Samuel de Champlain sut maintenir des relations étroites avec de nombreuses nations indiennes tandis qu’il fondait des colonies européennes permanentes dans le Nouveau Monde. Il vécut parmi les Indiens et passa une bonne partie de son temps avec eux, tout en contribuant à l’essor de trois populations et cultures francophones : les Québécois, les Acadiens et les Métis.
Après les délires de la rectitude politique, la haine idéologique, le multiculturalisme, le postmodernisme, le relativisme historique et les manifestations les plus extrêmes du cynisme universitaire, les historiens aujourd’hui redécouvrent les fondements de leur discipline avec une foi nouvelle dans les possibilités du savoir historique, et ce, avec des résultats surprenants.
Des générations entières d’auteurs ayant loué les qualités morales de Champlain, un retour de balancier était inévitable. La première moitié du XXème siècle avait mis à la mode le révisionnisme irrévérencieux (debunking). Pour ceux qui le pratiquaient, les apparences n’étaient que mystifications. La réalité était sous-jacente, et elle était immanquablement honteuse. L’idéalisme n’était plus de saison. Le révisionnisme était un genre souvent pratiqué dans la joie qu’éprouvent les marchands de canulars, avec un sourire entendu. On se plaisait tout à coup à éclabousser les figures de proue qui avaient été des héros et des saints aux yeux des générations précédentes. En ce sens, Champlain était une cible rêvée.
S'il vaut le coup de faire de l'histoire aujourd'hui, il ne faut pas la comprendre en termes d'historicité sans utilité, ou d'utilité sans historicité. En revanche les deux qualités doivent être combinées. Le problèmes avec des historiens professionnels c'est qu'ils ne sont pas assez professionnels, et pas assez historiens. S'ils veulent être utiles comme historiens il faut qu'ils raffinent leur discipline professionnelle, plutôt que de la diluer.
Bishop n’a pas manqué de signaler les défauts de Champlain, qu’il jugeait liés à son idéalisme. « Il était un peu à l’écart de se contemporains. Il n’était pas assez rusé pour déjouer la ruse […] il rêvait en précurseur, son rêve était sa passion, et il avait le caractère qu’il fallait pour réaliser sa passion. » Bishop revient sans cesse sur la principale qualité de Champlain : « La marque de son caractère, telle qu’elle s’était épanouie dans la guerre, l’aventure et la privation, était la force d’âme. » Il explique : « Dans mon vocabulaire, la force d’âme [fortitude] arme l’homme qui a un but. Champlain avait cette force d’âme. Les autres se lamentaient, il avançait ; ils reculaient, il persévérait ; ils mourraient, il s’accrochait à la vie. Il était doué d’une force physique hors du commun, car il fallait un homme d’une endurance extraordinaire pour survivre à toutes ces épreuves. Sa force était également morale, car il fut en butte toute sa vie à la lâcheté, la mesquinerie, la cupidité, la sensualité. » Et Bishop de conclure : « Une vie marquée par la force d’âme est chose noble à voir. » Il voyait en Champlain un modèle pour ceux et celles qui vivent dans des époques troublées.
Champlain était un amant de la mer, même s’il la savait dangereuse. En navigateur aguerri qu’il était, jamais il ne médisait de la mer, il respectait trop sa puissance. Son traité sur la navigation regorge d’avertissements sévères et de leçons apprises à la dure. Dans plus d’un passage de ses journaux, il a décrit ses affrontements avec les glaces et les brumes de l’Atlantique Nord, les étocs et les hauts-fonds des côtes traîtresses, les ouragans des Caraïbes, les nordets du golfe du Maine, les suroîts du golfe de Gascogne. Il avait vu les vagues gigantesques du Grand Banc et ces grains blancs qui surgissaient sans prévenir de l’océan sous un beau ciel bleu. Il s’était buté à des marées et des courants qui défiaient l’entendement et aux hauts-fonds de quatre continents. Fréquemment, dans ses relations, il s’étonne d’être encore en vie alors que tant d’autres grands navigateurs ont péri en mer.
De 1599 à 1633, il traversa l’Atlantique au moins vingt-sept fois et fit des centaines d’autres voyages sans jamais perdre un navire.