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Citations de Ernest Pignon-Ernest (25)


Ernest Pignon-Ernest
Au début il y a un lieu de vie sur lequel je souhaite travailler. J'essaie d'en comprendre, d'en saisir à la fois tout ce qui se voit : l'espace, la lumière, les couleurs et dans le même mouvement tout ce qui ne se voit pas, ne se voit plus : l'histoire, les souvenirs enfouis, la charge symbolique… Dans ce lieu réel saisi ainsi dans sa complexité, je viens inscrire un élément de fiction, une image (le plus souvent un corps à échelle 1). Cette insertion vise à la fois à faire du lieu un espace plastique et à en travailler la mémoire, en révéler, perturber, exacerber la symbolique…
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Ernest Pignon-Ernest
Je travaille sur les villes, ce sont mon vrai matériau, je m'en saisi pour leurs formes, leurs couleurs, mais aussi pour ce qu'on ne voit pas ; leur passé ou leurs souvenirs qui les hante.
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Ernest Pignon-Ernest
Mes sérigraphies sont imprimées sur du papier journal, chutes de rotatives. Quand on rencontre dans la rue cette pauvreté, cette vulnérabilité du papier est évidente. Même implicitement, quand on découvre le dessin on en perçoit le caractère éphémère, la fragilité. Sa disparition est inscrite dans l'image même, elle est comme une composante même du dessin. Si le dessin a ému, la perception simultanée de sa disparition programmée doit la rendre plus troublante.
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Ernest Pignon-Ernest
En fait depuis quelques années je crois que presque tous mes travaux naissent de la lecture des poètes. Je crois que c’est la poésie qui rend le mieux compte de notre temps. A la fois de la façon la plus aigüe à la plus sensible. C’est Franck Venaille, c’est Bobin, c’est André Velter, c’est les grands poètes contemporains.

[Extrait de l'entretien « Dans la bibliothèque d’Ernest Pignon-Ernest » France Inter - 2020]
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L'éphémère de Pignon-Ernest n'est pas nihilisme, mais découverte du moment de la réception de l'image par le spectateur qui passe. Changer la vie, disait Rimbaud ; cela peut se prendre en un sens révolutionnaire, mais aussi et plutôt en un sens poétique, cette poésie émigrant des livres et des musées pour métamorphoser l'espace commun.
-Extrait de la préface de Paul Veyne-
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Ernest Pignon-Ernest
C'est dans le non-visible que se trouvent souvent les potentialités poétiques les plus fortes.
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Ernest Pignon-Ernest
Les lieux sont mes matériaux essentiels, j'essaie d'en comprendre, d'en saisir à la fois tout ce qu'il y voit : l'espace, la lumière, les couleurs et, simultanément, tout ce qui ne se voit pas ou ne se voit plus : l'histoire, les souvenirs enfouis. A partir de cela, j'élabore des images, elles sont ainsi comme nées des lieux dans lesquels je vais les inscrire, (...) Cette insertion vise à la fois à faire du lieu un "espace plastique" et à en travailler la mémoire, en révéler, perturber, exacerber la symbolique, (...) Je ne fais pas des oeuvres en situation, j'essaie de faire oeuvre des situations.
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En 1980, des amis chiliens réfugiés à Paris me disent dans quel isolement survivent les artistes restés au pays, sous la dictature, et me demandent d'aller y travailler. J'y resterai quelques mois, en 1981, réalisant différentes images et essentiellement, au sein de l'atelier collectif de Bella Vista, un portrait en pied de Pablo Neruda.
Le tirage des premières sérigraphies avait créé une telle effervescence dans l'atelier que certains, malgré le climat de peur qui régnait alors à Santiago, avaient décidé que nous devions immédiatement aller coller la première épreuve devant la maison du poète, celle-là même qui avait été pillée lors du coup d'Etat en 1973 et qui l'avait vu mourir quelques jours après.
La veille j'étais venu montrer, avant que nous ne l'imprimions, le dessin définitif à Matilde Neruda. Je l'avais déroulé sur la longue table, face à elle immobile, belle comme Irène Papas, longtemps silencieuse... puis en français pesant chaque mot : « Pablo n'était jamais comme ça »... encore un silence qui me paru très long... puis : « Mais vous avez raison, vous avez raison, aujourd'hui il serait comme ça, grave et résolu. Venez on va boire un verre. Je vous ai dit qu'il n'était jamais comme ça car il riait toujours, mais aujourd'hui... Cest la dictature.»

