Citations de Claude Mossé (II) (49)
Tu assures vouloir achever ta vie dans l'écriture et la méditation à Vallis Clusa et tu brûles à présent de te rendre à Paris. Je crois que je ne te comprendrai jamais. En aucun lieu tu n'as le désir de demeurer. Sais tu que cela porte un nom ? La fuite ! Tues lettré, reconnu pour ta nouvelle manière de versifier sur les chose de l'amour, avec moins de fariboles que ces troubadours qui, sur d'aimables musiques, s'en vont de cour en cour conter des fables à ne faire rêver que les faibles d'esprit, et tu ne cesses d'errer ça et là, ne t'arrêtant définitivement nulle part, incapable de choisir une demeure fixe. Cela m'étonne de toi...
Francesco ne pouvait le nier, il respectait assez le cardinal de Talleyrand pour vouloir s'expliquer :
(...)
Je sais que Sénèque a dit "la meilleure marque d'un esprit bien fait est de pouvoir rester en place et demeurer avec soi-même". Il ne me semble pas que cet auteur que j'admire (...) ait écrit cela en le pensant vraiment. Je crois que mes pérégrinations ont contribué à me donner une constance,qui dans ma jeunesse me manquait. Peut-être même de la fermeté dans les mission qui me furent confiées. De grands chefs de guerre, de grands lettrés n'ont conquis leur gloire qu'en franchissant le seuil de leur chambre. Les Apôtres ont parcouru pieds nus les contrées les plus éloignées, leurs coprs erraient dans les lieux les plus âpres, ballotés sur terre et sur mer, leur coeur demeurait au ciel.
Talleyrand (...) ne satisferait pas inutilement l'orgueil du poète toscan, mais il devait convenir qu'avec Dante Alighieri, Giovanni Boccacio, Francesco Petrarca, et quelques autres dont il ne connaissait que le nom, l'Italie de ce XIVème siècle, tout comme naguère Rome, participait superbement de nouvelles curiosités, et que peut-être l'agitation que soulevaient ces esprits, pas toujours compris par les gens d'Eglise et malmenés par les tribunaux de l'Inquisition, serait reconnue dans les temps à venir comme une victoire sur l'ignorance, comme une véritable Renaissance. (...)
- Si je rencontrais, poursuivit le poète, sous le ciel un endroit bon, ou plutôt non mauvais, pour ne pas dire détestable, je m'y arrêterais corps et coeur, et pour toujours. Hélas je voyage encore et je semble condamné à voyager sans fin. Avec la vieillesse, je suis atteint par les douleurs du corps, mais il y a si longtemps que je souffre des fièvres de l'âme... peut-être si on me rendait la santé, je les supporterais plus courageusement.
- Plût à Dieu que ta maladie ne soit pas mortelle ! se contenta de répondre le cardinal.
Francesco souhaitait que sa vie s'écoulât lente, méditative, pure. Du vagabond amoureux il ne restait rien. A la surprise d'avignonnais encore vivants qu'il avait naguère connus. A l(étonnement aussi des villageois qui vivaient là où l'étroit vallon devient plaine, et qui voyaient passer, essouflé, sans comprendre le but de ces randonnées pédestres, toujours solitaire, cet homme aux cheveux gris, au profil étrangement calme, au pas ample et mesuré. (...)
Là, dans son cher vallon, Guido Sette était venu le chercher. Il avait surgi comme pour briser l'harmonie dans laquelle le poète s'habituait à demeurer enfermé. Il avait sollicité Francesco avec tant d'insistance qu'il avait réussi à le convaincre de quitter pour quelque temps ce exil volontaire, afin d'aller plaider la cause de la paix, à Paris, auprès du roi de France.
Plaire aux femmes, lui répétait Francesco, s'impose inévitablement, même aux hommes les plus graves. Nos ecclésiastiques prétendent ignorer ces usages, font mine de n'en avoir aucun souçi et reçoivent dans leur lit des beautés auxquelles ils s'appliquent à enseigner les pratiques de l'amour et le pouvoir que donnent la grâce et la beauté.
(...)
Francesco n'avait pas tenu rigueur à son frère de ses propos, il aurait aimé que celui-ci comprît qu'il s'adonnait à ces raffinements, sans doute excessifs, parce qu'amoureux de toutes les choses de la vie, il était terrorisé à l'idée de perdre sa jeunesse. S'il se regardait du matin au soir dans le miroir, c'était de peur d'y découvrir les sillons que l'âge ne peut éviter. S'il prêtait tant attention à sa chevelure, déjà marquée par la tonsure, c'était de crainte d'avoir le crâne entièrement dégarni. Et si, dans la journée, il gardait la tête couverte d'une capuche, il devait la retirer au moment de prouver que les désirs de la passion qu'il exprimait n'étaient pas que langage de poète.
Certains silences sont plus respectables que d'autres, mais le silence ne doit jamais devenir une forme d'oubli .
