Extrait du film documentaire L'âge de Czeslaw Milosz tourné à l'occasion du centenaire de la naissance de l'auteur.
Confession
Seigneur Dieu, j'ai aimé la confiture de fraise
Et la sombre douceur du corps féminin.
Comme aussi la vodka glacée, les harengs à l'huile,
Les parfums : la cannelle et les clous de girofle.
Quel prophète puis-je donc faire ? Pourquoi l'esprit
Aurait à visiter quelqu'un de pareil ? Tant d'autres
A bon droit furent élus dignes de confiance.
Mais moi qui me croirait ? Car ils ont vu
Comme je me jette sur la nourriture, vide les verres,
Et regarde avidement le cou de la serveuse.
En défaut et conscient de l'être. Désireux de grandeur,
Sachant la reconnaître où qu'elle soit,
Et pourtant d'une vue pas tout à fait claire.
Je savais ce qui reste pour les moindres comme moi :
Le festin des brefs espoirs, l'assemblée des fiers,
Le tournoi des bossus, la littérature.
" Est-il vrai que les Américains sont tellement bêtes ? " m'a-t-on demandé souvent à Varsovie.... Cette question montre assez clairement l'attitude qui règne dans les démocraties populaires en ce qui concerne l'Occident : elle se caractérise par une grande somme de déceptions et un reste d'espoir.
(page 49).
Don
Jour si heureux.
Le brouillard était tombé tôt, je travaillais au jardin.
Des colibris s’arrêtaient au-dessus de la fleur du chèvrefeuille.
Il n’y avait rien sur terre que j’aurais voulu posséder.
Je ne connaissais personne qui aurait valu d’être envié.
Le mal qui était advenu, je l’oubliais.
Je n’avais pas honte d’être celui que je suis.
Je ne sentais dans mon corps nulle douleur.
LES SECRÉTAIRES
je ne suis que le secrétaire d’une chose invisible,
Qui m’est dictée, et à quelques autres avec moi.
Inconnus les uns des autres, nous parcourons la terre,
Sans comprendre grand-chose. On commence à mi-phrase,
On s’arrête aussi sec. L’ensemble un jour constitué
N’est pas notre affaire, aucun de nous ne le déchiffrera.
Solitude, ma mère, redites-moi ma vie.
Mais parfois, il est hanté par cette pensée que le diable à qui l'on vend son âme tire sa force des hommes eux-mêmes, et que le déterminisme de l'histoire est une création des cerveaux humains.
«Je rêvais toujours la neige et les bois de bouleaux.
Là où il n'y a pas de saisons, on ne sent pas s'écouler le temps.
Ici c'est - vous verrez - la montagne magique.»
Ce qui fut grand paraît petit.
Les royaumes se fanent comme bronze enneigé.
Ce qui nous atteignit cesse de nous atteindre.
Les terres célestes tournent et resplendissent.
Étendu dans l'herbe sur la berge d'un fleuve,
Comme il y a bien longtemps, je lance mes navires d'écorce.
[...] le véritable opium du peuple, c'est de croire au néant après la mort. L'idée que nous ne serons pas jugés pour toutes nos saloperies, nos déchéances, nos lâchetés, nos crimes est une immense consolation.
La connaissance suffit-elle?
Il fut un temps où je croyais qu'i suffit d'être conscient pour éviter la répétition, autrement dit, pour éviter de connaître le même destin que celui des autres mortels. Quelle absurdité! Et pourtant, séparer la connaissance du corps, lui attribuer un pouvoir magique - il suffirait de savoir pour métamorphoser le destin - n'est pas une idée si stupide.