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Citations de Claudine Sagaert (12)


10. « Toutes les laides dans les contes sont certes méchantes, mais elles sont indépendantes, célibataires ou reines et, le plus souvent, sans enfants. Si elles ne parviennent pas toujours à leurs fins, elles possèdent néanmoins un certain pouvoir et un certain savoir. […] Image de femme donc en tout point opposée à celle de la belle jeune fille : sage, soumise, douce, docile, obéissante, vivant chez ses parents ou chez son prince. Si la femme laide est donc indépendante, par contre la belle jeune fille n'existe jamais en tant que telle. Elle dépend soit de son père, soit de son prince.
Dans une grande majorité de contes, la laideur renvoie au mal mais aussi à la violence comme seul type possible de rapport à l'autre.
[…] Si la femme est laide et méchante et que ses actes sont ou pourraient être maléfiques, elle mérite de mourir. On peut donc s'autoriser une violence sans bornes envers les personnes laides et méchantes, sans que cela soit condamnable. L'indignité, l'irrespect, et toutes les formes de maltraitance présentes dans les contes sont une conduite permise envers les femmes laides. » (pp. 191-192)
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Pour Kant, une femme doit donc être belle et se taire. Et s'il faut développer chez les femmes « le sentiment moral », c'est dans le but de « les rendre capables de sentir ce qui convient à la dignité, aux qualités sublimes de l'autre sexe ». Le développement des qualités morales féminines ne renvoie aucunement à une nécessaire quête d'autonomie : il a pour seule finalité de permettre à la femme de reconnaître la supériorité de l'homme. Dans le même registre d'ailleurs, Rousseau écrit : « Toute l'éducation des femmes doit être relative aux hommes. Leur plaire, leur être utile, se faire aimer et honorer d'eux, les élever jeunes, les soigner grands, les conseiller, les consoler, leur rendre la vie agréable et douce : voilà les devoirs des femmes de tous les temps, et ce qu'on doit leur apprendre dès l'enfance. » Cette réflexion ne fait que réaffirmer les préjugés qui ont cours à l'époque. La femme n'a qu'un rôle, celui de plaire aux hommes, de les consoler, de reconnaître leur grandeur. [p. 99 §2]
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9. « Dans le domaine de la séduction et des rapports amoureux, la femme vieille est dépréciée. Rares sont d'ailleurs des romans ou les films qui traitent de la sexualité féminine après soixante ans. Ceux qui en parlent s'exposent à une critique désobligeante. Le film _Japon_, du cinéaste mexicain Carlos Reygadas, en est un exemple.
[…]
Si la sexualité de la femme dite pudiquement "mature" paraît en cela déplacée, c'est qu'on l'associe tant à la laideur physique que morale. […] On élude donc la sexualité de la femme âgée en donnant à penser qu'elle n'existe pas. De ce fait, ceux qui la révèlent s'attaquent à un problème jugé inconvenant, hors norme.
[…] Si ce type de discours tend à briser certains tabous et à déconstruire le lien entre vieillesse et laideur, néanmoins dans l'ensemble des écrits ce propos reste encore exceptionnel. » (pp. 168-169)
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8. « L'anorexie incarne, si l'on peut dire, la contestation d'une nature du corps féminin. Elle est le refus des cycles menstruels et alimentaires. Elle est le refus de la matière. Affirmation de l'esprit contre la forme, elle est une inversion totale du point de vue d'Aristote qui confinait la femme à la laideur ontologique. L'anorexie exprime le retournement du paradoxe antique : la beauté féminine en tant que simple beauté de l'apparence était le signe de la laideur ontologique, la laideur se retourne en manifestation de la force de l'être dans la matière par la volonté de la femme. La laideur n'est plus seulement le signe négatif d'un manque, elle prétend légitimement à une certaine esthétique. » (p. 165)
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À l'époque moderne, la femme repoussoir est représentée non seulement par la vieille fille mais aussi par celle qui veut développer ses facultés intellectuelles. Si les bas-bleus sont considérés comme des archétypes de laideur féminine, on peut se demander quel lien existe entre les capacités intellectuelles de la femme et sa laideur. A priori aucun. Comment expliquer alors que philosophes, écrivains, hommes politiques aient jugé laides les femmes qui ont défendu leurs idées ? Les femmes jugées laides ont-elles été celles qui ont pris la parole et qui, par leurs actes, ont refusé la place qu'on leur imposait ?
