, intensifier des séquences pour produire un récit, l'auteur refuse fermement d'investir les mécanismes émotionnels, de tenter une approche psychologique de la vie de ce voyageur du début du XIX e siècle au parcours singulier.

Alors en quoi consiste cette biographie ?

Christophe Granger s'est attelé à étudier en détail les déterminismes impersonnels, non pas à recomposer les moeurs ou la culture des gens auxquels Joseph Kabris est mêlé mais les mécanismes sociaux institués qui ont permis à Kabris de s'installer parmi les « sauvages » du Pacifique du Sud, de s'adapter au changement radical qui l'a transporté dans la Russie d'Alexandre Ier. Saisir les ruptures de vie, les bifurcations qui imposent à Kabris une stratégie, un apprentissage de différents modes de socialisation ...



L'approche objective presque radicale, si elle débarrasse la biographie de sa dimension sensationnelle, ne rend pas moins fascinant un tel parcours. Fruit de quinze ans de recherche, l'enquête menée par Chistophe Granger est magistrale. La présentation systématique des différentes options d'analyse donne une dynamique de lecture fort appréciable et la phraséologie sociologique est relativement accessible pour les non-initiés.

De Kabris, je retiendrai avant tout un homme qui n'a jamais cessé d'être un étranger, même une fois revenu dans son pays d'origine, et une condition d'origine populaire qui ne l'a pas empêché de vivre milles vies en une.

Même s'il m'a fallu presque cent pages pour m'immerger dans cette biographie sociologique, j'ai passé un bon moment de lecture.
Commenter  J’apprécie          566
Quinze minutes sur le ring

Je ressors tout à la fois perplexe et enthousiaste de la lecture de ce livre follement ambitieux, étrangement original que je remercie infiniment Babelio et les éditions Anamosa de m'avoir fait parvenir !

L'auteur est un brillant intellectuel, tout à la fois sociologue et historien, prof à Normale Sup Saclay qui s'efforce ici d'analyser ce qui s'est passé en 15 mn sur un ring le 24 septembre 1922 lors d'un combat de boxe entre le champion Georges Carpentier et un boxeur portant le nom de Battling Siki, au Buffalo Stadium de Montrouge.

Plus précisément le but est ici d'interroger la notion d'action, de voir comment l'historien sociologue peut rendre compte d'une action brève située dans le passé. Pour cela il convoque tout ce qu'il est possible de convoquer dans le domaine des sciences sociales et humaines et il il s'appuie sur un document incroyable et unique et reproduit dans le livre en intégralité : un film de ce combat de boxe.

Disons le le livre est un livre de chercheur, bourré de notes en bas de page, complexe, qui coupe les cheveux en quatre et ne fait pas de cet événement un récit commode et traditionnel. Il nous perd par moment, et devient passionnant à d'autres. C'est une expérience de lecture.

Par contre, et là plus de bémol, le travail sur l'objet livre est, je pèse mes mots, extraordinaire, c'est l'un des livres les plus étonnants que j'ai eu en main de toute ma vie : il est très beau, la mise en page est superbe, les intertitres etc. Et il comporte des centaines de reproductions du combat de boxe (capture d'écran du film d'époque) et l'intégralité du film est reproduit image par image dans le livre à la fin, pour que le lecteur, une fois que tout a été analysé, décortiqué, regarde le film, fort de ce qu'il sait désormais. C'est très puissant. Cela rappelle un peu le système mis en place au musée de la tapisserie de Bayeux. Tout un tas d'explications préalables, et puis on regarde la tapisserie sans explication, et on comprend tout.

Sauf que là je ne suis pas certain d'avoir tout compris, mais est-ce si grave compte tenu du plaisir très fort d'avoir tenu en main une chose assez incroyable...

Un livre qui pourra donner mal à la tête, mieux vaut bien le feuilleter pour voir ce dont il est question. Mais si vous accrochez cela vaut vraiment le coup et j'ai beaucoup apprécié la quête intellectuelle de cet auteur étonnant dont c'est peu de dire qu'il est brillant.
Commenter  J’apprécie          160
Joseph Kabris ou les possibilités d'une vie -..