Ernest Pignon-Ernest - Neruda
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Quel crédit accorder à un artiste (un écrivain aussi bien) qui ne toucherait à aucun moment de son art au cœur même de l'humain ? Qui ne serait cet archer qui annonce à sa façon, en poète qu'il est : « Et d'un oeil avisé nous mirons droit dans la rime.» Bonheur de l'anagramme : rime, mire (rima). Le cœur de l'humain ? Métaphore du romantisme à travers les siècles, pour reprendre le titre d'un livre de Philippe Muray qui désigne en vérité, comme nous le signifie un poème du XVIII siècle, le sexe, plus précisément le sexe de la femme. Le tireur à l'arc, chasseur de fauves : « Et nous mettons droit les yeux dans la fente/Et nous ne tirons jamais de coups décochés en vain. S'il est un artiste, poète et chasseur qui sait mettre droit les yeux dans la fente du réel, de tout le réel, c'est-à-dire dans le lieu où le réel s'ouvre pour délivrer son sens; s'il est un dessinateur qui ne tire jamais un trait décoché en vain, c'est bien Ernest Pignon-Ernest.
Archée : principe de vie, feu central de la terre. Viser le feu de la femme, c’est viser dans le même temps et plus fondamentalement le feu de la terre, le principe même de la vie. Titre du tableau de Courbet : L'Origine du monde. Le Vésuve sait faire jaillir sa rougeoyante semence sur Naples et la côte amalfitaine.
Zelda, épouse de Francis Scott Fitzgerald, dans une rue de Paris, brise la vitre d'une borne d'appel aux pompiers: « Vite, vite, venez Vite, jai le feu au cul ! »
Naples n'est pas choisi au hasard par Ernest Pignon-Ernest. Présence de Virgile, bien sûr, près de la tombe duquel, en manière d'hommage, il colle son dessin. C'est aussi la ville où Vivant Denon situe sa Belle Napolitaine vue de dos. Vue de dos mais, robe relevée, exhibant son magnifique cul, et la tête tournée, regard aguicheur, vers les mâles suiveurs, vers nous aujourd'hui, les voyeurs du dessin, vers ceux de demain, pour s'assurer auprès de nous, auprès d'eux, d'un effet maximum. Qui m'aime me suive ! Qui me suit me baise ! Force du dessin d'Ernest : il indique que le siècle libertin de Vivant Denon est loin, que le XIX° est passé par là. La femme, de face, exhibe son sexe mais détourne la tête, se cache les yeux. La culpabilité a fait son ouvrage, du coup, son sexe est d'autant plus en feu. Double effet d'obscénité, laquelle, selon Bataille, rend la beauté du sexe encore plus fascinante : la Napolitaine n'est pas nue et elle est velue. Pas nue. Bataille encore: « Je pense comme une fille enlève sa robe. » Ernest dessine comme une fille soulève sa robe. Le dévoilement est autrement plus érotique, plus scandaleux, que le déjà dévoilé. Velue. Présence taboue de l'animalité chez la femme. Breton n'est pas Bataille, on le savait. « C'est une honte, déclarait l'auteur de L'Amour fou (retour à grands pas du XIX siècle dans la poésie du XX), qu'il y ait encore des sexes non rasés. » Merci à Virgile, merci à Pignon-Ernest, d'avoir, chacun en leur temps, fouillé, tisonné les cendres de la honte pour ranimer les laves ardentes du sexe et de l'amour.

