Citations de Claude Marthaler (162)
L'eau rugit, gargouille, murmure, contrastant avec le tintouin métallique des camions et les nuages de poudre dont le passage me recouvre.
Mille ruisseaux dévalent des pâturages spongieux tapissés de fleurs.
La rosée nocturne a quelque peu capturé la poussière d'une piste qui n'en finit pas de zigzaguer.
Comme après un clin d'oeil divin, je suis saisi d'un profond sentiment de liberté.
Entourée d'un cirque de pointes rocheuses effilées qui me décochent un pesant de perspectives insoupçonnées, une rivière impétueuse se glisse entre de gros blocs de pierre couleur rouille.
La piste, parfois poudreuse, entaille alors le flanc de la montagne par de longs serpentins. J'épouse ses courbures en marchant d'un pas lent.
Le feu couve dans le ventre de la terre, mais rien ne presse.
La montagne m'humanise, car je me bats pour quelque chose hors de ma portée.
Trempé de lumière, je crois dévorer une portion du ciel sur l'échine du monde.
J'aime cette confrontation à la pente qui érode mes vieilles scories, n'admet pour s'élever que l'unité entre corps et âme, me vide pour accueillir le rien.
Ancré et aérien à parts égales, mon vélo arpente le dénivelé et déplie peu à peu le paysage.
L'altitude me taille, telle une étrave céleste, brute de décoffrage.
J'ai l'amère sensation de trahir un pays auquel je dois tant et dont j'observe, impuissant, les séismes sociaux provoqués par l'envahisseur chinois. De peur de me noyer de tristesse, je ne verrai sans doute plus jamais ce haut plateau.
Comme une lame de fond, une puissante fatigue m'emporte.
La Chine d'aujourd'hui ressemble à un vaste et perpétuel chantier où l'empreinte de l'homme défie l'impitoyable gravité de l'eau par le coffrage de ciment et la soudure de métal.
Après une brève trempette dans la rivière glaciale, le sommeil m'emporte, aussi puissamment que le courant.
A chaque col, des flopées de drapeaux à prières claquent au vent et me procurent une belle sensation d'achèvement, comme si je parvenais à un point solide d'ancrage, un lieu de rendez-vous prédestiné.
Les montagnes naviguent à l'infini, inondées de soleil.
Un roulis de vertes collines et de cols, souvent absents de mes cartes, suisse ou chinoise, me dicte un rythme lent.
Sur les flancs de la montagne sont hérissés des champs de drapeaux à prières qui fixent son ourlet afin qu'elle continue à protéger ses habitants.