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Citations de Félicité Herzog (76)


Prenant une tasse de thé, j'avais exposé à mon oncle mes projets professionnels avec l'enthousiasme ingénu des jeunes cadres financiers. Je voulais alors, comme Laurent aurait souhaité le devenir, être associé-gérant, ce qui suscita chez lui des commentaires hilares. Une biographie de la comtesse Greffulhe, la vie d'une parente écrite par une autre parente, venait d'être publiée. Elle alimentait mes reproches pour cette société qui ne donnait d'autre choix à une femme que d'être une femme du monde, sauf à s'en libérer, un idéal à mes yeux d'un sexisme ridicule et désuet.

« Le meilleur qu'on puisse te souhaiter et qu'une femme peut envisager de l'existence. C’est tout de même mieux que ton ambition triviale et futile ! rétorqua Gilles, caustique, tout en donnant son assiette de gâteaux à manger à son carlin assis sur une chaise.

— Mais la comtesse Greffulhe est l’incarnation de tout ce que je ne veux pas être ! Je veux être indépendante financièrement, avoir une existence libre enfin, ne pas être le simple produit d'un milieu social !

— Mais enfin, pauvre innocente, il est beaucoup plus important d'avoir servi de modèle à un personnage de La Recherche !» conclut-il sur le ton de la raillerie.
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La perspective qu'Arsène Lupin fût le produit de l'imagination d'un écrivain était inadmissible. Je ne voulais entrer à aucun prix dans ce qui aurait pu me sortir de cette fiction. Le dernier des ouvrages, pourtant, trahit cruellement mon pacte de complicité imaginaire.

L'Ile aux trente cercueils me ramena, malgré moi, dans un enfer dont je voulais sortir. En sixième, dans mon institution pour jeunes filles catholiques, j'étais restée un après-midi à la maison pour lire, prétextant un rhume, enfermée dans ma chambre en écoutant une réédition du 33 tours du Sergent Pepper des Beatles sur un pick-up rouge que ma mère m'avait acheté au Bon Marché. Dès les premières pages, je compris que ce dernier livre était d'une autre nature. Une séquence dantesque de meurtres et de trahisons progressait inexorablement sur l'île bretonne de Sarek selon un ordre tout aussi inéluctable que tragique. Une chambre redoutable, dont le sol
basculait selon des mécanismes complexes et souterrains, mettait a mort ses occupants après les avoir soumis aux pires cruautés. Plus rien ne correspondait à la logique morale constamment démentie par de noirs calculs. Les personnages dont on attendait la grande retenue se comportaient dans les faits de manière monstrueuse.