Cet essai de biographie mêle histoire et sociologie, domaine où je suis beaucoup moins versée que dans le premier.

Christophe Granger travaille ici sur un sujet extraordinaire qui donne l'impression d'un caméléon: Joseph Kabris glisse d'une civilisation à l'autre a priori sans difficulté, ayant même oublié sa langue natale après avoir passé 7 ans à Nuku Hiva. Dans cet ouvrage abondamment illustré, l'auteur développe plusieurs thèmes : le rapport biographé/biographe, la détermination sociale qui entraîne à chaque fois les changements d'identité de Kabris qui répondent alors à une demande de la société dans laquelle il se trouve, mais aussi la capacité qu'il a de se servir de ce qu'il a acquis dans les sociétés précédentes pour faire sa place dans la nouvelle.

Un ouvrage intéressant, qui interroge mais que j'ai trouvé un peu trop long...
Commenter  J’apprécie          140
La saison des apparences : Naissance des co..

Nouvelle rencontre avec les éditions Anamosa, nouvelle expérience de lecture, nouveau plaisir !



La saison des apparences : naissances des corps d’été attire l’œil en premier lieu – à l’instar des Émeutes raciales de Chicago, juillet 1919 – par la qualité de l’objet-livre : couverture colorée, cartonnée, avec double rabats intérieurs fermant le livre comme un coffret, choix de photos discrètement aguicheur pour nous parler de l’évolution des tenues estivales au cours du XXème siècle. Pour qualifier ce livre, j’ai envie de parler de « narration d’histoire culturelle » tant l’ouvrage mêle brillamment essai historique et plaisir de lecture. Christophe Granger nous raconte une histoire, nous raconte l’Histoire. Les tenues légères de nos mois de juillet et août n’ont pas toujours fait l’unanimité. Au XIXème siècle, la pâleur était de rigueur et il n’aurait jamais traversé l’esprit d’une dame respectable de s’allonger volontairement en sous-vêtements dans un espace public avec pour simple idée de se brunir la peau. Tout au long de son livre, Christophe Granger interroge les différentes étapes qui ont contribué au constat actuel. Il s’appuie pour ce faire sur des coupures de journaux, arrêtés municipaux, publicités et toute documentation susceptible de le renseigner sur l’évolution du rapport au corps au cours du siècle dernier. Il rappelle la nécessité sanitaire de l’après-guerre, le soleil comme source bienfaisante pour lutter contre la tuberculose et autres maux, puis l’intérêt des bains de mer qui deviennent progressivement « tendance », les villes balnéaires le lieu où il faut être dès que les beaux jours réapparaissent. Il s’amuse des arrêtés municipaux qui s’acharnent à définir la bienséance et la bonne manière de se défaire – ou pas – de son vêtement en public, et les bagarres de plages à ce propos s’avèrent parfois très violentes. Le lecteur suit l’historien comme il suivrait un bon inspecteur dans un polar sexy et rocambolesque. Il découvre ainsi l’instauration progressive de la nécessité du paraître au meilleur de sa forme. Dès le mois de mai la presse féminine prodigue conseils sportifs et diététiques. Les corps doivent s’adapter à la norme en vigueur, les kilos superflus disparaître, les visages blafards reprendre vie. Les photos d’époque, reproductions de publicités et autres illustrations viennent compléter l’ouvrage, lui donner vie. Sur une plage, en bikini, on ne distingue plus une ouvrière d’une aristocrate. Avec les tenues estivales, c’est le système de classe, ce sont les conventions sociales elles-mêmes que l’on déshabillent.



