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Citations de Ernest Pignon-Ernest (25)


Les moineaux ont quitté Paris parce que dans la ville enrichie, sans cesse ravalée, il n'y avait plus de trous où nicher dans les creux des enduits, plus de pierres descellées, de souches de cheminées, plus de fissures. Le moineau parisien s'identifiait avec l'idée d'une capitale printanière et insouciante. Et avec celle de peuple. Tout particulièrement avec la figure du gamin. Déjà dans Les Misérables : Paris a un enfant et la forêt un oiseau; l'oiseau s'appelle le moineau l'enfant s'appelle le gamin. » Hugo se trompe, le moineau, ce passereau justement appelé Passer domesticus, n'est pas un habitant des forêts mais peu importe. Ensuite dans la chanson de Pellegrin (1924) : « J'suis I'moineau, j'suis l'titi/J'suis l'gamin d'Paris. » Puis chez les photographes humanistes : Doisneau, lui-même tête de piaf.
Les moineaux sont partis, en même temps que ce que l'on appelait donc le peuple de Paris. Les uns et les autres ont migré au cours du dernier demi-siècle, comme ils ont quitté Londres et quantité de villes, souvent pour se réfugier en banlieue. Ils ont, dans leur déplacement, abandonné les quartiers riches d'abord, ceux de l'ouest. comme s'ils fuyaient la hausse des loyers. Les moineaux ont quitté la ville quand tant d'autres l'évacuaient. Comme « nos frères gitans de Saint-Ouen », partis « sans crier gare » dans la chanson de Caussimon et Ferré. Et comme les hirondelles, « à tire d'aile et sans retour/Paris n'en avait plus besoin ». On connaît cette ritournelle. lI y a longtemps qu'est apparu, dans la conscience de l'Occident, ce paysage du mur mis à nu, porteur de fragments de décors délavés, de traces de vies humaines, qui nous bouleverse encore. Pas tant celui de la ruine, qui tient de l'antique et qui nous parle de l'Histoire, du destin des civilisations, mais celui du simple mur, le mur du fond, le mur-de-refend lorsque, suite à la destruction d un immeuble, il expose T'intimité des anciens occupants en même temps que l'anatomie du batiment, dans une sorte de dissection macabre. On imagine quelle longue période, quelle conjonction de facteurs il fallut pour que, vers le milieu du XIXe siècle cela devienne un thème de l'esthétique.
(...)
C'est dans cette atmosphère que sont apparus il y a plus de quarante ans certains travaux anciens d'Ernest Pignon-Ernest. Ce couple de 1979, par exemple, ces deux figures debout, un homme, une femme, avec valise et matelas roulé sous le bras. Cela se passait à Montparnasse, ou bien autour de l'avenue d'Italie, des fronts de l'urbanisme de ces années-là. Sur une photographie de l'époque, on perçoit le chantier de l'hôtel Sheraton. Sur une autre, sous les affiches lacérées, un slogan à la bombe : « Halte à la rénovation». Ernest a depuis collé ses protestations sur tant de murs, les bossages baroques de Naples, les parois de brique, de parpaing, de plâtre éclaté, d'enduit de ciment, de peinture écaillée, les murs crépis et décrépis, les murs fanés, les ocres d'Italie, ou bien les soubassements de meulière, au ras du trottoir, du caniveau, les surfaces de tôle ondulée, rouillée, de Brest. En tel nombre qu'on a pu en oublier les diverses circonstances. Et puis les territoires de l'exil se sont à nouveau déplacés. Vers l'est encore, alors que la municipalité avait fait un mot d'ordre de la « conquête de l'Est ». Les grateurs, les tagueurs, les fresquistes des années 1980 eurent affaire à Belleville, à Ménilmontant : ils y trouvèrent les mèmes moellons, les mêmes restes de papier peint, de carrelage de cuisine et de salle de bains, les mêmes boisseaux de cheminées en terre cuite ruisselants de goudron. Et leurs travaux sont devenus comme une sorte de chiendent, de végétation spontanée des lieux à l'abandon. Les figures inspirées des Shadoks, l'homme blanc, les pochoirs, les silhouettes à chapeau et manteau noir, les hippopotames et parapluies ouverts se sont mêlés aux arbres à papillons et aux ailantes, ces vieux compagnons des ruines.
Peut-être sera-ce bientôt la fin d'un genre. Il n'y a plus guère de ruines aujourd hui. Intra-muros, du moins. Plus de terrains vagues, plus d'interstices où loger moineaux, classes pauvres et sans-logis. Moins d'hospitalité. Voilà ce que nous dit le chant du mur, du mur-pignon, du mur-de-refend, du mur sans défense.