Une scène ultime m'achevait : deux enfants, demi-frères révélés brusquement l'un à l'autre lors de ce coup de théâtre insulaire, dotés d'une gémellité physique quasi parfaite, se battaient à mort sous les yeux de leurs mères dans un combat organisé par leur père mythomane et pervers, le Comte Vorski. L'un des enfants, François, courageux et vertueux, était l'opposé de son demi-frère, Raynold, haineux et de surcroît entraîné à tuer. Pétrifîée par cette scène, je ne pouvais plus seulement toucher des doigts
toucher des doigts les pages d'un tel livre qui n'était de fait plus un livre mais un objet toxique qui vivrait dorénavant son sort indépendamment du mien. Même l'arrivée de Don Luis Perenna, un nouvel avatar de Lupin, ne suffit pas à compenser le trouble suscité par cette séquence macabre. C'était la fin de ma passion pour Arsène Lupin, gentleman cambrioleur. Maurice Leblanc avait poussé le bouchon de cristal trop loin.
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Le jour où Arsène Lupin entra dans mon existence, ma vie terrestre n'eut simplement plus aucune prise sur ma vie imaginative. Si les lecteurs ont sept vies comme les chats, j'en vécus une entière à voyager entre le pays de Caux, la campagne de l'Allier, les bords du Rhin et de la Moselle. Face aux mystères, aux énigmes insolubles, aux assassins fous et aux belles criminelles, rien n'était vraiment grave puisque Arsène Lupin surgirait en héros de papier, un être supérieur qui résolvait toute énigme par une capacité de raisonnement sans précédent et par une dérision désopilante à travers un répertoire personnel de « gamineries » et d'identités pittoresques.
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Dans les situations de survie, les alpinistes sont des champions de la débrouille, en l’occurrence une paire de chaussettes pouvant protéger ses mains gisait dans son sac à dos. Mon père ne pense pas à les utiliser, ni à la descente, ni même dans la crevasse les abritant, lui, Louis Lachenal et leurs compagnons, Lionel Terray et Gaston Rébuffat, venus à leur rescousse dans la tourmente au cours d'une nuit fatidique. Cela lui coûtera les premières phalanges de ses doigts de main et ses orteils. Voulait-il en fin de compte payer le prix fort pour sa décision désespérée de parvenir jusqu'au sommet ? Se voulait-il en martyr d'un exploit sans prix ?
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S’il y avait eu alors un marché d’occasion des pères, je l’aurais cédé pour un franc symbolique.
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Mon père ne connaît pas de lois. C'est un hémiplégique de la sensibilité, sauf à l'égard de ceux qui ont connu des amputations - les mêmes souffrances que lui. Tout est prétexte à compensation. Autrui n'existe pas, sauf à le mythifier davantage. Pour sauver les apparences d'une ascension de légende, il a réécrit l'histoire, trahi et négligé son entourage sans jamais avoir le sentiment d'avoir fait mal puisque la société le jugeait si bien. Tout était bon pour parfaire la statue de héros qu'on lui avait demandé d'ériger autour de sa personne. La vérité, pour lui, est une éclipse. La distinction entre vérité et mensonge, réalité et fiction, responsabilité personnelle et collective, lui est devenue insupportable.
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Mais la confrontation inévitable, incontournable de l'après-midi voulait simplement dire que mon père n'était pas un père. Hormis la légende fabuleuse qu'il s'était créée et pour laquelle il combattait pied à pied, il se comportait comme s'il ne voulait pas se transmettre. Jamais, étrangement, il n'emmena l'un de nous, ses enfants, au camp de base de l'Annapurna, nous montrer le lieu de naissance de son épopée.
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J'admirais ma mère, si différente des autres, exemplaire dans ses choix de vie, idéaliste, refusant toute compromission de carrière ou de confort. En un mot, libre. J'adhérais donc à n'importe laquelle de ses idées, y compris les plus saugrenues, avec enthousiasme. (...)
Un jour, tout de même, une dénommée sœur Marie-Ange m'interpella à la sortie d'une classe en me demandant si, à la suite de ces différentes expériences initiatiques, j'envisageais à ma majorité de me livrer à la prostitution.
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Mon père avait compris cet épanchement comme une invitation à me photographier. Il avait sorti un appareil photo de professionnel que je ne lui avais jamais vu. C'était si rare que mon père s'intéresse à moi que je fus d'abord flattée. Puis un peu prise de court par ce qui se révélait être un reportage. Il me suggéra de m'allonger d'un côté, puis d'un autre, de me rasseoir en tailleur, de me tenir droite afin de me prendre sous le meilleur angle, de dos et de fesses. Quelle attention ne montrait-il pas à mon égard, souhaitant instamment mettre en valeur cette féminité tant attendue, par moi longtemps refusée, faisant glisser négligemment de sa main le châle sur le rocher! Mon père me félicita. Enfin sortie de l'enfance, un peu de consistance charnelle! Les photos se succédaient, puis il s'approcha et, dressant son avant-bras tendu vers le haut, me murmura avec un petit rire de séducteur expérimenté qui vous veut du bien :
"Tu verras, ma petite, comme toutes les femmes, c'est cela que tu aimeras, un sexe dur qui te fera bien jouir."
