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Citations de David Ignatius (43)


Ils sont presque arrivés chez eux. Karimullah court devant pour prévenir leur mère qu’ils sont de retour et qu’elle peut préparer le repas. Le jour se meurt. Les montagnes sont roses là où le soleil frôle encore les crêtes, lie-de-vin et noir cassis dans les creux. Le ciel est d’un bleu sombre et froid ; la lune s’est levée, mais les étoiles n’ont pas encore fait leur apparition. Omar lève la tête par réflexe. Le ciel est vide, pense-t-il. Puis il aperçoit un éclat métallique dans un dernier rayon de soleil, à peine une tête d’épingle. Il appelle son jeune frère, mais celui-ci est trop loin pour l’entendre. Les invités arrivent déjà : leurs camions sont garés devant le mur qui ceint le groupe de bâtiments où vit sa famille.

C’est impossible, pense Omar. Ces démons ne s’en prendront pas aux miens. J’ai essayé de les aider. Même mes frères et les autres combattants : qu’ont-ils fait à l’Amérique ?
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Karimullah chuchote à l’oreille de son frère. Il a un secret. Il l’entraîne le long d’un sentier en dents de scie jusqu’à un avant-poste abandonné par les Frontier Corps et réinvesti par les jeunes guerriers. Ils disposent d’un simple stand de tir où s’entraîner avec leurs kalachnikovs et d’une pièce où ils font de la musculation pour devenir plus forts. Omar met son frère en garde. Ces Américains sont dangereux. L’attaque de leurs tours à New York les a rendus fous.

Oui, Karimullah sait. Nazir et lui n’ont pas peur de ces moitiés d’hommes d’Amérique. Il répète un dicton pachtoune que Hadji Mohammed a enseigné à ses fils : « Celui qui est déshonoré aujourd’hui est perdu demain. »
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Ils redescendent à présent de la crête. Karimullah porte le fusil dont il ne se sépare jamais. Un oiseau vient de s’envoler des broussailles et file vers eux. Le jeune homme le met en joue et pourrait l’abattre en un clin d’œil ; il ne rate jamais son coup. Mais il abaisse son arme et sourit à son frère : qu’avons-nous à reprocher à cet oiseau ?

Omar regarde à nouveau la vallée, les arbres fruitiers et les potagers que son père a cultivés à la sueur de son front. Je suis le fruit, songe-t-il. J’ai grandi dans ce lieu afin de pouvoir m’en échapper. Tous ces après-midi passés dans la cour, enfant, à jouer avec des chiffres tandis que son père, Hadji Mohammed, se demandait si son fils aîné était tout à fait normal. Toutes ces nuits blanches avec des calculs illuminant l’intérieur de sa tête comme des guirlandes électriques. Tous ces matins sans personne à qui en parler : ils avaient été autant de signaux annonçant sa fuite à venir. Un jour, il avait tenté d’expliquer à un ami américain à quoi avait ressemblé son enfance dans ce village, mais l’homme, mathématicien lui aussi, s’était contenté de rire sans comprendre.
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Avant le dîner, Omar et son plus jeune frère Karimullah sont partis marcher dans les montagnes qui surplombent la ville. Approchant de la quarantaine, Omar est désormais un citadin dont les genoux craquent quand il escalade le versant escarpé et qui peine à reprendre son souffle une fois au sommet, à l’abri derrière un maigre fourré d’acacias épineux. Karimullah est agile, trop selon son frère. Des années de guerre dans ces montagnes l’ont rendu sec, tout en muscles et en os. Le gamin a des allures de loup : le visage étroit, impitoyable, avide de sang.

De là-haut, Omar contemple sa vallée rocailleuse. Les hauts pins adoucissent le paysage ; ils masquent les rochers, les champs dévastés, les cratères de bombe. Dans le lit de la rivière qui longe le pied de la montagne, il ne coule plus qu’un mince filet d’eau, juste suffisant pour irriguer la haine mais rien d’autre. Ceci n’est pas ma terre, pense-t-il. Plus maintenant. Omar a fui dans un autre monde où ces montagnes arides sont considérées comme une zone de feu à volonté et où les réseaux sociaux ne sont pas les liens étroits du sang et de la tribu mais des relations générées par une machine.
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Makeen, Waziristan du Sud

