Citations de Evelio Rosero (27)
A Bogota, il semblait que même le vent informait les voleurs. Il y a trente ans de cela, quand il acheta son premier studebaker, lorsqu'il allait le ranger à minuit dans le garage, trois voleurs le mirent en joue. Ils étaient très jeunes; ils étaient plus nerveux que lui; sans doute volaient-ils pour la première fois; et il leur parla; il ne sut jamais où il avait trouvé le courage de parler et de les convaincre du mauvais chemin qu'ils prenaient en volant un citoyen, que diraient leurs parents?, pourquoi ne volaient-ils pas le président?, lui n'était qu'un fonctionnaire endetté, attention à la vie facile, la prison attend le voleur, la justice claudique mais elle arrive, et il leur donna quelque argent et leur dit au revoir en leur serrant la main à chacun. Non seulement il ne serait pas capable de parler mais encore les voleurs jamais le lui permettrait et lui tireraient dessus avec plaisir et à bientôt, coco.
(traduction libre du contributeur à l'usage des Babelionautes, éd. Anagrama p. 235)
Les deux frères étaient arrivés sur leurs motocyclettes (...). Ils étaient contemporains de France et de Lisbonne*, mais, au contraire d'elles, ne finissaient pas encore leurs études et ne les termineraient jamais : ils jouissaient tous deux de postes au ministère de la Justice, où ils étaient déjà reconnus comme docteurs en Droit. Un tel rang, et leurs situations, qu'aimeraient avoir de vrais diplômés et avec de l'expérience, furent un cadeau du magistrat Caicedo qui de temps en temps usait de son influence pour aider les membres de sa famille, leur prodiguant des emplois à haute responsabilité. Ces usages et ces abus n'inquiétaient pas le magistrat: c'était une chose qu'il devait faire, une chose que n'importe qui dans le pays aurait fait à sa place.
Traduction libre du contributeur à partir du texte original à l'usage des Babelionautes.
(*: les deux filles des maîtres de maison . Note du contributeur)
Et de temps en temps nous échangions quelque confidence, au point d'éprouver cet étrange état d'âme qui permet de croire que dans la vie nous avons un ami.
La beauté étourdit, éblouit, [...].
La jeunesse et l'inconnu sont toujours plus attirants.
Gardez l'amour. L'amour est plus fort que la luxure.
L’assassin jeta l’arme au loin – nul ne fit mine de la ramasser – et marcha tranquillement vers la sortie sans que personne ne s’interpose. Mais quelques secondes avant de jeter son arme il m’avait regardée, moi, le plus proche voisin du gros. Jamais de ma vie je n’avais été frappé par un regard aussi mort. On aurait dit un être de pierre, taillé dans la pierre, ses yeux me firent penser qu’il allait me cribler de balles jusqu’à la dernière. C’est alors que je découvris que l’assassin n’était pas un homme jeune, mais un gamin de onze ou douze ans. Un enfant.
Ce n'est plus la jeune fille de vingt ans assise dans les w-c d'une gare routière, les yeux comme des phares au sommet d'une île retroussée... la jointure des jambes, le triangle du sexe, animal ineffable... C'est aujourd'hui une vieille et heureuse indifférence, allant d'un côté à l'autre, au milieu de son pays et de sa guerre, elle est comme les autres à l'heure de la vérité.
Le silence se voit lui aussi, comme le soupir. C'est jaune, ça glisse sur les pores de la peau comme une brume, ça monte par la fenêtre.
Qui ont-ils enlevé cette fois ? Nul ne le sait et personne ne meurt d'envie de le savoir ; qu'on enlève quelqu'un, c'est monnaie courante, mais il est délicat de poser trop de questions, de trop s'inquiéter.
L'âge n'apporte pas la paix.
C'est que tout le monde oublie, mais oui, et surtout les jeunes qui n'ont même pas assez de mémoire pour se rappeler quel jour on est, c'est bien pour ça qu'ils sont presque heureux.
Il y a des choses qu'on ne doit pas dire tout haut, même à ceux qui nous aiment le plus. Pour ces choses-là, les murs ont des oreilles.
Celui qui ment à l'heure de sa mort n'est pas un homme.
J'ai la même nausée que lorsque je suis redescendu de la cabane de maître Claudino. Je rentre chez moi par le verger, je retrouve mon lit, d'où l'on m'a sorti, et je m'allonge sur le dos comme si je me préparais à mourir, maintenant oui, et seul, en toute conscience, même si miaulent près de moi les Survivants lovés sur l'oreiller. "Quel jour est-on ? je leur demande. j'ai perdu la notion du temps. Qu'est-ce qui s'est passé sans qu'on s'n rende compte ?" Les Survivants abandonnent la chambre et je reste plus seul que jamais, définitivement seul, maintenant, c'est vrai, Otilia, sans toi j'ai perdu la notion des jours.
Lui et sa femme ne partageaient rien, ni au lit, ni sur terre, ni en l'air : l'ennui le plus pénible, celui qui porte des fardeaux de haine, pesait sur eux depuis très longtemps.
Son visage était radieux, comme le jour de sa première communion, comme au moment de recevoir son diplôme de médecin, comme à l’église lorsqu’il avait épousé la femme dont il était amoureux et comme lorsqu’il l’avait enfin vue nue.
L'amour c'est du verre, [...] tôt ou tard il se brise.
[...] "l'obéissance aux ordres" était et reste l'excuse universelle des massacres.
Les historiens ne sont jamais d'accord sur les détails. C'est impossible. Ils sont d'accord, il faut l'espérer, sur l'essence des faits, du moins si ce sont de véritables historiens.
[...] c'est incroyable la quantité de cochonneries qu'un être humain peut absorber, et pas dans les tripes, dans la tête.