On ne peut que s'interroger sur la relation tissée entre intelligence et laideur. Ceci d'autant plus que la beauté physique de la femme a souvent été associée à sa docilité, quand ce n'est pas à sa stupidité, comme si une belle femme ne pouvait être intelligente. « Sois belle et tais-toi », énonce le préjugé populaire. Serait-ce affirmer : « Sois laide et parle » ? Comment expliquer que la beauté féminine ait souvent rendu suspectes les qualités de son esprit ? Et n'a-t-on pas souvent conseillé aux disgracieuses d'exceller dans le domaine du savoir afin de compenser leur laideur ? [pp. 97-98]
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7. « Toujours tapie dans ses moindres pensées, la laideur est à l'origine de tout ajustement dans le rapport aux autres, au monde et à soi-même. Elle est le filtre à partir duquel l'existence prend sens. Toutefois si, comme l'analyse Aristote dans la _Rhétorique_, la honte de soi est liée à la reconnaissance par le sujet de sa culpabilité, par contre dans le cas de l'individu laid, la honte est d'un tout autre ordre car, tel un péché originel, elle touche à l'être même du sujet sans pour autant qu'il soit responsable de quelques actes illicites. Cette honte se forge alors à partir d'un crédit donné aux discours dévalorisants. Nourrie d'indignité, d'ignominie et d'infamie, elle révèle à la victime qu'elle est telle qu'autrui la voit. Comme Sartre l'a montré, la honte est toujours liée à l'autre : autrui est intermédiaire entre moi et moi-même. J'ai honte dans la mesure où je me sens mis à nu par le regard de l'autre, l'autre me voit comme je suis, ou plutôt faudrait-il dire, je reconnais que la manière dont l'autre me voit est ce que je suis. Si autrui me juge laid, je deviens cet être laid. La honte en tant qu'affect est, dans ce cas, honte d'une laideur aliénante, d'une laideur, selon le mot de Lacan, "hontologique", qui nie toutes mes possibilités. L'être du pour-soi est alors grignoté par l'en-soi. Je ne suis plus rien d'autre que cette laideur. » (p. 156)
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6. « En théorie, pour la première fois dans les dernières décennies du XXe siècle, parler de l'infériorité de la femme a relevé de l'irrespect, d'une scandaleuse ségrégation (même si, dans la pratique, les choses ont été plus complexes). Toutefois, si ces changements ont apporté une certaine autonomie à la femme, cette liberté a néanmoins décuplé l'importance donnée à son paraître. Et dans cette perspective, par-delà l'obsession d'une esthétique toujours à parfaire, s'est profilée comme son ombre une guerre ouverte contre la laideur. Dans ce cadre, celle-ci est devenue inacceptable, presque une offense, une faute de goût, un délit. La laideur a eu pour effet non seulement de fragiliser l'identité féminine, mais à son acmé de la lui ôter : "Je suis laide, donc je n'existe pas." Ainsi, le corps de la femme a donné lieu à bien des critiques. L'absence de soins, le vieillissement prématuré, les rides, le plus souvent subis dans les époques antérieures, ont fait place à un impératif : celui de se rendre maître et possesseur de son corps par le travail que l'on fait sur lui. La femme est alors devenue l'artiste de son apparence. » (p. 146)
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5. « Cette seconde période, qui s'étend du XVIIe au XIXe siècle, voit l'élaboration d'une nouvelle conception de la laideur féminine. La progression lente de l'individualisme entraîne de nombreux changements, non seulement sur le plan politique et religieux mais aussi sur le rapport de l'être à son corps, au monde et à l'autre. […] La laideur reste liée à la révolte des femmes qui refusent le carcan dans lequel on continue à vouloir les enfermer. Si le paradigme de la féminité est celui d'une jeune femme belle et séduisante, hétérosexuelle, épouse et mère, celles qui ne s'y conforment pas sont jugées laides. Laides celles qui refusent leur fonction de mère, laides celles dont la sexualité n'est pas centrée sur l'homme, laides celles dont les apparences, les attitudes, les occupations diffèrent de celles propres à leur sexe, laides celles qui cherchent à développer leurs facultés intellectuelles, ou qui se mêlent de politique, de littérature ou de philosophie. […] La laideur physique est ainsi associée plus explicitement que dans les siècles antérieurs à l'attitude même de la femme. » (p. 77)