La saison des apparences a été publié une première fois en 2009, sa réédition par Anamosa se justifie non seulement par la qualité du travail éditorial réalisé mais également par la nouvelle évolution vestimentaire qu’ont connu nos plages depuis 2015 et l’apparition d’un nouveau genre de tenue – provocante à l’inverse – le burkini au sens large. Christophe Granger dans son post-scriptum aborde cette délicate question qu’il voudrait sortir de son carcan religieux. Il extrait des journaux quelques faits divers scandaleux et humiliants subis par des femmes musulmanes et les met en relation avec d’autres situations non moins humiliantes – à toutes les époques – de femmes huées parce qu’elles préféraient le topless sur les plages en été et en famille. Christophe Granger compile rapidement quelques points de vue universitaires – sociologues et spécialistes du faits religieux – sur la question du burkini, et soutient pour sa part que le choix de rester habillée sur la plage – en portant voile et tunique, la définition du burkini restant bien floue pour beaucoup – relève bien plutôt du choix de ne pas transgresser les règles établies le reste de l’année que d’une vélléité religieuse particulière. La provocation ressentie et les actes de violence qui en découlent, plus que liés au sentiment religieux, relèverait d’avantage d’une forme de conformisme social à préserver pour ne pas choquer les nouvelles normes de la décence estivale. La question a le mérite d’être soulevée et de permettre un pas de côté sur des problématiques extrêmement complexes impliquant des causes très variées.



En interrogeant l’Histoire, Christophe Granger amène le lecteur à s’interroger sur ses propres évidences et, à sa suite, à ne plus les considérer comme telles. En ce sens aussi, La saison des apparences est un beau livre, utile et enrichissant autant sur le plan intellectuel qu’humain – ce qui à mon avis devrait correspondre à la définition des sciences humaines.
Lien : https://synchroniciteetseren..
Commenter  J’apprécie          140
Joseph Kabris ou les possibilités d'une vie -..

Voici un essai remarquable, intelligent et passionnant de bout en bout. En 1798, un jeune homme de 18 ans, Joseph Kabris, marin sur le baleinier le « London » fuit le navire alors que celui-ci passe à proximité de l’île de Nuku Hiva dans l’Archipel des Marquises. Or celui-ci, contrairement aux trois européens présents sur l’île en même temps que lui, s’intègre totalement dans son nouveau milieu, adoptant la langue et les coutumes des indigènes. C’est ce processus d’adaptation richement documenté que l’auteur décrit dans la première partie de son ouvrage.



Sept ans plus tard, la Nadejda, navire russe commandée par le capitaine Krusenstern, en mission d’exploration pour l’empereur Alexandre Ier, aborde l’île de Nuku Hiva. Kabris sert d’intermédiaire entre l’équipage et les indigènes. Son corps entièrement tatoué et sa connaissance des mœurs locales fascinent l’équipage et les scientifiques. Dans des circonstances peu claires, Kabris reste à bord du Nadejda quand celui-ci lève les voiles au bout de deux mois. Le navire atteint le Kamtchatka deux mois plus tard. En 1806, il gagne Moscou. Plongé dans un milieu totalement étranger à sa nouvelle identité, Kabris va utiliser son corps et les compétences acquises sur Nuku Hiva pour s’intégrer dans son nouveau milieu. Il réinterpète son passé, transforme sa vie en un récit aussi saisissant que possible, en s’adaptant à son auditoire, ce qui lui assure une rapide intégration dans la société russe.



Quelques années plus tard, en 1817, après la fin des guerres napoléoniennes, il quitte la Russie pour la France. Il débarque à Calais le 26 juin 1817 et rejoint Paris où il espère, comme en Russie, gagner les faveurs de l’aristocratie par le récit de sa vie. Mais les temps ont changé, l’exotisme ne fait plus recette. Kabris se produit alors dans un théâtre dans le quartier du Palais Royal où il met en scène sa vie. La bourgeoisie parisienne accourt, fascinée par les aventures extraordinaires de ce marin au corps entièrement tatoué qui sait s’adapter à son public et lui donner ce qu’il attend. Au bout de quelques mois, l’attrait de la nouveauté s’estompe et Kabris rejoint l’univers des foires et une existence de mobilité permanente. Il doit s’adapter à un public populaire en soulignant les traits les plus fantastiques et les plus spectaculaires de son existence. Après cinq années d’errance, il finit sa vie dans la pauvreté et la solitude. Il décède à 42 ans, enterré dans une fosse commune à Valenciennes.