C’est la dernière nuit d’Omar à Makeen. Il dînera en famille puis repartira pour Islamabad et son laboratoire d’informatique tandis que ses frères Nazir et Karimullah retourneront à leurs combats. Les invités arabes réfugiés en ville se joindront au repas et le malik passera dans la soirée faire ses adieux à Ustad Omar, comme on l’appelle ici. « Maître » Omar, celui qui a visité des lieux comme Dubaï et Londres, que les gens de Makeen peuvent à peine imaginer.
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Souvent les grandes décisions dans la vie ne sont pas du tout des décisions. Elles sont le fruit des circonstances. Ces dernières génèrent leur propre énergie et deviennent difficiles à arrêter ou à infléchir. Alors, elles se transforment en habitude. Beaucoup de mariages, de choix de vie ou de carrières découlent de ces circonstances. Nous appelons cela des décisions mais elles nous arrivent pré-fabriquées, lorsque tout est déjà joué.
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Le plan de redressement avait secoué tout le monde. L'immortalité était un des attributs de la presse : la valse incessante des événements et la transcendance de la vérité garantissaient notre pérennité. Mais nous découvrions notre côté mortel, terrestre - en un mot, purement commercial. Les investisseurs, les acheteurs et les profits assuraient maintenant notre survie. Nous n'étions pas préparés à être mortels.
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Avec l’argent, elle allait pouvoir trouver un nouvel appartement, où elle pourrait rester assise dans son fauteuil à regarder le soleil se coucher sur les collines. Elle était tellement fière de lui, maintenant qu’il avait réussi. C’était un très bon fils, Dieu en soit remercié. Il incarnait le rêve d’une mère. C’est Dieu qui le lui avait envoyé. Elle pleurait. Lorsqu’elle lui dit au revoir, Mustapha pleurait, lui aussi. De joie, parce qu’il avait parlé à sa mère, mais aussi de douleur, parce qu’il avait compris qu’il était piégé.
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- Cette fois, c'est vous qui me posez une énigme. Quelle est la hauteur du ciel? Quelle est la profondeur du puits? Qui le sait?
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Le général Malik n’était pas un homme imposant, du moins comme on l’attendrait d’un officier de son grade. Mince, avec une moustache soignée, il surveillait ce qu’il mangeait et buvait au point de passer pour pointilleux. Il avait des mains douces et des manières réservées. On oubliait aisément qu’il était en réalité un menteur professionnel qui ne disait toute la vérité qu’à son commandant, le chef d’état-major.

