Emmanuelle Guattari - Victoria Bretagne .
Emmanuelle Guattari vous présente son ouvrage "Victoria Bretagne" aux éditions
Mercure de France. Rentrée littéraire janvier 2016. Retouvez le livre : http://www.mollat.com/livres/guattari-emmanuelle-victoria-bretagne-9782715241749.html Visitez le site : http://www.mollat.com/ Suivez la librairie mollat sur les réseaux sociaux : Facebook : https://www.facebook.com/Librairie.mollat?ref=ts Twitter : https://twitter.com/LibrairieMollat Instagram : https://instagram.com/librairie_mollat/ Dailymotion : http://www.dailymotion.com/user/Librairie_Mollat/1 Vimeo : https://vimeo.com/mollat Pinterest : https://www.pinterest.com/librairiemollat/ Tumblr : http://mollat-bordeaux.tumblr.com/ Soundcloud: https://soundcloud.com/librairie-mollat Blogs : http://blogs.mollat.com/
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C’est comme ça grandir, au bout d’un moment comme une viande attendrie on veut bien faire ce qu’on nous demande.
Ma mère nous lisait Alice : après la rencontre avec le chat, elle aussi prenait le thé chez les Fous.
Ma mère a disparu de ma vie comme une bulle de savon qui éclate.
Je me tiens depuis devant cette nouvelle illusion.
Parfois, j'ai envie d'avancer la main pour battre l'air et sentir cette nouvelle image.
Comment est-ce possible ? Elle était là. Elle n'est plus là. Mais où est-elle ?
Et puis un jour en regardant l'avenue et la ville par la fenêtre, j'ai vu le ciel s'écraser sur le sol.
Un énorme étau et j'ai été prise de vertige : nos morts ne sont-ils pas là, juste derrière cette sorte d'écran, celui qui s'allume devant nos yeux. Je serre fort les paupières. J'attends. Puis je regarde ; non, je ne vois pas les morts. Je me retourne, ma mère n'est pas là.
Je demande au Gouvernement des morts à passer un petit moment avec ma mère. Je ne demande pas grand-chose, juste un quart d’heure. Je me suis dit qu’il fallait insister. Je le demande chaque jour.
Nous glissons dans une barque dans la fraîcheur délicieuse du Loir. Les ramures tissent une treille, les troncs proposent leur ombre rafraîchissante.
Les parents rament dans un bel accord. Nous laissons traîner nos mains dans l'eau. Il y a une petite odeur de vase et d'eau verte.
Nous sommes dans le monde de la rivière ; c'est un point de vue sur les choses, on y existe autrement, porté par le cours d'eau, perçant avec lui une échancrure dans l'épaisseur du réel.
Nous traînions notre enfance au milieu des adultes. Sans bien tout comprendre. Un somnambulisme, dans les paroles et l'épaisse couche de fumée de cigarettes.
A force, les enterrements, ces dernières années, sont devenues des opérations de survie, même à mon âge. Survivre aux températures en hiver, à taper du talon autour des gars des entreprises de pompes funèbres, survivre aux canicules en été dans les rallonges de cimetières où les arbres n'ont pas eu le temps de pousser, se sentir survivre, enfin, d'être encore là.
J'étais prête à faire un marché avec la vie : prenez-moi dix ans, pour un quart d'heure de parloir avec ma mère.
Sur les cartes murales en relief de l'école, le monde est vieux, tout plissé comme le visage des vieux.
À l'époque les gens mouraient plutôt à soixante ans. A quarante, ils disaient :
- Je vieillis.
À soixante, ils disaient :
- Je suis vieux.
Ensuite ils mouraient.
Le réel, le monde tangible. Le décor pratique, celui qui fait la toile de fond de notre présence au monde.
Celui que les enfants ne gouvernent pas et que leur organisent les adultes ; leur frénésie de tuteurs affairés et pressés, souvent irascibles au moment des transitions vers d'autres univers. Leur mécano quotidien, qui a souvent pour public la distraction des petits.
La noria de gestes refaits chaque jour.
Les gestes opiniâtres et répétitifs, le corset de nos jours. La Maison. L'école.