François Chaslin - Ernest, les pignons de l'exil
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Marie-Claire se réveille brutalement. L'angoisse l'étouffe. Elle rejette son drap. Un liquide poisseux l'inonde, un sang noir s'écoule entre ses cuisses.
Elle s'affole. Elle appelle. Dans le lit voisin, ses petites sœurs dorment. Dans la chambre à côté, Michelle, sa mère. Elle ne l'entend pas.
Marie-Claire glisse du lit. Elle sanglote. Elle va mourir. La sonde l'a sans doute déchirée. Elle se couche sur le sol. Elle n'ose plus bouger. Elle s'efforce de crier plus fort. Les petites bougent un peu, dans le lit voisin. Elle crie. Et Michelle, réveillée en sursaut, entre dans la chambre, allume la grosse lampe du plafond. Sa fille est là, allongée, couverte de sang. Son visage gris, son corps immobile lui font craindre le pire. Marie-Claire gémit doucement.
Pas de téléphone. Personne à son secours. Un taxi ? Mais où ? Mais combien ?
Une couverture. S'habiller vite, très vite. Porter cette enfant - son enfant - qui saigne, dans la nuit.
« Tu n'as pas honte, à ton âge ? » Voix mauvaise du médecin des urgences. II approche les instruments. « Tu n'as pas honte : tu vas voir. Tu vas voir. » Douleur atroce. Va-t-elle mourir ? Devant le tribunal correctionnel de Bobigny, j'ai dit au juge pour la première fois de ma vie d'avocate que je me sentais, « toutes causes confondues, avocate et femme. Femme et avocate, car, messieurs, je suis une avocate qui a avortée ».
J'ai dit aussi que je n'avais jamais vu condamner des femmes de banquiers. Ou de politiciens, ou de vedettes, ou leurs maîtresses.
Au banc des accusés, toujours les plus déshéritées, toujours les plus vulnérables.
Le président à l'avorteuse: « Le spéculum, l'avez-vous mis dans la bouche de Marie-Claire ? » J'ai bondi : « Regardez-nous et regardez-vous. Quatre hommes pour juger quatre femmes. Quatre hom mes pour décrire nos utérus, peser nos désespoirs, décider de nos libertés ! »
Le délégué du conseil de l'ordre - procédure disciplinaire - accuse : « Vous avez porté atteinte à la dignité de la robe d'avocat. » Je proteste, j'explique , je suis une femme. « Non, une avocate n'avorte pas ! » Le conseil de l'ordre sanctionna. C'était en 1972.
Puis vint la loi de 1975 - autorisant I'IVG (interruption volontaire de grossesse). Et d'autres encore qui suspendirent puis abolirent celle de 1920 et sa répression.
Les femmes ont conquis une liberté: celle de donner (ou non) la vie. Mais l'exercice de ce choix devient de plus en plus difficile, faute de moyens. Les centres d'IVG s'éloignent, ferment. On est passés d'une liberté reconnue à un droit toléré, puis à un droit abstrait sans contenu.
Or une liberté sans les moyens de cette liberté, est-ce encore la liberté ? On le voit, on l'entend, la souffrance revient et le combat continue.

Gisèle Halimi - Malheur de femme
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Les morts de la Commune sur les escaliers du Sacré-Cœur plissés d'une peau qui les démultiplie; ils sont les géants uniques d'un peuple victime, endormi dans sa mort. Ils élargissent l'espace du meurtre, l'ouvrent à la conscience universelle. Les morts de la Commune sont les géants des origines. lls sont les symboles d'une fête sinistre dont les échos sont les tirs des fusils, la peau trouée des pauvres, le destin silencieux de ceux qui meurent pour tenir la place de tous. Chaque image naissant sur cette peau de morasse va vivre son destin qui est de se déchirer, de se fondre, de disparaitre, de mourir émiettée sur ce mur. Leur destin, leur mort les ont fossilisés. Ils appartiennent à la multiplication des formes, à ce qu'elles portent au-delà de ce quelles présentent ou représentent. Ils sont les unités d'une répétition tragique. Is font un jeu sinistre à la pliure des escaliers, agrandissent le lieu du drame à jamais.
Le Sacré-Coeur n'est plus le lieu du sacrifice; ses tourelles à la Sainte-Crème en dentelle rapetissent l'espace des morts qui ont agrandi le lieu du désastre et demeurent sous ce ciel la dérisoire offrande à un tourisme de passage en un lieu de mémoire où s'imposent l'arrêt, le silence, la paix des souvenirs.
Ces morts, tous les mêmes, repliés, allongés sur cet accordéon d'architecture monstrueuse, ensanglantée, tels qu ils étaient le jour où Ernest Pignon les a fait revivre couchés sur ces marches. Je me souviens encore de cette image géante, si surprenante, insistante, et ces morts remplissant les escaliers, ces hommes sacrifiés comme le furent plus tard, à l'échelle de nos drames, ceux de Charonne, comme si l'Histoire voulait se répéter et sur des escaliers encore, ceux du métro, des hommes, des enfants étouffés sous l'effet d'une charge de police, encore. L'Histoire recommence, n'en finit pas de finir.

Henri Cueco - Les escaliers du Sacré-Coeur
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Ernest Pignon-Ernest est un appeleur de fantômes.
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En laissant le trait en suspens sur la page ,le dessin a le pouvoir de figurer directement l'invisible. Là où le trait n'est pas allé ,là où il n'est plus visible.D'un mot ,le travail d'Ernest Pignon-Ernest fait du dessin un art du temps.
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