Par cet après-midi printanier, le général Malik avait un souci qu’il ne savait pas trop comment aborder. Le brigadier qui assurait la liaison avec son service à Karachi l’avait appelé pour l’avertir d’un problème potentiel. Certes, le Pakistan connaissait toutes sortes de problèmes petits et grands, mais les plus grands de tous étaient souvent associés aux mots « États-Unis d’Amérique ». En effet, on disait, non sans raison, que la vie pakistanaise était régie par les trois A : Allah, Armée, Amérique. Or, dans les nouvelles du brigadier de Karachi, les trois ne faisaient qu’un.
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À l’intérieur de cette maison des secrets, le bureau du directeur général donnait sur un jardin clos. Depuis quelques années, le poste était occupé par un homme posé nommé Mohammed Malik. Il portait sur ses épaulettes l’insigne au croissant et aux épées croisées de lieutenant général. Toutefois, il ne tenait pas son autorité de son rang militaire mais de son contrôle de l’information. Dans presque toutes les situations, le général Malik en savait plus que n’importe qui autour de lui, même s’il mettait un point d’honneur à ne pas étaler ses connaissances et à ne jamais divulguer comment il les avait obtenues. Cela aurait été dangereux et, pire encore, impoli.
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Dans la lumière tamisée d’un autre après-midi, près de deux ans plus tard, le siège de l’ISI paraissait presque accueillant. La Direction du renseignement inter-services était logée dans un bâtiment anonyme en stuc gris situé dans le quartier d’Aabpara, en retrait de la grande route menant au Cachemire, le Kashmir Highway. Son seul trait distinctif était un ruban de pierres noires bordant la façade, lui donnant une allure de paquet-cadeau. En dépit de l’absence d’indications, la présence de l’ISI dans le coin était un secret de polichinelle. Les Pakistanais travaillant dans les autres branches de l’armée surnommaient ses membres « ceux d’Aabpara », comme s’il s’agissait d’un gang de quartier qu’il fallait traiter avec un certain respect. Les autres Pakistanais évitaient purement et simplement d’en parler.
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On l’appelle « ustad », le savant. En réalité c’est un fantôme. Il voyage dans le golfe Persique et en Europe. Il est si svelte et dans une telle forme physique qu’il pourrait courir un marathon ou entrer dans un monastère. Il se trouve de nouveaux amis utiles. Il reste de nombreux mois avant le début de notre histoire, mais il est motivé par une pensée : ceux qui se croient en sécurité doivent savoir ce que signifie d’être traqué.
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Il n’exerce pas sa vengeance d’une manière immédiate, viscérale, comme l’aurait fait son frère Karimullah. Il retourne à l’université des sciences et technologies. Ses plaies physiques cicatrisent et il ne parle jamais de ce qu’il s’est passé à Makeen. Il poursuit également son travail de consultant auprès des départements informatiques de banques à Dubaï et à Genève. Il entretient ses autres contacts hors du pays, avec les amis qu’il a rencontrés en Californie. Les gens le présentent aux étrangers comme un modèle pour l’avenir des régions tribales : un homme brillant, de classe mondiale pourrait-on dire ; un enfant du Waziristan du Sud qui démontre qu’il est possible d’échapper au code tribal.
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Laissez-moi mourir, pense Omar. Puis, au cours des heures, des jours, des années qui suivent, une autre idée naît dans son sang et ses nerfs plus que dans son esprit : laissez-moi avoir l’honneur qui est badal, l’insulte qui répond à l’insulte. Il ne l’entend pas d’une manière générale mais dans un sens très particulier. Ceux qui commandent les drones appartiennent à la CIA, Omar le sait très bien. Il en sait trop sur eux. Il ne suffit pas de les haïr, il veut les dominer et les faire vivre dans la peur.
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La douleur le sort de sa torpeur et il comprend qu’il est toujours en vie. Il a plusieurs os brisés et le corps couvert d’entailles. Il crache de la poussière et du sang. Quand il rouvre les yeux, le monde dans lequel il a grandi a été détruit. Des maisons de sa famille, il ne reste que des décombres fumants. Il aperçoit des fragments de corps à quelques mètres et entend les cris des blessés. Il tente de se relever mais ses jambes ne supportent plus son poids.
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Une détonation ; un flash de soufre blanc. L’air est aspiré dans la gueule de l’explosion et une boule de feu s’élève à la hauteur des montagnes environnantes. La puissance du souffle projette Omar dans les airs comme une motte de terre. Il reste inconscient un moment puis, quand il revient à lui, il n’entend ni ne voit rien. Il se croit mort. Le monde est blanc et il est heureux d’être parti.
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Ce n’est pas en discutant que vous allez vous sortir de la merde, avec des gens comme ça. Tirez d’abord. Ils ne respectent que ça. N’essayez pas de faire le malin. Oubliez votre niveau en arabe, et tâchez d’en descendre un maximum, c’est la seule solution.
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Il était fasciné par ces images, qui normalement n’étaient visibles que pour un faucon ou pour un aigle. C’était là que résidait tout le génie des services secrets américains : dans leur capacité à faire voler leur oiseau de proie mécanique au-dessus du terrain le plus hostile au monde. Et l’ultime folie tenait au fait que, la plupart du temps, celui-ci ne savait même pas ce qu’il recherchait. Un oiseau à la vue parfaite mais sans cerveau.
Alimenter la machine. Ferris comprenait maintenant ce que Hoffman avait en tête lorsqu’il lui avait confié cette mission. Son rôle était de fournir des informations fiables, pour que les contrôleurs sachent où envoyer le drone ; pour qu’ils sachent qui se cachait dans cette berline qui longeait la frontière syrienne, pour qu’ils sachent à bord de quel bus bringuebalant voyageait le dernier groupe de djihadistes partis de l’aéroport de Damas pour rejoindre leur planque de la banlieue de Bagdad, pour qu’ils connaissent la marque et l’immatriculation de la voiture cabossée que conduisait le chef des opérations.
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Nous lui avons fait de nombreux cadeaux et nous lui avons dit que ces cadeaux venaient de son fils, qu’elle adore. C’est une hasanna, que nous avons faite, une bonne action.
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