L’auteur n’a pas voulu écrire une biographie classique d’un homme au destin singulier. Son objectif était de comprendre comment un homme ordinaire a réussi à s’adapter à des cultures et des milieux sociaux différents et que les différentes reconversions qu’il a vécues sont aussi au fondement de la plupart de nos vies, même si pour la plupart d’entre nous, elles ne sont pas aussi radicales. Le récit de cette vie a aussi le mérite de sortir de l’oubli un homme ordinaire et de montrer que si la plupart de nos choix sont conditionnés par notre milieu social, il n’en reste pas moins une part de liberté dans notre manière de répondre aux évènements qui surgissent dans nos vies.





Commenter  J’apprécie          122
La destruction de l'université française

La colère : c’est très clairement l’émotion qui domine ce livre et qui habite son auteur, Christophe Granger, historien contemporanéiste. Le livre s’ouvre significativement sur une citation de Genet : « ce qu’il nous faut, c’est la haine. D’elle naîtront nos idées ». La haine, donc, posée en exergue, comme une évidence. A la suite de cette citation, l’auteur ne cache pas sa colère et ne mâche pas ses mots. « L’université française a vécu » : telle est la première phrase de ce livre.
Lien : http://www.nonfiction.fr/art..
Commenter  J’apprécie          80
Joseph Kabris ou les possibilités d'une vie -..

Ce roman foisonnant est tout autre chose que la narration des péripéties d'un aventurier à la fin du XVIII siècle. C'est le destin hors norme d'un homme qui a refusé la conformité et qui a changé de pays, de métiers, de costumes en se réadaptant sans cesse. A travers un portait complexe mais fluide, qui n'a de chaotique que l'apparence et qui est en fait cohérent, l'auteur pose deux questions: Qu'est-ce que le destin d'un homme? et Comment raconter une vie?
Commenter  J’apprécie          70
Le temps est proche

J'ai bien aimé cette bd qui traite page après page de chaque année de l'année 1300 à 1400 en France. Il faut dire que cette période du Moyen-Age est particulièrement méconnu. On retiendra surtout la guerre de 100 ans qui nous a opposé à la perfide Albion ainsi que la peste noire.



C'est traité de manière assez humoristique avec un dessin en noir et blanc. J'ai même pu apprendre certaines choses. Ce fut une lecture à la fois ludique et intéressante. Il y a parfois l'utilisation d'un strip unique mais assez contemplatif. Parfois, on a droit à des récits un peu plus élaborés pour notre plus grand plaisir. Bref, il y a de la variété.
Commenter  J’apprécie          50
Les corps d'été

« Comment l'été vint[-il] aux corps [?] » Par le remplacement des curés par les hygiénistes, un peu aussi par les philanthropes, au cours de la IIIe République. Et de façon paradoxale : pendant quelques décennies, l'été fut considéré avec appréhension, la chaleur semblait un terreau favorable à la prolifération de toutes sortes de bactéries, donc de pathologies, surtout dans les milieux insalubres des faubourgs des grandes villes. Puis, une révolution s'opéra :



« S'esquisse une décisive mise au diapason du corps et de la saison. Elle accompagne le déplacement, décisif lui aussi, qui, à dater de 1890 à peu près, affecte les façons d'apprécier les propriétés atmosphériques de l'été, à commencer par l'air et la chaleur. Cette dernière, en particulier, change de sens et de saveur en ces années. Étouffant repoussoir dont il convenait de se prémunir, elle devient agréable, et entre peu à peu au répertoire des délicats plaisirs de la saison. Et avec elle la morsure du soleil commence à se faire agréable. Il convient de s'y exposer. Avec mesure, encore, mais résolument. Les hygiénistes en sont les promoteurs les plus empressés. Ils ne parlent pas ici de santé. Ou pas seulement. Ils parlent de bien-être. De douces sensations, aussi. Après 1900, le discours est plus net ; il gagne les livres de santé et les almanachs. » (p. 29)



Les séjours estivaux en bord de mer, de ce fait, se généralisent dès le tournant du siècle, pour soigner les « neurasthénies » des bourgeois, et pour donner de la vigueur aux ouvrières étiolées dans les ateliers parisiens, ainsi qu'à leurs enfants (cf. la naissance des colonies de vacances, avec force mesures des accroissements du poids, de la taille, du périmètre thoracique...) grâce aux bonnes œuvres des philanthropes et autres sociétés de bienfaisance.