Dans leurs homélies les curés répétaient qu'en France le roi ne tarderait pas à rétablir toutes les lois que les prétendus patriotes avaient bafouées. Quant à ceux qui avaient pillé les biens de l'Église, les religieux, qui ne croyaient pas nécessairement à ce qu'ils affirmaient, leur promettaient l'enfer.
Pour les navigateurs inexpérimentés, franchir le fleuve tenait souvent d'une périlleuse aventure. Depuis des siècles, le pont sur le Rhône s'était effondré. L'Église, toujours prompte à mêler foi et légende, attribuait sa construction à un jeune berger ardéchois, Bénezet. Le Saint-Esprit lui aurait donné l'ordre de relier la rive droite, propriété royale, à la cité d'Avignon, terre pontificale, afin de soumettre les gens du roi de France à la volonté du pape. Il n'en restait que quatre arches, et les chevaliers hospitaliers avaient été désignés par les pontifes pour assister les voyageurs souhaitant passer d'une berge à l'autre. Il en coûtait quelques sols, que le légat du pape assurait distribuer aux lépreux de l'hospice Saint-Lazare. La population se taisait ; nul n'en doutait, il s'agissait d'un mensonge, les malades ne recevaient rien.
Assise, pieds nus, frissonnante dans sa longue robe de bure, chevelure brune agitée par le vent du nord, Éloïse observait les embarcations luttant dans les tourbillons contre la force du courant. Éviter les naufrages fréquents dans cette courbe du Rhône n'était pas aisé, les nautoniers ne l'ignoraient pas.
Je suis depuis mon enfance, un exilé et un voyageur inquiet. Sur la terre, je suis un étranger de passage. semblable en cela aux autres hommes. (...)
Même si souvent les projets, les espoirs des mortels n'aboutissent pas, tout regret serait vain. Inutile de nous tourmenter, ceux qui nous suivront s'engageront sur le chemin que nous aurons tracé...
C'est une chose bien étrange à comprendre, les poètes ont toujours raison...
Viens me voir...
Viens pour que, dans ce qui reste de jours, nous trouvions dans le calme et la solitude partagés tous les sentiments d'amour. Par ton art de chanter la passion pure, tu as su éblouir ceux qui ont eu comme moi la chance de te lire. Viens sans nul autre compagnie, nous marcherons au pas lent que nous autorise l'âge dans les herbes odorantes dont chacune t'est connue. Viens, nous nous émerveillerons au milieu des sources et des forêts du soleil d'or éclairant la cime nue de ce mont que tu as eu, il y a plus de trente ans -tu étais jeune et fougueux- le courage de gravir jusqu'au sommet. Viens, nous fuirons les traces des hommes qui prétendent à notre bien alors qu'ils ne songent qu'à nous faire du mal. Viens, nous irons dans les lieux écartés, connus de moi seul, nous jouirons des chants de la nature, nous rirons du souci des envieux, également éloignés de la joie inutile et de la tristesse douloureuse."
Laure...tout ce qu'il avait voulu réuni en un seul prénom.
Il espérait que longtemps son écho résonnerait entre les hautes falaises de son vallon, né de la source mystérieuse dont il n'avait jamais réussi à exprimer par l'Ecriture ce qu'elle lui procurait de joies et d'angoisses alternées, chaque fois qu'il s'en approchait, que les eaux fussent hautes ou basses, sans que cela fût le fait de l'alternance des saisons.
"Lieux dangereux et chers, où de ses tendres armes
L'Amour a blessé tous mes sens,
Ecoutez mes derniers accents
Recevez mes dernières larmes..."
Francesco travaillait, écrivait beaucoup, correspondait avec toutes les universités et les librairies privées, acceptant pour acheter des manuscrits anciens de se priver d'habits et de nourriture. Prêt, pour acquérir un livre, à se séparer de n'importe quel objet de nécessité.
Les montagnes peuvent séparer nos corps, elles ne sépareront pas nos âmes.
(...), il s'était promis, lui l'itinérant, de ne plus être l'esclave d'aucune autorité.
"Il serait long de vous conter, nobles dames et gentils damoiseaux, combien la liberté est parfois lourde à porter, mais aussi plus délicieux que les jougs et les chaînes que parfois la Nature nous impose..."
Quand il n'y aura plus de morts inutiles,quand entre ceux qui se détestent viendront les mots de tolérance et d'amour, alors s'annonceront des temps nouveaux. Des temps que je verrai de là-haut...
En quoi puis-je vous être utile? Je ne suis qu'un poète de la galanterie, ignorant des richesses terrestres. Je n'ai plus qu'un voeu, vivre dans l'austérité qu'exige l'écriture ce qui me reste de jours.
(...), il existe encore des femmes pour ne pas accepter tous les beaux discours qui ne sont que secrets désirs charnels. Sa beauté est pourtant parfaite.
"-J'ai le coeur déjà pris, avait répondu la belle dans un sourire, et mes pensées sont toujours sages."