— Jacques Henric - Femme avec le feu entre les jambes
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Pour une fois, la cause et l'effet sont sur le même dessin. La flèche et le tympan. Nous sommes à Grenoble mais l'image ne nous le dit pas. Elle ne nous dit pas non plus qu'il sagit d'une sorte de commande sociale, d'un souci collectif. Le corps ouvrier est en butte aux « maladies professionnelles », aux « accidents du travail ». A l'usure, à la blessure, à la mort. C'est ce que l'on sait, c'est surtout ce que l'on oublie. Ne faut il pas que cette image-là soit affichée sur l'un ou l'autre de nos murs mentaux pour en décaper le crépi ou le vernis, ne faut-il pas que le trait de crayon rafraîchisse notre mémoire comme on ouvre une plaie ? La question n'a dautre réponse que la question.
(...)
C'est donc à Grenoble que cest affiché mais ça pourrait être partout. Partout, la fèche du son vrille le tympan. La flèche du sens, partout, épingle l'âme. Partout, la tête éclate de coups, le corps se tord sous le choc. Partout où ça ne se voit pas, c'est là. Ernest Pignon-Ernest œuvre ici à rendre visible ce qui ne se voit pas alors que ça se passe partout. Éclaterait-il, le tympan ne se voit pas. Qu'est-il d'autre, pourtant, qu'une feuille de papier déchirée par un coup de vent ? C'est exactement ce que dessine Ernest Pignon-Ernest : la déchirure est dessinée mais en même temps le papier est déchiré. Ceci nest pas une métaphore : il y a un trou dans le réel du papier. Le tympan est une peau, une membrane. Dessinée, la fèche est perçante. Sans doute déchire-t-elle cette peau fragile qu est le papier mieux que ne le ferait une flèche réelle d'une peau non moins réelle. Comme la peau est ici de papier, l'écorchure devient froissement : la ligne du corps, déjà, est brisée avant mème que papier, brisure du papier. Plus fragile que la peau, le papier collé par Ernest Pignon-Ernest est froissable, il est froissé, il nous vient avec ses lézardes, ses plis, ses frottis. La vie part en zigzag, la frappe de la mort. (...)
Nous sommes à Grenoble, des ouvriers sont malades, sont blesses. Accidents du travail. Le travail n'est pas un accident. Destin et dessin. Le dessin n'est pas le remède. L'exploitation n'est pas le destin. Le dessin nous fait sortir du contingent. Il écarte l'anecdote. Quelques fragments de nécessité viennent se briser sur le mur des villes laborieuses. La flèche semble n'avoir pas encore atteint sa cible, le tympan, la tête, le cou de l'homme, et pourtant il bascule en arrière. Ou bien elle l'a atteint, déjà depuis toujours. Ou bien elle ne l'a pas encore atteint, elle en est séparée quelques millimètres de crayon, de papier. Elle a percé et n'a pas percé. Les événements ici sont au passé ou au futur, ils ne sont pas au présent. Le dessin détient ce privilège de figer un instant du temps dont on ne peut pas vraiment savoir s'il est « avant », s'il est « après ». Avant quoi, après quoi ? lci, la mort est attendue, elle est en instance, figurale et non figurée. II y a un intervalle. Il y aura toujours un intervalle entre la flèche et la cible. La moitié d'un intervalle, la moitié d'une moitié, etc. En laissant le trait en suspens sur la page, le dessin a le pouvoir de figurer directement 'invisible. Là où le trait nest pas allé ; ou, s'il y est allé, là où il n'est plus visible. D'un mot, le travail d' Ernest Pignon-Ernest fait du dessin un art du temps.

