Fabien Truong présente son dernier roman «
Routines » paru le 6 mars 2024.
Un roman percutant, au suspense haletant, fresque sociale qui interroge les faux semblants de notre temps.
Calédonie rime trop facilement avec colonie.
C'est en 1853 que la France grillait l'Empire britannique dans l'Océan Pacifique.(...)
La terre était grande, les terrains presque vierges : le plan parfait pour bâtir du bagne à la pelle. Débarquèrent des métropolitains déplacés, des communard condamnés, des Africains déportés. La nature propice,accompagna les mouvements de population pénitentiaires,l'exploitation du nickel attirant rapidement des voisins insoupçonnés : Polynésiens, Japonais, Javanais et Vietnamiens s'établirent sur le Caillou pour retourner le rouge de son sol.(p.18)
L'administration lui proposa de recommencer sa vie ici et lui légua des terres que personne ne voulait vraiment, pas même les Kanaks à qui on les avait prises.A l'époque, un droit de propriété était une idée impensable dans les tribus. La terre n'a jamais appartenu à personne : elle n'est que le prolongement de la persévérance, la conséquence du lien avec les anciens.Il faut juste savoir l'habiter pour conserver un peu de sa générosité. Vouloir la posséder était absurde.(p.37)
Les rapports entre la population (dont les garçons) dans les quartiers et la police sont extrêmement dégradés. Tous les garçons ont connu des contrôles policiers, des interpellations, des expériences humiliantes qui auraient pu se dégrader. Donc il y a une identification très forte. Le soir, ce sont des garçons adolescents qui sortent et qui expriment une colère viscérale en se disant : 'Nahel, ça aurait pu être moi.'
-----
• Arte Journal, 29 juin 2023
A Saint-Denis,personne n'a jamais planté un arbre.Les conséquences du geste nous dépassent. Le kauri est un seigneur,capable de traverser une dizaine de siècles. Il monte droit vers le ciel,irrigué par une gomme épaisse qui prend son temps.Il est là pour tenir.(p.49)
Patrick a le pas décidé de ceux qui savent comment ils ont atterri là où ils sont.Son arrière-grand-père était un transporté du Jura: condamné aux travaux forcés pendant cinq ans pour meurtre,puis marié à une fille du contingent d'orphelines envoyé par la métropole. Toufik s'inquiète à voix haute: c'était un mariage d'amour,quand même ?Patrick ne sait pas.Qui pourrait en savoir quelque chose ? A-t-on vraiment le choix quand on n'a pas le choix ? (p.46)
L'étincelle, c'est l'incarnation furtive de la puissance de la transmission du savoir dans le regard de celui qui le reçoit.
Elle possède une propriété d’altération de ce qui l'environne qui laisse penser qu'après elle rien ne sera jamais plus comme avant. (...) Si elle est presque impossible à déceler pour qui n'a jamais enseigné, elle fait partie des moments qu'un "prof en banlieue" n'oublie pas. C'est une décharge élèctrique, transmise en l'espace de quelques milliseconde, du blanc des yeux d'un élève à celui de son prof. Elle n'a jamais d'autre cible que les deux protagonistes.
Cette expérience ambivalente du temps – très contrainte et poussant en même temps à l’autonomie – s’exprime de façon particulière en classe prépa ECE. Muriel Darmon observe que, contrairement à l’élève de prépa scientifique, l’élève de prépa économique est incité à devenir un « élève séculier » plutôt que « régulier ».
L’« élève séculier » respecte le temps de la prépa tout en s’écartant des normes et des contraintes de l’institution, développant un rapport plus « relâché » à celles-ci. Il reste un individu de ce monde en même temps qu’un élève de la prépa. Savoir s’amuser, être parfois en retard, s’habiller pour un entretien ou une virée nocturne font partie des attendus implicites de la formation.
Elle n’est pas « hors jeu » et ne peut suivre ses études comme si elle était sans attaches. Son père joue contre son ascension scolaire qu’il vit comme une trahison alors qu’il l’a pourtant initiée, découvrant les tensions que l’école fait naître au sein des familles immigrées quand les parents prennent conscience que leurs enfants ne leur ressemblent plus véritablement et que ce qu’ils avaient projeté sur eux devient une chimère.
Pendant qu’Aysha est en vacances dans la villa familiale, son père découvre qu’elle a séché les cours. Il refuse qu’elle revienne en France. Sa carte de séjour est périmée et Aysha se sent piégée. Elle entame un bras-de-fer qui dure plusieurs mois – elle refuse de sortir de sa chambre et fait des crises d’angoisse à répétition. Son père finit par céder. Elle retourne en France en novembre.
Au-delà de la fascination pour l’argent et des rêves de réussite qu’incarnent les joueurs tricolores pour certains garçons, l’historien Eric Hobsbawm rappelle à quel point ‘la communauté imaginée de millions de gens semble plus réelle quand elle se trouve réduite à onze joueurs dont on connaît les noms’ et qu’elle s’oppose à une communauté concurrente.