Citations de Emmi Itaranta (27)
De tous les éléments, l'eau est le plus changeant. (…) L'eau monte avec la lune et embrasse la terre, elle ne craint pas de mourir dans le feu ou d'habiter l'air. Quand on entre dans l'eau, elle se fait tout proche contre notre peau, mais quand l'on s'y jette, elle se brise en éclats.
Puis cela devenait le récit de vérités fabriquées, des mensonges assénés, d'une histoire à jamais déformée : des livres qui s'effritent dans la vase, deviennent une boue de papier et sont remplacés par des livres textés, aisément retouchables ; tout événement peut désormais être effacé de la mémoire du monde en quelques clics sur des boutons, jusqu'à ce que soit gommée toute responsabilité quant aux guerres, aux catastrophes ou à la disparition des hivers.
- Si vous ne croyez pas aux récompenses, si vous savez que votre pouvoir, lui aussi, disparaîtra, à quoi bon vous l'accaparer, à quoi bon en user pour des choses que vous savez injustes ?
Ma question ne le déstabilisa pas. Il garda le silence. (…)
- Parce que s'il n'y a rien d'autre que tout ceci, dit-il enfin, j'ai tout intérêt à en profiter pendant que c'est là.
Il n'y a que des évènements, autour desquels les hommes construisent des récits afin de mieux les comprendre.
Trop nombreux sont les récits qui disparaissent, et trop rares sont, parmi les récits qui subsistent, ceux qui disent vrai.
De tous les silences, celui-ci était le plus lourd, le plus inévitable : après le silence des secrets, je découvrais le silence de la connaissance.
Quand est violée la chrysalide de silence qui entoure un secret, elle ne peut plus se reformer. Les fissures s'élargissent, s'étendent et se ramifient comme un mycélium ; impossible de dire ensuite où elles ont pris naissance et si elles ont une fin.
Il y a loin des rêves aux paroles, et aussi loin des paroles aux actes.
Le silence n'est pas quelque chose d'immatériel ou de vide, une parenthèse qui enchaînerait des choses inoffensives. Souvent, il recèle des forces capables de tout briser.
La mort est une alliée de l'eau. On ne peut les dissocier l'une de l'autre, et aucune ne peut être dissociée de nous, car c'est d'elles deux que nous sommes faits : fugacité de l'eau, immanence de la mort. L'eau n'a ni commencement ni fin, tandis que la mort connaît l'un et l'autre. Ou plutôt, la mort est l'un et l'autre. Parfois, la mort escorte l'eau, et parfois l'eau fait fuir la mort, mais toujours elles cheminent ensemble, dans le monde et en nous.
De tous les éléments, l'eau est le plus changeant. Elle ne craint pas de brûler dans le feu ni de s'évaporer dans le ciel, elle n'hésite pas à se briser sur des roches tranchantes ou à s'évanouir dans le noir manteau de la terre. Elle est au-delà de tout commencement et de toute fin. (…)
La mort est une alliée de l'eau, et aucune des deux ne peut être dissociée de nous, car nous sommes fugaces comme l'eau, et dans le voisinage constant de la mort. L'eau ne nous appartient pas, c'est nous qui lui appartenons : une fois qu'elle s'est écoulée de nos pores, nos doigts, nos corps, plus rien ne nous distingue de la terre.
Malgré mes rêves sur l'hiver et ma nostalgie d'une neige que je n'avais jamais connue, je n'avais jamais mis en doute ce qu'on m'avait appris à l'école ni ce qui était écrit dans les livres. Ce qu'on tenait pour la vérité était évidemment la vérité et tout le reste n'avait aucune importance. Et si j'avais tort ? Si les récits qui nous étaient parvenus n'étaient que des fragments ternis d'un miroir déformant ? Ou pis : si quelqu'un avait brisé le miroir exprès, pour troubler le reflet ?
L'obscurité, je connaissais : chaque automne, au moment de la fête lunaire, le jour et la nuit se rencontraient pour échanger leurs places, et l'année entrait dans l'hiver.
J'avais rappelé à mon père que l'imperfection, l'usure et le changement faisaient partie intégrante de l'art du thé, et qu'il fallait leur accorder autant de prix qu'à la perfection et à la pérennité.
Elle fait de mauvais rêves sur un lieu où l'ennui pénètre les membres et se condense sur les vitres, où le désir de courir libre et de sentir le sel marin sur son visage rend l'air amer à respirer, et la peur rampe, massive, sur le sol.
L'eau monte avec la lune et embrasse la terre, elle ne craint pas de mourir dans le feu ou d'habiter l'air. Quand on entre dans l'eau, elle se fait toute proche contre notre peau, mais quand l'on s'y jette, elle se brise en éclats.
Quel plaisir y avait-il à connaître la composition d'un cristal de neige, si l'on ne pouvait sentir sur la peau sa froideur , ni percevoir dans les yeux son éclat ?
On ne peut pas faire confiance au temps. Quelques semaines peuvent sembler un début d'éternité, et il est facile de vivre dans cette illusion.
Nous sommes des enfants de l'eau , et la mort est une alliée de l'eau. Impossible de les dissocier de nous: nous sommes fugaces comme l'eau, et dans le voisinage constant de la mort. L'eau et la mort vont toujours de concert , dans le monde comme en nous. Et il viendra un temps où l'eau qui coule dans notre sang s'asséchera.
Ces éclats d'une vie enfuie depuis si longtemps s'évadaient des pages jaunies si lumineux, si nets et colorés, que je ne pouvais plus m'en détacher. Les os de ce maître de thé, et l'eau qui avait coulé dans son sang, étaient retournés à la terre et au ciel dans des temps anciens, mais ses paroles et ses écrits vivaient, respiraient. En les lisant, j'avais le sentiment de vivre et de respirer moi-même de façon plus vraie, plus pleine.
Je n'arrivais pas à discerner les mots et cependant, j'en devinais la couleur sombre et acérée, qui pénétra jusque dans mes rêves.