De surcroît, entre bains de mer et héliothérapies, c'est toute une gymnastique (« le devoir corporel des vacances ») qui s'installe, et toutes ces « pratiques corporelles des gens simples », mettant à l'honneur un plus libre jeu du corps, bien qu'il fût encore entièrement vêtu, effarouchent légitimement l'ancien monde, comme le montre très bien Proust dans À l'ombre des jeunes filles en fleurs, qui y voit un relâchement des mœurs.

Après la Première Guerre mondiale, et particulièrement dans les années 20 et 30, « l'été méditerranéen » réclame un « physique de l'été », conformément aux prescriptions de la presse féminine destinée à la bourgeoisie moderniste de salariées et à celles de l'industrie des cosmétiques naissante : le corps estival est destiné à être vu. Ses mensurations deviennent catégoriques ; deux nouveautés surgissent progressivement : le bronzage et le maillot de bain – qui n'est pas encore le bikini, cela va sans dire, mais qui expose d'emblée les bras, les mollets et bientôt les cuisses : « les corps barbares »...



Il est difficilement crédible pour un lecteur d'aujourd'hui, d'imaginer la durée et l'âpreté de la bataille qui s'ensuivit pendant deux décennies, voire peut-être jusqu'à la Libération, entre la réaction d'esprit très largement « La Manif pour tous » conservateur-chrétien-bien pensants-anciens combattants-qui-réclament-une-France-propre, et les « baigneuses trop coquettes », les élus locaux, les pouvoirs publics, et le principe de liberté. Un ch. entier du livre y est consacré, qui contient aussi des tracts de l'action catholique et des arrêtés municipaux. Il y apparaît aussi que : « La nudité estivale [toute relative, je répète], on le voit, n'est pas qu'affaire de corps dévêtus. Elle s'enchâsse dans une plus ample économie du relâchement. La proximité des corps rend possible une infinité de frôlements subreptices. […] L'horizontalité publique des corps, on a fini par l'oublier, évoque elle aussi la transgression. Elle viole la verticalité, dont il n'est pas besoin d'invoquer les intuitions de Bachelard pour saisir combien, faite de rectitude et de hauteur, elle organise toute une vision du monde : le corps droit suggère une morale bien droite elle aussi. Posture privée, l'horizontalité, elle, suspend la discipline somatique. » (p. 62-63)



Années 50, congés payés allongés (3ème semaine en 56), modèle économique conquérant, victoire de la bourgeoisie salariée : les logiques modernistes d'avant-guerre sont devenues tout simplement la modernisation des mœurs triomphante. Le corps d'été « […] conduit à promouvoir une nouvelle façon d'être et de paraître, résolument "décontractée", "personnelle", "dynamique", autrement dit résolument tournée contre l'éthique de la "bonne ménagère" et les vertus ascétiques de la famille traditionnelle que portait la bourgeoisie conservatrice […] La chaîne de conseils qui s'organise […] convertit les choses du corps en compétence, à la fois contre les pratiques spontanées (version populaire) et contre les usages hérités (version bourgeoisie ancienne). […] Difficile d'ignorer, d'abord, combien le discours managérial ordonne la morale des corps d'été, la façon dont ils sont préparés, présentés et interprétés. La saison réclame une gestion rationnelle des apparences, comme il est, en ces milieux, une gestion de la vie en général (familiale, conjugale, sexuelle, etc.). Elle suppose méthode, organisation et motivation. » (p. 102). La femme, manager de son corps, doit d'abord être capable de « localiser ses faiblesses », d'anticiper le « supplice du maillot » et le « martyre de la plage », et, sachant précisément quel est son poids idéal, elle appliquera sa motivation à calculer combien de temps il lui reste pour affiner sa ligne, tonifier ses muscles, dissoudre la cellulite et, par comble d'injonction contradictoire, pour « rester soi-même », valoriser son « goût personnel », ne pas rater les « retrouvailles avec soi » quitte à exercer son « droit d'être ronde », dans la stricte mesure de son propre jugement... Progressivement s'impose aussi une « psychologisation des rapports au corps », avec dans la même presse féminine une « inflation de psycho-tests, cousins pas si éloignés des études de motivations et des sondages d'opinion [...] » (p. 107). Cette évolution managériale, inutile de le préciser, progresse dans les décennies suivantes et peut-être même, en progression exponentielle, sans interruption depuis.