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4. « Beauté enchanteresse ou laideur repoussante, la femme reste en puissance sorcière, elle est l'incarnation du mal. Si l'homme, à l'image de Dieu, structure, ordonne, réalise, construit, pense et sait, par contre la femme, à l'origine du péché, ne peut être que celle qui désordonne, destructure, déconstruit. "Déficiente dans sa force d'âme et de corps" [_Le Marteau des sorcières_], donc stupide et intempérante, elle est celle par qui le mal est rendu possible. À partir de ce postulat, ce que l'homme ne peut analyser rationnellement, comme les épidémies ou les catastrophes naturelles, les disettes et les famines, l'importante mortalité infantile, les mauvaises récoltes, la sorcière en est forcément l'origine. "L'évocation des 'femmes-diables' répond à une nécessité pour certaines populations de cette époque : le mythe des sorcières meurtrières permet de projeter hors de soi les peurs qui habitent l'imagination humaine et pallier l'adversité." [Anny Canovas, thèse, 2008] » (p. 68)
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3. « […] dans certains textes [du Moyen Âge et de la Renaissance], la femme est renvoyée à un être hybride, un mixte d'humanité et d'animalité. Être intermédiaire, elle est comparée à un animal dont le symbolisme est parlant. Comme le porc, elle est sale, comme le rat, elle est porteuse de maladies, comme le bœuf, elle a une apparence inesthétique, comme l'âne, elle est stupide, comme le renard, elle est rusée... De la même manière que la beauté en tant qu'image idéalisée est hyperbolique, la laideur incarne la disgrâce et la difformité de manière outrancière. Reprenons la description de la laide demoiselle dans _Perceval_ : son visage est étranger à l'humanité, ses yeux minuscules forment de petits trous, comme ceux d'un rat, son nez plat et court est semblable à celui d'un singe ou d'un chat, elle a des oreilles d'âne ou de bœuf, elle porte une barbichette de bouc.
[…]
Dans les bestiaires, elle a "un museau de renard", "elle a des yeux de bœuf", "elle a une face de chat écrasé", "des dents de lapin", ses cheveux ne sont que des "poils de vache rousse", "elle a la taille comme une vache à lait", c'est "un limaçon", "une grosse truie", quand elle n'est pas "sale, puante et bestiale comme un bouc" [in : Robert Burton, _Anatomie de la mélancolie_, mais déjà Rustico Filippi (XIIIe s.) et Boccace (XIVe s.)]. » (p. 54)
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2. « Du point de vue physique, la laideur est au cœur de trois types de discours. Un discours visant les moyens de retarder le vieillissement ou de maquiller certaines disgrâces, un discours renvoyant le souci esthétique au péché d'orgueil et de luxure, et un discours brossant un portrait hyperbolique de la femme laide, faisant d'elle un personnage répugnant, symbole de nombreux maux. » (p. 39)
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1. « Ne faut-il pas plutôt reconnaître que la perception n'est jamais neutre, qu'elle est bien souvent liée à des éléments extra-esthétiques qui nourrissent le jugement, et que c'est dans cette perspective que ces femmes ont été vues comme laides ? Notons que, dans les contes, la représentation de la laideur féminine a été brossée à partir des mêmes critères. Indépendantes, célibataires, sans enfants, les femmes dites laides ont toutes été dépeintes comme des femmes méchantes. Dotées d'un certain pouvoir, sorcières ou ogresses, et en tout cas ni belles ni sages, elles ont été opposées à la jeune fille obéissante.
[…]
Ainsi, nous nous attacherons à montrer comment la perception de la laideur de la femme à certaines périodes a été déterminée par la conception de sa physiologie, de ses dispositions intellectuelles, et de son aptitude morale. Nous montrerons aussi comment la laideur a dévalué l'être du féminin, mais a aussi pesé sur son paraître. Car si la femme a paru belle, ce n'est que dans la mesure où elle se conformait à ce que l'on attendait d'elle. Certes cette conception aujourd'hui ne renvoie plus aux mêmes contenus qu'aux époques antérieures, mais à bien examiner la question, on peut toutefois se demander ce qui a réellement changé. » (pp. 17-18)
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