Jean-Louis Comolli - La flèche et le temps
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C'était en mars 1975. Au tout début du mois, le 4 ou le 5, peut-être. L'image est apparue au petit matin dans les rues d'Avignon, placée au ras du sol. Un soupirail par lequel on pouvait voir des travailleurs immigrés sur des lits côte à côte. Corps couchés, on sentait la fatigue. Et ce visage quel regard ! - qui happait le passant. Effet de réalité ardente. Trop pressé peut-être, on allait l'oublier quand on la retrouvait au détour d'une rue. Mêmes corps couchés, I'homme et son regard, imposant son énigme au bas d'une demeure comme il y en a en Avignon, ces belles maisons de notables. Étrange image à vrai dire, qui vous interpellait autant par sa beauté puissante, presque sauvage, que par cet efet de trompe-l'œil que le noir et blanc du papier démentait dans le même temps. C'était quoi ? Qui avait fait ça ? Pourquoi ?
Et puis la revoilà encore, à peine visible entre deux voitures, vision subreptice, lançant à nouveau un signal. Il y avait dans le contraste entre la fragilitéé extrême du support et l'extraordinaire beauté du dessin, entre ce mince papier collé au mur, appelé bientôt à disparaître avec la pluie et le vent, et le dialogue actif avec les lieux autour, quelque chose de si violemment poétique quon éprouvait, en même temps qu'un choc, de la reconnaissance pour l'auteur de cet acte profondément théâtral. Quelqu'un - oui - avait lancé un message sans même laisser son nom. Quelqu'un avait fait ça - oui - pour crier, alerter. Cétait comme une chose montrée soudain pour dévoiler une vérité cachée. Multipliée par centaines, l'image avait été dispersée dans la nuit, collée dans des lieux soigneusement choisis: autant douvertures creusées dans la réalité. Vision intense, qui clamait l'ordre social masqué, la hiérarchie. Sous les belles maisons bourgeoises d 'Avignon, il y avait des caves où dormaient des hommes venus de pays étrangers. Un fulgurant poème qui mettait le coeur et la tête en mouvement. Sorte de « scribe public » à l'écoute de « l'inconscient collectif » comme il aimait à le dire, Ernest Pignon-Ernest entendait mener ce travail directement avec ceux qui, chaque jour, vivaient les « réalités enfouies » qu'il voulait rendre perceptibles: « Une image comme un révélateur d'une chose qui existe mais qu'on ne voit pas. »
L'image poétique et politique des Immigrés d'Avignon est une des réponses- et parmi les plus belles - apportées à la question qui divisait les mouvements révolutionnaires de l'après-Mai 68 : l'art pour qui, par qui, au service de qui ? Plus que d'autres, Pignon-Ernest s'est interrogé sur la place de l'artiste dans la société, sans jamais chercher à codifier sa démarche pour autant. Quand les maoistes parlaient de retourner «aux masses» pour y puiser le sujet de leur œuvre et renverser la barrière qui sépare l'artiste du « prolétariat », lui, Pignon-Ernest, y était déjà, par goút, par besoin. Non seulement il ne concevait pas l'art coupé des réalités sociales, mais cela l'avait amené à repenser totalement la pratique de la peinture, loin du tableau, loin des galeries. Il n'avait rien contre les tableaux, rien contre les galeries, il ne prônait pas lart dans la rue, il était - il EST - ailleurs. Il utilise la rue pour son potentiel poétique. La rue est un élément parmi d'autres où «inscrire» son dessin, message ouvert qui n'impose pas mais suggère.

Catherine Humblot - Creuser dans la réalité
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Il pleuvait ce jour-là sur Nice... Je rentrais chez moi et traversais, à mon tour, la place Masséna, incontournable dans la ville. Je n'ai aucun souvenir des plantes mais d'un désordre urbain de palissades qui masquaient des travaux d'enlaidissement.
Je fus saisi par le dispositif mis en place dans la nuit. Je tombai sur un camp de prisonniers, femmes, enfants reclus derrière des grillages où une étiquette tournée vers nous, hors du camp, illisible pour les reclus, nous signalait le jumelage du Cap avec la ville de Nice. Comme beaucoup de Niçois, javais été choqué par ce jumelage avec l'Afrique du Sud, raciste et esclavagiste. Anti-apartheid, je fus violemment secoué par la répétition envahissante de la sérigraphie représentant un couple avec deux enfants, derrière les barbelés. Cette répétition des images suggérait une foule, un peuple reclus, sur le seul critère de la séparation des races.
Avec ces images fortes, justes, efficaces, l'art était mis au service d'une protestation universelle, permettant « plastiquement » de rejeter et de faire prendre conscience du drame du racisme, du vécu terrifiant de la population de ce pays. C'est un nouveau mode d'action urbain qui se trouvait ainsi confirmé, donnant une grande amplitude à la photographie.
Je ne connaissais pas Ernest à cette époque mais, ébloui, j ai photographié cette intervention, avec émotion, et j'ai détesté encore plus violemment ceux qui banalisaient la répression et admettaient le racisme. Actuellement, on retrouve cette sorte d'intolérance dans notre quotidien qui sans cesse régénère en moi le souvenir de la révolte éprouvée alors.

