Clara admirait le courage et la persévérance de ces femmes, dont certaines étaient ouvrières, d'autres contremaîtres et même cadres, mais toutes moins favorisées et moins libres qu'elle. Ces femmes aux élans brisés, usées petitement, au jour le jour, par toutes les pesanteurs de la vie quotidienne, les maris, les enfants, les grands-parents, la maison, l'usine. Quand elles essayaient de "se libérer", elles se retrouvaient plus d'une fois sans la situation du prisonnier qui creuse patiemment un tunnel avec une cuillère à café, pour déboucher finalement dans le bureau du gardien-chef.
Clara avait mis plusieurs mois à le pousser dehors. La séparation la faisait souffrir mais elle ne supportait plus la vie commune. Didier la savait vacillante, il était convaincu qu'elle céderait. C'était un fidèle dans l'infidélité. Il adorait sa femme à la maison et aimait toutes les autres à l'extérieur.
Marie-Pierre, avait fait remarquer à Clara que l'adjectif "ambitieuse" appliqué à une femme était péjoratif, alors que parler d'un homme était laudatif.
A l'appui de ces propos, elle citait volontiers ceux d'une politicienne en vogue, haut fonctionnaire de l’État, parlant des voies et moyens de la réussite des femmes dans leur métier :
"Elles peuvent arriver à tout, partout, à condition de ne pas dévoiler leur jeu. Dès qu'elles manifestent ouvertement leurs intentions, elles se font irrémédiablement barrer."
"S'éclater de temps en temps, sans aucune retenue, c'est vital pour nous, renchérit Paul. La société enferme les hommes dans un carcan. Elle les programme pour remplir sans faille un certain nombre de rôles qui ne leur conviennent pas forcément. Entre autres, assurer la sécurité financière et la promotion sociale d'une famille. Moi, par exemple, je suis sorti de pension pour entrer à la caserne. Ensuite j'ai épousé une femme qui avait tout planifié d'avance, nos enfants, ma réussite professionnelle, nos relations. Parfois, j'ai l'impression d'avoir passé la première moitié de ma vie en prison.
- Vous voyez un peu la chance que vous avez d'être tombés sur des femmes comme nous ! Indépendantes, pas pesantes, et finalement pas tellement exigeantes. Non seulement on ne se décharge plus sur vous des responsabilités pratiques, mais on les partage. Éventuellement même, on les assume complètement quand vous n'en pouvez plus, dit Marie-Pierre avec coquetterie en regardant Paul.
Les magazines féminins participent d'une vaste mystification : l'image idéalisée de la femme qui travaille. Le stéréotype de la femme bien dans sa peau, qui réussit dans son job, bonne épouse, bonne maîtresse de maison, bonne mère. Quel programme ! On pousse les femmes à vouloir tout en même temps mais la plupart n'ont ni la résistance physique, ni la force morale pour accomplir ce tour de force.
Depuis les années 80, ce sont les grands collectionneurs milliardaires qui lancent les artistes comme Eli Broad, les Floridiens Mera et Don Rubell, le Français François Pinault ou l'Anglais Charles Saatchi. Ils s'offrent les meilleures oeuvres des artistes qu'ils ont eux-mêmes contribué à lancer et donnent le ton à l'échelle de la planète.
Les grands collectionneurs sont devenus des personnages de la presse people, au même titre que les vedettes de cinéma de Hollywood ou de Bombay. La presse international suit leurs moindres faits et gestes, épie leur mode de vie et le répercute sur les lecteurs et les téléspectateurs du monde entier. Leurs choix artistiques influencent les directeurs de musées à la recherche de tendances. Par là, ils deviennent les garants de la qualité et de la cote des artistes qu'ils ont élus. Ils se liguent avec des musées pour qu'ils les exposent et les promeuvent, et avec les grands galeristes pour qu'ils les vendent.