Citations de Conceicao Evaristo (43)
Je sais ce qu'est l'amour d'une mère. Je sais ce qu'est une mère qui accueille un enfant. Et je sais aussi ce qu'est une mère qui le méprise. J'avoue. Sur les trois enfants que j'ai eus, deux filles et un garçon, mon coeur n'en a accueilli que deux...
Ma fille cadette s'est perdue quelque part en moi. Je n'ai jamais réussi à l'aimer...
Malgré la douleur, il avait décidé qu'il ne deviendrait pas fou ou idiot. Il essaierait d'escroquer la souffrance.
Elle buvait les paroles en reformant précautionneusement la trame effilochée du passé, comme celui qui raccommode son seul vêtement pour ne pas être nu.
C’est en une après-midi claire où le soleil cuisait la terre et les Noirs qui travaillaient aux champs, c’est en cet après-midi-là, où tous les hommes entonnaient des chants cadencés par le mouvement du corps à l’ouvrage, que le père de Poncia Vicencio se pencha, se pencha au rythme de la musique, mais ne cueillit pas le fruit de la terre. Il se donna à elle.
Elle passait ses journées à penser, se souvenir. Elle se rappelait la vie passée, elle pensait le présent, mais elle ne rêvait rien, n'inventait rien pour le futur. Le lendemain de Poncia était fait d'oubli.
CERTIFICAT DE DÉCÈS
Les os de nos ancêtres
cueillent nos larmes pérennes
pour les morts d’à présent.
Les yeux de nos ancêtres,
étoiles noires teintées de sang,
s’élèvent des profondeurs du temps
prenant soin de notre mémoire meurtrie.
La terre est couverte de fosses
et à la moindre inattention de la vie
la mort est certaine.
La balle ne manque pas sa cible, dans le noir
un corps noir chancelle et danse.
Ce certificat de décès, les anciens le savent,
a été gravé depuis le temps des négriers.
IL FAUT SE SOUVENIR
La mer vagabonde houleuse sous mes pensées
La mémoire féroce lance son gouvernail :
il faut se souvenir.
Le mouvement de va-et-vient dans les eaux-souvenirs
de mes yeux baignés de larmes me submerge de vie,
salant mon visage et mon goût.
Je suis une éternelle naufragée,
mais les profondeurs des océans ne m’effraient
ni ne m’immobilisent.
Une passion profonde est la bouée qui me tient hors de l’eau.
Je sais que le mystère subsiste au-delà des eaux.
Et quand la douleur vient s'adosser à nous, alors qu'un œil pleure, l'autre guette le temps à la recherche de la solution. (Ayoluwa, la joie de notre peuple)
Elle s'est habituée à la mort comme un choix de vie. (Duzu-Querença)
Elle savait les risques qu'elle encourait à ses côtés. Mais elle pensait que n'importe quelle vie était risquée, et que le plus grand risque était de ne pas essayer de vivre. (Ana Davenga)
Je n'oublierai jamais l'image de mon enfant nue, perdue, honteuse devant moi, ses soeurs, et les voisins...
Elle se tut en sachant néanmoins qu’elle irait de l’avant, comme lui.
Oui, elle irait de l’avant – et maintenant elle savait quelle serait son arme: l’écriture.
Du cœur énorme, immense de Mémé Rita naissait l’humanité entière
Bientôt, elle allait accoucher d'un enfant. Un enfant qui avait été conçu sur la fragile frontière entre la vie et la mort. (Combien d'enfants Natalina a-t-elle eus ?)
Vozes-Mulheres
A voz de minha bisavó
ecoou criança
nos porões do navio,
ecoou lamentos
de uma infância perdida.
A voz de minha avó
ecoou obediência
aos brancos-donos de tudo.
A voz de minha mãe
ecoou baixinho revolta
no fundo das cozinhas alheias
debaixo das trouxas
roupagens sujas dos brancos
pelo caminho empoeirado
rumo à favela
A minha voz ainda
ecoa versos perplexos
com rimas de sangue e fome.
A voz de minha filha
recolhe todas as nossas vozes
recolhe em si
as vozes mudas caladas
engasgadas nas gargantas.
A voz de minha filha
recolhe em si
a fala e o ato.
O ontem - o hoje - o agora.
Na voz de minha filha
se fará ouvir a ressonância
O eco da vida-liberdade.
Et c'est bien vrai, que tout se répare. J'ai réparé ma vie, dont les ressorts rouillaient. Toute seule, j'ai imprimé de nouveaux mouvements à mes jours. Je l'ai fait pour moi et pour mes enfants.
De toute les femmes avec qui j'ai parlé, Libia Moira fut la plus réticente à me conter un peu sa vie. En premier lieu, elle voulut savoir pourquoi j'avais autant envie d'écrire des histoires de femmes et, dans un deuxième temps, elle me demanda s'il ne serait plus facile que j'inventasse mes histoires plutôt que de voyager de par le monde et de faire parler les gens, pour tout retranscrire ensuite.
Cinq hommes déflorèrent l'inexpérience et la solitude de mon corps. Ils disaient entre eux, qu'ils m'apprenaient à être une femme. J'ai honte, j'ai la nausée en y repensant... Je ne l'ai jamais raconté à personnes. Ce n'est qu'aujourd'hui, trente-cinq ans après les faits,, devant toi, que je fais l'effort de dire à voix haute ce qui m'est arrivé. Les détails les plus humiliants meurent dans ma gorge, mais pas mes souvenirs.
Je ne suis plus jamais retournée au travail.
Il fallait vivre, "vivre du vivre". La vie ne pouvait se résumer à cette misère crevarde. Elle réfléchit, chercha tout au fond de dedans-elle ce qu’elle pouvait faire. Son cœur étouffait, à l’étroit dans sa poitrine.
La pensée surgit, rapide et limpide comme l’éclair : un jour, elle écrirait tout. (p.182)
Et à chaque battement du cœur de Mémé Rita naissaient des hommes. Toutes sortes d’hommes: des noirs, des blancs, des jaunes, des rosés, des pâles …