Georges Rousse - Apartheid
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Que l'humanité soit faite de plus de morts que de vivants, cest une vérité d'évidence. Mais les morts ont leur hiérarchie, leur protocole et leurs habitudes. Ils ne se présentent pas tous à nous de la même façon. Il en est de deux espèces, dans la vie de chacun comme dans l'espace urbain : les volumineux et les laminés. Les en-relief et les à-plat. Première et deuxième classe. De là vient une lutte des classes inaperçue dans l'art d'évoquer les absents.
Les glorieux le prennent de haut avec le "minoto popolo" des survivants : ils nous lorgnent debout sur un socle ou à cheval. lIs sérigent en trois dimensions, pierre, bronze ou plâtre. Ils se détachent en souveraineté et se découpent à contre-jour. Ces importants nous obligent à lever la tête sur leur statue, leur buste, leur niche - en haut des marches, sur les frises, au centre de la place et du parc. Là trainent les Élus du roman national, les élyséens de Paris.
Et puis, il y a les autres, tous les autres. Ceux qu'on a jadis couchés côte à cte dans leur linceul de chaux, ceux qu'on a entassés par charretées entières dans la fosse commune, ou empilés en paquets sous un mur. Les frangins de la Commune, par exemple. L'ironie de I'Histoire affecte aussi les postures posthumes : ce sont en général ceux Les qui meurent debout - fauchés en rang ou en tas - qui se retrouvent couchés à l'horizontale, ceux qui meurent dans leur lit nous reviennent droits comme des i, en majesté. Les anonymes abattus avant l'heure se fondent aussitôt dans la glaise, sous le bitume ou le pavé, et n'en ressortent plus. lls nous portent, nous, nos rêves et nos projets, mais nous les foulons sans un regard. Nous les piétinons allègrement, nos souterrains d'os et de chair sans nom.

Ernest Pignon est un artiste de l'exhumation assez singulier : il n'en rajoute pas une couche dans le culte en ronde-bosse des mémorables. il soccupe des aplatis. Ces fantômes, il les extrait, les exsude des murs et des trottoirs. Il recueille cette sueur de mémoire clandestine et nous la met sous le nez, nous obligeant du coup à regarder vers le bas, au ras du trottoir, niveau caniveau. Aux exhaussés un peu exhibitionnistes que sont nos grands hommes en effigie, il oppose les ombres fragiles des enterrés. A la pompe des symboles, le requiem par les traces. Aux illustres d'en haut, le lustre de la statuaire et de la «grande peinture» Aux revenants des enfers, la sérigraphie et le papier journal, pour des liturgies modestes et dérangeantes.

Idée lumineuse que de tapisser les escaliers du métro Charonne, où périrent neuf manitestantS en 1962, avec les ombres des communards tombés en 1871. Cest la mise en cordée des sans-grade à travers l’Histoire, sacrifiés pour une idée et faisant la chaîne dun siècle à l'autre. Ces morts-là ont du ressort. IIs nous aident à monter les marches. Venant des contrebas, ils tirent les vivants vers le haut.
Si je navais à choisir quune allégorie en noir et blanc pour illustrer ce que nos princes analphabètes appellent «l'identité de la France», c'est-à-dire son histoire, je ne prendrais pas la tour Eiffel ni l'Arc de triomphe, mais une photo prise en 1971, qui vaudrait carte postale mais que les touristes nont guère l'occasion d'apercevoir. Le Sacré-Coeur en contre-plongée, vu du bas du grand escalier de Montmartre, recouvert de tous ces cadavres montants, silhouettes grises et blanches de miséreux sur lesquelles force nous serait de passer si l'on voulait accéder au point le plus élevé de Paris. Lordre moral en haut, mastodonte romano-byzantin, avec coupole et campanile, peccamineuse expiation. La Semaine sanglante en bas, avec ses fantômes en vrac, remontant des ténebres, affleurant le granit. Comme un murmure d'ombres plates au pied d'un alexandrin de pierre, une mémoire tactile, persistante comme un remords, en contrebas dun monument aussi lourdingue que vaniteux.
Il faut peut-être les deux classes de morts pour faire un pays et la mémoire d'un peuple. On les places rarement côte à côte. Napoléon est seul sous la coupole des Invalides. Imagine-t-on cent mille ombres de ses jeunes victimes autour de son tombeau ? Le marbre en serait profané. Loué soit Ernest Pignon-Ernest d'oser juxtaposer le profane et le sacré, le vivace anonyme et le funèbre illustre.