Pour en revenir aux ruptures, ou peut-être aux répétitions, nous assistons à partir de la deuxième moitié des années 60, au même scandale que celui des années 20-30, provoqué cette fois par les seins nus sur les plages. L'auteur s'y attarde bien moins que pour « l'affaire » précédente, peut-être parce que cette polémique dura moins longtemps (jusqu'en 1975, soit dix ans, quand même...), soit parce qu'elle avait un goût de déjà-vu. Il considère néanmoins que : « cette affaire des seins nus vient clore la généalogie des corps d'été. Elle dit combien, portés par la "nouvelle bourgeoisie salariée", épaulés par les édits de la "modernisation" des manières d'être, accordés enfin à une nouvelle table des valeurs où trônent la décontraction et les allures libres, ils sont entrés dans les mœurs] » (p. 130) ; et clôt ainsi un peu vite l'ouvrage.

Pour ma part, en revanche, ce qui constituerait la véritable conclusion, et une conclusion qui remonte à plus ancien que je ne pensais, c'est la dénonciation de la « tyrannie des apparences », datant du lendemain de Mai 68, et précisément de deux livres, l'un célèbre, l'autre moins : La Société de consommation de Jean Baudrillard, 1972, qui dénonce aussi la « prétendue libération psychologique ou sexuelle », et Libérer les vacances d'Alain Laurent, 1973, qui prône une authentique libération des mœurs estivales. Je suis surpris que ces idées, qui me paraissent prégnantes aujourd'hui, n'aient pas été approfondies davantage dans cet ouvrage, par ailleurs très informatif, bien structuré, richement documenté et très agréablement écrit.
Commenter  J’apprécie          50
La saison des apparences : Naissance des co..



Je lis très rarement des essais mais j’avais entendu parler de celui-ci dans une émission radio et avais trouvé le sujet intéressant : l’évolution sur 100 ans du « corps d’été » .

Comment sommes –nous passés des bains de mer tout habillés sur prescription médicale aux longues séances de bronzage, presque nus ? Comment la femme (mais l’homme aussi !) s’est-elle laissée entraîner par les diktats de la mode et des magazines pour se dévêtir dans les années 1930, pour se forger un corps admirable (c’est-à-dire beau à regarder : bronzé, musclé et ...nu) ? Comment la hiérarchie sociale se trouve-t-elle annihilée entre 2 personnes simplement en maillot de bain : qui est la petite secrétaire, qui est la bourgeoise ? Et, la boucle est bouclée, comment des arrêtés municipaux interdisant de se dévoiler publiquement sommes-nous arrivés, l’an passé, à l’interdit (non légal, d’ailleurs) du Burkini sur les plages françaises ?

L’historien met en parallèle l’émergence de la société de loisirs avec l’émergence du culte du corps. L’été est devenu la parenthèse sacrée dans laquelle l’apparence physique a une importance capitale, tout est permis, aussi bien dans la posture que dans le vêtement (ou son absence…). Et ce, malgré la résistance de la religion catholique et aussi des politiques bien souvent de droite qui voulaient ériger la famille et la morale comme garants d’un certain code d’ « honneur ».

Cet essai (en 5 chapitres plus photos et fac-simile d’affiches ou de pages de journaux) m’a semblé très complet et passionnant, je remercie l’opération Masse Critique de Babelio de m’avoir permis de le lire.

Commenter  J’apprécie          50
Joseph Kabris ou les possibilités d'une vie -..

