De tous les éléments, l'eau est le plus changeant. (…) L'eau monte avec la lune et embrasse la terre, elle ne craint pas de mourir dans le feu ou d'habiter l'air. Quand on entre dans l'eau, elle se fait tout proche contre notre peau, mais quand l'on s'y jette, elle se brise en éclats.
Puis cela devenait le récit de vérités fabriquées, des mensonges assénés, d'une histoire à jamais déformée : des livres qui s'effritent dans la vase, deviennent une boue de papier et sont remplacés par des livres textés, aisément retouchables ; tout événement peut désormais être effacé de la mémoire du monde en quelques clics sur des boutons, jusqu'à ce que soit gommée toute responsabilité quant aux guerres, aux catastrophes ou à la disparition des hivers.
- Si vous ne croyez pas aux récompenses, si vous savez que votre pouvoir, lui aussi, disparaîtra, à quoi bon vous l'accaparer, à quoi bon en user pour des choses que vous savez injustes ?
Ma question ne le déstabilisa pas. Il garda le silence. (…)
- Parce que s'il n'y a rien d'autre que tout ceci, dit-il enfin, j'ai tout intérêt à en profiter pendant que c'est là.
Quand est violée la chrysalide de silence qui entoure un secret, elle ne peut plus se reformer. Les fissures s'élargissent, s'étendent et se ramifient comme un mycélium ; impossible de dire ensuite où elles ont pris naissance et si elles ont une fin.
Il n'y a que des évènements, autour desquels les hommes construisent des récits afin de mieux les comprendre.
Trop nombreux sont les récits qui disparaissent, et trop rares sont, parmi les récits qui subsistent, ceux qui disent vrai.
La mort est une alliée de l'eau. On ne peut les dissocier l'une de l'autre, et aucune ne peut être dissociée de nous, car c'est d'elles deux que nous sommes faits : fugacité de l'eau, immanence de la mort. L'eau n'a ni commencement ni fin, tandis que la mort connaît l'un et l'autre. Ou plutôt, la mort est l'un et l'autre. Parfois, la mort escorte l'eau, et parfois l'eau fait fuir la mort, mais toujours elles cheminent ensemble, dans le monde et en nous.
De tous les silences, celui-ci était le plus lourd, le plus inévitable : après le silence des secrets, je découvrais le silence de la connaissance.
Il y a loin des rêves aux paroles, et aussi loin des paroles aux actes.
Le silence n'est pas quelque chose d'immatériel ou de vide, une parenthèse qui enchaînerait des choses inoffensives. Souvent, il recèle des forces capables de tout briser.
De tous les éléments, l'eau est le plus changeant. Elle ne craint pas de brûler dans le feu ni de s'évaporer dans le ciel, elle n'hésite pas à se briser sur des roches tranchantes ou à s'évanouir dans le noir manteau de la terre. Elle est au-delà de tout commencement et de toute fin. (…)
La mort est une alliée de l'eau, et aucune des deux ne peut être dissociée de nous, car nous sommes fugaces comme l'eau, et dans le voisinage constant de la mort. L'eau ne nous appartient pas, c'est nous qui lui appartenons : une fois qu'elle s'est écoulée de nos pores, nos doigts, nos corps, plus rien ne nous distingue de la terre.