Régis Debray - Lutte des classes
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Si, à Rome, l’univers physique et mental de Mamma Roma et d’Accattone a disparu, Ernest est persuadé qu’aujourd’hui Pasolini tournerait ses films ici, avec les jeunes de Scampia.
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Ernest Pignon-Ernest se souvient de l‘enterrement de Pasolini, du cercueil au pied de la statue et des mots lancés par Alberto Moravia à l’assassin. Tu as tué un grand poète. Puis à la foule. Un poète devrait être sacré. Un société qui tue ses poètes est une société malade.
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S’il occupe le terrain, Ernest Pignon-Ernest n’impose pas les approches. Il laisse ouverts les lignes de fuite et le champ de vision. Ses dessins choisissent des décors bien réels où se fondre. Sans cadre. Une œuvre qui se veut un acte symbolique, efficace, bien que livrée à l’éphémère.
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Les mains ne sont jamais de simples détails, mais des nœuds sur les lesquels se relance l'énergie du tableau. J'aime à penser que s'il n'y avait eu cette main accrochant un invisible fardeau, nous n'aurions eu affaire qu'à un énième portrait du poète, oblitérant alors la prégnance du voyage et de l'errance que celui-ci incarnait.
Yves Simon P50
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Peut-on exhaler la haine de l'autre, récuser sa présence et le rejeter sans lui inventer des traits, un caractère, des usages, une langue et une relation au monde tels qu'il sera marqué du sceau d'une différence antagonique et à jamais tenu à distance pour un inacceptable écart de sa « nature » ? Ainsi travestie par ceux qui nont jamais su entendre ni voir, la voix de lautre sera perçue et dénoncée comme injonction de rupture et de séparation des mondes. Par un retournement malin, celui que lon veut exclure et délester de toute invite au partage et à l'échange sera ainsi transtormé en assaillant, déniant et insultant les « valeurs sacrées de la terre d'accueil ». Cette misérable inversion, qui feint de prendre pour offense la souffrance de l'offensé et réclame son éloignement », prend selon le temps et l'Histoire le tour dramatique des grands massacres ou l'humeur fétide des détestations et exclusions ordinaires. Une distance symbolique est prise qui enclot le quotidien et affuble l'autre, cet « étranger », d'un autre pays, d'une autre culture, d'un autre dieu, d'une autre peau, d'un autre plaisir des corps, de l'autre rive, des miasmes de la mauvaise nature : le bruit, l'odeur, le facies, la saleté, la pauvreté, la pensée basse, le corps menaçant. La peur entretenue, la sécurité érigée en valeur première confortent cet ordre de l'inimitié et de la méfiance pour sceller une société de l'exclusion, des expulsions, des hommes bloqués, des immigrés reconduits. Et pourtant, une figure, une seule, installée dans la ville, comme à demeure, soudain parle à chacun.
La Dame de Martigues, c'est ainsi que je la reconnais, vient dabord d'un musée où Ernest Pignon-Ernest la trouva, oubliée dans les reserves, portrait réaliste de la fin du XIX siècle d'une vieille femme qui lui sembla porter en elle « une intensité, une gravité, quelque chose de fondamentalement méditerranéen ». Collée sur les murs en des endroirs précisément choisis pour faire apparaitre cette intimité des deux rives et une mémoire incarnée renvoyant chacun au souvenir d'un temps proche et lointain où la figure de cette vieille femme disait le poids des ans et d'un destin commun, elle éclairait la ville d'aujourd'hui et révélait par sa présence un lien, une ascendance commune, une famille des hommes. Cette Dame de Martigues pouvait être reconnue par tous, réclamée d'eux, qu'ils fussent les imbéciles au front borné ou leurs voisins venus d'ailleurs. L'art d'Ernest Pignon-Ernest s'exprime ici de façon exemplaire, sortant du musée pour entrer dans la rue et donnant à voir l'universel. Assise et méditative auprès des pêcheurs, écrasée au pied d'un pilier supportant un autopont, seule et tournant le dos à la mer, posée à côté d'un banc et sous l'enseigne d'une pizzéria..., elle est le genre humain.