C’est tout le contraire qu’a fait l’historien Christophe Granger, dans ce magnifique essai, en déroulant « les possibilités d’une vie » — sous-titre de l’ouvrage — plutôt que les mâles certitudes d’une biographie en angles droits.
Lien : https://www.telerama.fr/livr..
Commenter  J’apprécie          40
Joseph Kabris ou les possibilités d'une vie -..

Ce livre est magnifique, le sujet, l'écriture, le texte bien sûr mais aussi le livre, l'objet 🤗!! C'est un vrai plaisir et ce qui est intéressant c’est le point de vue décalé, de l’auteur, sur son sujet et qui nous décrit dès lors bien mieux ce que pouvaient être les interactions, entre les européens du 18/19e

siècle, avec les indigènes, dont ils découvrent les civilisations.
Commenter  J’apprécie          40
La saison des apparences : Naissance des co..

Articles de presse bien choisis, anecdotes marquantes,

réflexions pointues qui prennent en compte toute la complexité du corps et, selon les époques ou les lieux, de ce que l’on en dévoile… ou pas

Il est surtout question du corps des femmes, éternel sujet à polémiques,

mais toute la recherche est intéressante, facile à lire,

et va bien au-delà des apparences !

Commenter  J’apprécie          40
Quinze minutes sur le ring

Une démonstration impressionnante d’inventivité qui parlera autant aux profs qu’aux fans de Raging Bull, où histoire et sociologie prennent vie lorsqu’elles se fixent sur un objet aussi mouvant que la boxe, et, comme Siki et Carpentier en 1922, font leurs preuves sur le ring.
Lien : https://www.liberation.fr/cu..
Commenter  J’apprécie          20
Quinze minutes sur le ring

Quelle bizarrerie que ce livre.

A réserver aux amateurs de pure réflexion, d’analyse ; patchwork d’images extraites d’une vieille bobine de film, de description de l’action, d’analyse de ce qu’est une action, ce qu’elle est, comment elle peut avoir lieu, etc, etc.. C’est un essai, savant, mais qui donne à voir aussi une histoire de boxeurs, un combat qui apparaît mythique et distille un peu d’humanité dans ce flot d’analyse.

Bilan: ce livre est atypique, intéressant, c’est aussi un bel objet d’une belle édition, lecture improbable d’un auteur passionné.

Commenter  J’apprécie          20
Quinze minutes sur le ring

Je remercie les éditions Anamosa et Babelio de m'avoir permis de découvrir cet ouvrage. J'avais choisi ce livre parmi tous ceux de la masse critique car je suis toujours intéressé par la vision qu'ont du sport des non spécialistes comme Christophe Granger, historien et sociologue. Je n'avais pas été effrayé par le fait qu'une action de 15 minutes sur le ring nécessite plus de 400 pages d'écriture car j'avais précédemment lu un autre livre de 250 pages sur la boxe, intitulé 17 secondes hors du ring. Les 2 évènements se sont déroulés à un an d'intervalle. Bien qu'ils soient relatés tous les deux sous forme d'une enquête, ils ont été traités de manière totalement différente, à savoir sous forme d'un roman plutôt policier pour le second et sous forme d'une thèse en sciences humaines et sociales pour celui de Christophe Granger.

J'ai eu beaucoup plus de difficultés à parvenir à la fin de celui-ci. Mon intérêt a décru tout au long des chapitres. le premier consacré à la boxe avec son contexte de l'époque et aux boxeurs m'a apporté des compléments et des précisions sur ce combat célèbre dans l'histoire. le second décrivant physiquement le combat devient plus complexe avec l'introduction des concepts sociologiques et associés. le troisième qui s'intéresse au cerveau des boxeurs est beaucoup plus rébarbatif et me parait s'éloigner de la réalité car des aspects comme l'instinct, la douleur des coups ne sont pas évoqués.

Il est énoncé au cours de l'enquête que comprendre une action c'est pouvoir l'expliquer et la pratiquer. le sport est, selon moi, une des disciplines souvent oubliée des sciences sociales avec des caractéristiques et des processus notamment mentaux qui lui sont propres.

