Citations de Claude Marthaler (162)
Nous sommes les passagers du vent.
Notre chemin extatique ne porte pas de nom, il nous pénètre avec volupté.
A contempler ce limon des hautes terres dans l'atmosphère vespérale, nous sommes dépossédés, des possédés.
Le Pamir est une zone sismique qui révèle nos failles, fracture nos certitudes, dissipe nos illusions.
Nous buvons jusqu'à la lie un paysage imprévisible et majestueux. Un monde minéral, épuré, cosmique.
La beauté alentour subjugue notre fatigue.
Bulunkul est un point du globe extrêmement continental, autrefois façonné par le soviétisme, griffé par un vent forcené qui oblige ses habitants à s'enraciner encore plus profondément dans sa géologie. Ses vallées évasées et ses lacs logés au creux des montagnes sont les empreintes des glaciers et des tremblements de terre, ces forces vives pourtant invisibles qui régissent l'astre auquel nous appartenons.
Un autre fantasme de voyageur occidental bien nourri me traverse quelquefois d'une manière fulgurante, puis comme le vent, s'estompe, balayé à l'horizon : accompagner un jour une caravane de nomades...
Au moment de les quitter pour une autre échappée belle, je me sens souvent un brin résigné, tiraillé entre l'immobilité et le mouvement, le terrestre et le céleste, non sans avoir renoncé à une partie de moi-même.
En voyageant, je me suis souvent imaginé vivre en immersion durant un hiver ou une année dans de tels lieux isolés et pourtant bel et bien habités, à Lhassa aussi, mais ne m'y suis jamais résolu.
Nous nous enlisons, tels ces murs livrés au vent, d'où se dégage une sensation d'échouement qui me fascine.
Le féerique paysage me visite de sa grâce et m'invite à une expansion de moi-même, comme si j'habitais le corps du premier homme.
Cet espace porte en lui un fantasme de renaissance cosmique.
Tout semble pourtant ici intemporel et d'une indépassable vigueur. Les couleurs y sont plus vives, les eaux plus profondes, le paysage plus ouvert.
Depuis un mamelon, nous trempons nos regards émerveillés dans le Yashil Kul (lac Vert), un lac de 22 kilomètres de long, bordé d'un liséré verdoyant, d'une quiétude sans égale.
Chaque endroit est un monde en soi qui les contient tous et ressemble à un cairn d'un parcours fléché...
Chaque recoin de ce paysage fécond semble nous attendre crescendo sans même qu'on ne le décide.
Attirés par un petit bassin d'eau chaude posé sur une prairie d'herbe grasse et de carex, nous descendons dans l'antre de la terre, un méandre de la rivière Aksu, pour nous défaire de notre vieille peau. Un lieu tellement archaïque et harmonieux qu'il nous invite à nous y rendre sur la pointe des pieds, de peur de le déranger.
Un silence indicible que l'oreille humaine, même tendue, ne parvient pas à capter. Un silence d'où rien ne dépasse, de ces beautés qui insistent sans faire de bruit et labourent tout mon être en forgeant de solaires souvenirs.
"Une telle qualité de silence n'existe tout simplement pas en Europe."