Citations de Claude Marthaler (162)
Je franchirai une bonne vingtaine de passes, là où convergent l'effort, l'altitude et la beauté.
A seule fin de m'ensauvager, je veux encore croire au tournoiement cosmique de mes roues, soupçonnant mon pédalier d'être un moulin à prière vertical. Pour vivre à fond, un fois de plus, la mystique du col : basculer de la civilisation vers un paradis perdu, une terre de refuge, me blottir dans ces vallées et leur temps suspendu.
L'Himalaya tout entier, gardé par l'ultime sentinelle orientale du Minya Konka (7556 m) et entaillé d'une faille sismique, bascule vers une plaine qui court sur près de 2000 kilomètres jusqu'à l'océan Pacifique.
Les pierres ont des racines.
On ne peut qu'être animiste à survivre dans un univers qui nous surplombe en nous menaçant d'extinction, car au moindre frémissement de la terre, c'est le fracas.
Au fond de cette vallée reculée veille la sentinelle de la vie : sans les glaciers nous ne serions plus.
Le matin, le fond de la vallée est encore plongé dans l'obscurité, tandis que le soleil embrase les cimes surplombantes.
On part en voyage pour s'abreuver d'espace, de silence et s'octroyer du temps, trois des luxes de notre vie dite "moderne".
On voudrait croire que les hauteurs élèvent. En réalité elles creusent, aussi bien l'âme que l'estomac.
Durant tous mes voyages, les gens ont été mon carburant. L'amour qu'ils m'ont donné a est le plus beau cadeau que j'ai reçu dans ma vie.
Au milieu de nulle part, le voyage réserve des instants miraculeux qui se privent si bien d'explication.
Nous faisons halte au bord d'un ruisselet habité par la joie simple d'exister. Son chant est si prenant qu'il fléchit mon regard noyé dans son courant.
Du chaos naissent les étoiles.
Comme les méandres d'une rivière, peu pressés d'arriver et toujours en mouvement, nous sommes, simplement.
La terre nous baratte, ses forces telluriques nous traversent.
Planter les sardines de la tente, c'est s'amarrer, blottir nos corps tout contre la roche-mère.
Le vent insuffle un mouvement à l'étendue d'eau chamarrée de vaguelettes scintillantes. Aucune d'elle n'égale l'autre, leur bruissement résume la vie comme un haïku.
La réalité est tellement plus belle que la fiction. Les hommes feraient bien de prendre de la graine de cette terre qui tourne rond. C'est magnifique.
Les dépressions, suspendues au bord du plateau, ne révèlent leur existence qu'au dernier instant. Elles contiennent des lacs magiques, si transparents que leurs apparitions nous éblouissent sans nous aveugler.
Nos vaisseaux du plateau caressent l'écorce terrestre, désentravent corps et esprit, nous ancrent dans le présent. Tout est là, plus rien n'importe. De l'aube au crépuscule, nos roues ont décrit des spirales jubilatoires.