Le sujet de cette monographie pourrait ainsi se résumer : au fil des siècles, la misogynie s'est exprimée en fabriquant intellectuellement la laideur de la femme. Ce qui évolue dans le temps, et qui permet une périodisation en trois temps – 1. Antiquité jusqu'au XVIIe siècle, 2. XVIIe-XIXe s, 3. depuis le XXe s. et en particulier en relation avec le féminisme –, c'est le mouvement de l'autonomisation progressive de le femme lequel a conduit néanmoins à une imputation à celle-ci de sa laideur et donc à sa culpabilisation conséquente. En effet, durant la première période, et singulièrement dans l'Antiquité, la laideur féminine correspondait à une donnée ontologique de la féminité, opposée à la beauté de la masculinité, et ce jusqu'au point d'un déni d'humanité à l'égard des femmes, surtout des laides. La deuxième période tendit graduellement à associer la laideur de certaines femmes à l'inadaptation de leurs comportements et personnalités vis-à-vis des attendus de la féminité : d'abord à leur rôle reproductif et à leur sujétion aux hommes. La figure de la sorcière prévaut de manière emblématique dans ce sens, de façon concomitante avec l'essor de l'individualisme. La troisième période ne comporte pas une rupture avec la précédente, cependant la croissance progressive de l'autonomie féminine va de pair avec la croissance du poids des apparences, en particulier pour les femmes, qui provoque une image généralement dépréciée de soi par rapport à une perfection physique inatteignable. Si la laideur devient (enfin) quelque chose de plutôt concret malgré la persistance des connotations morales – cf. notamment le surpoids –, ce phénomène semble avoir surtout des conséquences psychologiques – frustrations liée à l'impossibilité d'atteindre l'idéal de beauté, sentiment de honte causé par la laideur – que l'on peut donc presque reconduire à la position initiale de la laideur ontologique, à présent intériorisée, et ainsi boucler la boucle de la misogynie. Dans ce contexte contemporain, une attention particulière est consacrée à deux figures particulières de la laideur, assez inédites, ambiguës voire paradoxales : la vieillesse et l'anorexie. L'essai se clôt par une Annexe : « La femme laide dans les contes ».
La problématisation de la question de la laideur est très originale, qui ne se soucie pas, contrairement à l'essai d'Umbert Eco, de l'évolution historique des critères esthétiques dans les arts ; la scansion chronologique selon la perspective philosophique et d'
histoire intellectuelle de la misogynie est très intéressante, et elle relève à mon sens d'une perspective féministe ; les références sont très nombreuses et ne se limitent pas aux oeuvres classiques ; la prose est également fort agréable, sans répétitions ni pesanteurs.
Le préfacier,
David le Breton, et le postfacier,
Georges Vigarello, sont des personnalités illustres et citées dans l'ouvrage : malheureusement ni l'un ni l'autre n'ont, à mon avis, apporté une contribution proportionnelle aux mérites du texte.