Je trouve que cet aspect a totalement été occulté dans l'enquête.

L'analyse que l'auteur fait du premier round me parait étrange car il est connu que lors d'un combat de boxe c'est un round d'observation. L'auteur semble découvrir cela.

L'analyse de ce combat n'est pas simple car il est fortement probable qu'il ait été arrangé. de plus les propos des boxeurs qui en disent souvent beaucoup sur leur comportement et état d'esprit ne sont pas audibles. L'auteur précise aussi que des parties de film étaient détériorées.

Il y a eu dans l'histoire de la boxe d'autres combats comme celui de Ali contre Foreman beaucoup mieux documentés qui auraient été un meilleur support à la compréhension du processus de l'action.

L'ouvrage est remarquable par sa présentation originale de la couverture, ses planches photographiques et l'ensemble de la documentation que l'auteur a réuni. L'analyse image par image du combat est un travail extraordinaire.

3 années de travail ont été nécessaires pour réaliser cet ouvrage que les adeptes des sciences sociales apprécieront. Personnellement j'ai eu beaucoup de difficultés à partager cette approche et interprétation d'un fait sportif.
Commenter  J’apprécie          20
La saison des apparences : Naissance des co..

Je suis historienne et je trouve ce travail vraiment intéressant! L'été et son corps étudiés dans leurs vision de développement en France, la vision aux yeux du français qui change en suivant la morale, sont présentés ici de façon divulgative. La lecture n'est pas compliquée, on lis avec plaisir le chemin du mythe du corps et sa relation d'apparence pendant l'été. Cette saison qui remet la plage au centre avec les hommes et les femmes au centre de leurs batailles "corporelles".
Commenter  J’apprécie          20
Quinze minutes sur le ring

J’ai eu la chance de découvrir cette ouvrage dans la masse critique de Février.



Tout d’abord, j’ai adoré le format du livre mélangeant texte, schémas et photographies ainsi que sa couverture très originale.



Concernant le contenu de ce dernier, j’ai été intriguée par le sujet traité (l’action), encore plus en l’illustrant à l’aide d’un combat de boxe.



Il décortique son questionnement, c’est une réelle étude empirique. C’est très intéressant, j’avoue néanmoins que cela génère parfois quelques longueurs, notamment sur le détail du combat photos après photos. Nous nous trouvons dans un mélange de sciences cognitives et sociales, surfant sur la philosophie.



Merci pour cette découverte.
Commenter  J’apprécie          10
Le Vase de Soissons n'existe pas & autres v..

Les chapitres, chacun traitant d'un objet ayant une importance dans l'Histoire de France, sont un peu longuets et redondants. Mais ce livre est néanmoins intéressant car il montre comment l'Histoire a été mise en scène par les politiques, un épisode (et donc un objet traité ici) étant mis en avant ou jeté aux oubliettes en fonction de la façon dont il sert le régime politique du moment.
Commenter  J’apprécie          10
Le temps est proche

Bande dessinée centrée sur le XIV ème siècle et ses grands événements, guerre de cent ans, peste noire mais aussi son foisonnement culturel avec notamment Chaucer, Dante, Marco Polo et ses récits de voyage ou le Boccace.

Bande dessinée très riche qui reprends l'histoire vécue par le peuple avec bine des famines, la pauvreté, de nouveaux impôts et la vie, parfois mouvementée des monarques de l'époque.

c'est très riche, bien documenté, beaucoup d'humour et d'ironie. Une ambiance très noire donc amis c'est très bien réalisé et construit.
Commenter  J’apprécie          10




Acheter les livres de cet auteur sur
Fnac
Amazon
Decitre
Cultura
Rakuten

Lecteurs de Christophe Granger (107)Voir plus

Quiz Voir plus

No pasaràn, le jeu.

Qui est amoureux d'Elena?

Thierry
Andreas
Eric
Cédric

10 questions
636 lecteurs ont répondu
Thème : No pasaran : Le Jeu de Christian LehmannCréer un quiz sur cet auteur

{* *}