François Barré - La Dame de Martigues
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Ex-voto qui résumerait tout un destin
Rageur et
Nostalgique en
Esquissant la
Sainteté d'un
Théorème moderne

Pasolini gît ici entre
Indignité et
Gráce
Nu à même sa foncière innocence
Oublieuse de tout péché qui
Nappartient à personne età tous

Envers crucifié dont le
Regard aux mortes orbites
N'interroge plus la beauté perdue qui l'
Entoure mais
Subvertit quand même et pour toujours notre Temps aveuglé de certitudes

Cécile Guilbert - Ex-voto
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Un renonçant surgit du saccage de Paris
La lèvre lourde d'un décès
Un renonçant à godillots et haillons
Un abandonneur.
L'ennui violent
L’encoche du dégoût
Le canif des yeux
Il n'eut temps d'aucun spleen sauf cette hargne muette celte et concubine des pierres.
Ce front ?
La lenteur d'avant le coup de poing et le sac des ateliers.
Cette bouche ?
Le goût du non
La manie de l'assez
Le rompre là.
Lord ovale aux yeux pâles
Ramparé d'absinthe et de vers latins
Exilé de soi dans le temps des fabriques
Il opère solitaire
Le bris des machines
Le casse du poème

Rimeur tourné voyou, il serre le poing sur le talisman de l'adolescence et les rêves perdus sur la route de Java, rhétoriques et dieux nègres, la peine est rendue, Paris mort sous Bismarck et Thiers, c’est relègue à vie et comment vivre sous le ciel fermé à demi ?
Un exilé attend sur le ponton, sac sur l'épaule.
L'or des poésies est ce mâchefer.
Le dédain est ce bouclier, la meilleure paroi, cette moue pariétale une pose avare que le dessinateur ressuscite par le protocole du noir gras et la couche légère.
Ernest ressuscite Arthur selon l'esthétique du coup de vent. Il place l'écorché dans la lenteur du monde et le sale des rues. Une chute, le voile matinal, une chute du papier le plus pauvre qui soit. Ernest abandonne Arthur à la déprave des villes. Sur le papier de médiocre blancheur prélevé dès l'aube dans les ateliers de linotypie.
Harpon des proses futiles
Estoc des filles
Yeux durs à désarçonner les assis.
Affiches, écorces de spectacles et polices civiques, vanteries des gloires, cirques, lassos, les jongleries. Chromos dessus les palissades avilies de crevures et de déchirements. Lézardes d'eau sur les crépissures, les climats assaillent, ciels, pluies, poussières et foins, pistils, sulfures.
L’urbaine pollution.
L'action byzantine des salpêtres sous la glu.
Sur ce chaos d'images et de typographies sommes laissés à surir, sur ce rêve perdu, les Versaillais ont gagné il y a un siècle et hier, ils insistent à toutes les issues, ces sirènes, ces panneaux nouveaux, la ville française est maçonnée de cette obsession, l'élimination des populaires et dédaigneux.
Ernest soumet l'enfant à l'usure du climat, infante canaille et frère à tous, sous l’œil des piétons et les coches hurleurs. Il refait l'ossature de Iange. Ernest endurcit le bibelot romantique vulgaire, c'est l'abandon des joues lascives pour le creux de la faim, c’est ce matin que la troupe disperse la barricade et la fumée du songe révolutionnaire.
Ernest remet l'escarpe dangereuse sous les ciels non purs de Charleroi et Paris, il fait sa louange et rejoue le sacrifice de l'éternelle gueuserie.
Ernest plonge Arthur aux yeux pâles dans l'abjection des rues.
Joues graissées de sucs. Nargue froide. Morgue engorgée dès la première pluie. Suies automobiles, onctions solaires et mercurielles, averses, crochets. L'ordalie, puis la griffe des assainisseurs de la mairie.
Rimbaud selon Pignon surgit vite et disparait. Usé, rincé, brûlé. L'œuvre est cette fibre promise à détrempe sur les murs morts soutenus d'étançons.
Un poète mitoyen de la pierre et du vent
Enfant lierre sous la persécution du climat
Halogénures et gemmes calcaires sous l’écaillis
L'insolence ?
Un élixir tourné.
L'iris soufre et or. Une cavale triste nourrie de gros pain. L’œil des crevards blêmes de faim et vacants à toute loi. La tristesse prolétaire. Le climat intime est cette tristesse des hommes de peine. Arthur dénonce le loyer poétique et chiffonne l'avis de déguerpir. Où finir mieux ?

— Philippe Bordas - Le goût du non
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