Chez Jean Marais (1961)
Dans sa propriété de Marnes-la-Coquette dont il a dessiné les plans, le comédien français reçoit le journaliste Claude Mossé et le réalisateur suisse Claude Goretta.
Certains silences sont plus respectables que d'autres, mais le silence ne doit jamais devenir une forme d'oubli .

Tu assures vouloir achever ta vie dans l'écriture et la méditation à Vallis Clusa et tu brûles à présent de te rendre à Paris. Je crois que je ne te comprendrai jamais. En aucun lieu tu n'as le désir de demeurer. Sais tu que cela porte un nom ? La fuite ! Tues lettré, reconnu pour ta nouvelle manière de versifier sur les chose de l'amour, avec moins de fariboles que ces troubadours qui, sur d'aimables musiques, s'en vont de cour en cour conter des fables à ne faire rêver que les faibles d'esprit, et tu ne cesses d'errer ça et là, ne t'arrêtant définitivement nulle part, incapable de choisir une demeure fixe. Cela m'étonne de toi...
Francesco ne pouvait le nier, il respectait assez le cardinal de Talleyrand pour vouloir s'expliquer :
(...)
Je sais que Sénèque a dit "la meilleure marque d'un esprit bien fait est de pouvoir rester en place et demeurer avec soi-même". Il ne me semble pas que cet auteur que j'admire (...) ait écrit cela en le pensant vraiment. Je crois que mes pérégrinations ont contribué à me donner une constance,qui dans ma jeunesse me manquait. Peut-être même de la fermeté dans les mission qui me furent confiées. De grands chefs de guerre, de grands lettrés n'ont conquis leur gloire qu'en franchissant le seuil de leur chambre. Les Apôtres ont parcouru pieds nus les contrées les plus éloignées, leurs coprs erraient dans les lieux les plus âpres, ballotés sur terre et sur mer, leur coeur demeurait au ciel.
Talleyrand (...) ne satisferait pas inutilement l'orgueil du poète toscan, mais il devait convenir qu'avec Dante Alighieri, Giovanni Boccacio, Francesco Petrarca, et quelques autres dont il ne connaissait que le nom, l'Italie de ce XIVème siècle, tout comme naguère Rome, participait superbement de nouvelles curiosités, et que peut-être l'agitation que soulevaient ces esprits, pas toujours compris par les gens d'Eglise et malmenés par les tribunaux de l'Inquisition, serait reconnue dans les temps à venir comme une victoire sur l'ignorance, comme une véritable Renaissance. (...)
- Si je rencontrais, poursuivit le poète, sous le ciel un endroit bon, ou plutôt non mauvais, pour ne pas dire détestable, je m'y arrêterais corps et coeur, et pour toujours. Hélas je voyage encore et je semble condamné à voyager sans fin. Avec la vieillesse, je suis atteint par les douleurs du corps, mais il y a si longtemps que je souffre des fièvres de l'âme... peut-être si on me rendait la santé, je les supporterais plus courageusement.
- Plût à Dieu que ta maladie ne soit pas mortelle ! se contenta de répondre le cardinal.
La politique est presque aussi excitante que la guerre, et beaucoup plus dangereuse. A la guerre, vous pouvez être tué une fois seulement, en politique plusieurs.
Au Vatican, la corruption tenait lieu de fiscalité.
Il n'y avait que l'écriture pour lui donner, sinon la joie, au moins quelques heures de sérénité. L'écriture et les randonnées jusqu'à la source tumultueuse. Il aimait ce lieu sombre, austère, conforme à sa nature. Il aurait préféré y vivre à l'écart des humains, partageant sa solitude avec les animaux sauvages et les oiseaux, plutôt que dans n'importe quelle importante cité (...).
Francesco souhaitait que sa vie s'écoulât lente, méditative, pure. Du vagabond amoureux il ne restait rien. A la surprise d'avignonnais encore vivants qu'il avait naguère connus. A l(étonnement aussi des villageois qui vivaient là où l'étroit vallon devient plaine, et qui voyaient passer, essouflé, sans comprendre le but de ces randonnées pédestres, toujours solitaire, cet homme aux cheveux gris, au profil étrangement calme, au pas ample et mesuré. (...)
Là, dans son cher vallon, Guido Sette était venu le chercher. Il avait surgi comme pour briser l'harmonie dans laquelle le poète s'habituait à demeurer enfermé. Il avait sollicité Francesco avec tant d'insistance qu'il avait réussi à le convaincre de quitter pour quelque temps ce exil volontaire, afin d'aller plaider la cause de la paix, à Paris, auprès du roi de France.
Nul n'était plus passionnément anglais que Churchill, se refusant à croire à une possible victoire des Allemands. Le péril, il avait voulu l'éviter.
Par patriotisme aveugle, il n'avait pas imaginé une opération aussi importante que le torpillage du prestigieux Lusitania, chacun par faiblesse, ne songerait qu'à défendre ses intérêts, en fomentant un complot. Churchill, lui, tentait de se rassurer. S'il y avait eu un si grand nombre de victimes, si le Lusitania gisait dans les fonds sous-marins, c'était à la suite d'une deuxième explosion dont il n'avait jamais accepté la réalité.
Avec Mersey, il était de ceux qui s'étaient acharnés contre William Turner, injustement accusé de négligences coupables. Les intrigants ont souvent besoin d'un bouc émissaire.
(...), il s'était promis, lui l'itinérant, de ne plus être l'esclave d'aucune autorité.
"Du pain et de l'eau pour mon enfant", supplia le voyageur aux yeux hagards, aux vêtements loqueteux. Le père prieur Dom Juan Perez était un brave homme, la porte de l'abbaye de la Rabida se referma sur Cristobal et Diego Colon.
Aux fauves assoiffés d’ivresses en tous genres, il voulait imposer avec calme et détermination une pensée véritablement chrétienne. Il ne l’ignorait pas, cela ne s’accomplirait pas en un jour, mais enseigner aux jeune un peu du savoir des anciens pouvait modifier le cours de l’Histoire.