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Nous étions invités à nous asseoir au premier rang dans un grand théâtre parisien où se déroulait une projection du film de l'expédition sur l'Annapurna, moi ressemblant à un poney sauvage qu'on aurait affublé d'une robe à smocks et Laurent à un jeune prince, yeux constamment rêveurs. Autour de nous régnait un brouhaha mondain. Emergeaient explorateurs apparentés, alpinistes enfin réconciliés mais à la veille d'une discorde de dix ans, photographes chasseurs d'exploits, hommes politiques du giron savoyard, chroniqueurs célèbres, hauts fonctionnaires passés par les cabinets gaullistes. La présence immanquable de quelques femmes belles et raffinées accentuait avec grâce la virilité de ce rassemblement.
Lors de l'inévitable cocktail qui suivait, les dames se penchaient vers moi, les yeux brillants, confidentiellement séduites par la moustache fauve et le regard suave de l'explorateur, et me soufflaient :
"Tu as bien de la chance d'avoir un père comme lui!"
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Je suis entrée dans ce quartier dit de sécurité dont la porte était verrouillée à grand renfort de serrures, ce qui me semble être à la fois précieux, ridiculement inefficace, un peu comme s'il avait fallu la présence d'un grand chambellan couvert de chaînes dans une maison pour annoncer les noms des invités conviés à un simple dîner. Ou que ces verrous étaient en fait destinés à ceux qui devaient se prémunir de la folie et qui, incapables de la comprendre, l'alimentaient d'autant avec leur peur. Un infirmier, qui ressemblait à un moniteur de ski, m'ouvrit et je pénétrai dans un espace où il n'y avait pas de fauves, mais des gens jeunes et des plus vieux qui perdaient leurs pas dans une salle avec une machine à café pour seul meuble et n'avaient pas simplement l'air dérangé mais de s'emmerder royalement.
Je m'installai près de son lit. Pour la première fois de notre existence, Laurent me parlait à visage découvert. Il pensait que l'on avait inséré des circuits électroniques dans son cerveau. Son masque était tombé. Il avait fallu qu'il tente de mettre fin à ses jours pour que l'on prenne la peine d'évaluer son état mental et qu'il parle de ce qui le tourmentait. Je mesurais l'absence sidérante de tout recours relationnel, le manque de lien, de confiance avec qui que ce soit, et de la solution simplement la plus humaine qui aurait pu rompre son extrême isolement : la parole. Depuis des années, sa psychose bouillonnait comme un chaudron sur le feu, il manifestait maints signes d'étrangeté. Apprenait cinq langues simultanément; envoyait des curriculum vitae extravagants de vingt pages à des employeurs potentiels en ayant effectué trois stages d'été dans sa vie; tenait des propos en décalage complet avec la réalité; s'enfermait dans une retraite totale, coupant court à toute communication. Mais personne n'avait réagi.
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Après la séparation de fait de mes parents, on se voyait occasionnellement lors des fêtes et des vacances. Son emploi du temps ne s'accordait que rarement avec le calendrier scolaire. Son engagement politique, ses nouveaux enfants, sa vie mondaine, les fréquents voyages à l'étranger et son intense vie adultérine concouraient à son éloignement. Ma relation avec lui s'apparentait donc à un jeu de pistes. Une carte postale m'accueillait parfois sur la table quand je rentrais de l'école, indice de l'existence de ce père insaisissable qui s'était déjà envolé vers une autre destination. Toujours le même script : "Ma petite Félicité, je suis à Séoul où je vends des métros. J'espère que tu es sage et que tu travailles bien. Ton Papa qui t'embrasse." Nos échanges tenaient, pour l'essentiel, en ces cartons de dix centimètres sur quinze.
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Toute ma vie, j'ai été dépossédée de mon père par les femmes. Le processus commença par les filles au pair, un lent manèges d'Anglaises et d'Autrichiennes, qui apparaissaient puis disparaissaient sans explications. Lorsqu'il était à la maison, événement formidable, il passait le plus clair de son temps à étudier leur ballet avec une attention soutenue puis à répondre à leurs doléances jusqu'à la saison des soupirs, puis à celle des pleurs dont j'aurais pu calculer les cycles avec autant de précision que pour le calendrier lunaire. La hiérarchie de ses désirs nous était parfaitement connue. C'était peut-être inévitable de la part d'un père aventurier qui ne connaissait aucune frontière, mû par une volonté de transgression permanente. Il fallait s'y résoudre.
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Qu'est-ce-donc qu'un héros? Un héros agit-il dans l'inconscience ou sa conduite est-elle le produit d'un acte délibéré? Est-ce quelqu'un qui sacrifie sa vie pour sauver celle des autres? Ou l'acteur d'une épopée bien présentée qui fait rêver et bouleverse les foules? Un exemple de ce que nous ne sommes pas capables de faire, récit d'une odyssée qui nous rend plus forts, dans lequel nous nous projetons, soulagés de ne pas avoir à affronter de telles épreuves?

Toutes les époques ne fabriquent pas des héros. Le début des années 1950 réunissait les ingrédients nécessaires, en gestation pendant les années d'occupation : l'humiliation, la sédentarité imposée, l'ignorance de l'étranger, les restrictions, l'absence de toutes distractions. L'après-guerre perdurant contribuait à donner à cet exploit une portée formidable sur les imaginations et les esprits. Financée sur deniers publics et sponsorisée par une entreprise de presse, le résultat atteint par l'Expédition dépassait toutes les espérances de ses organisateurs.
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Malgré leurs promesses de ne pas se revoir, de respecter les codes de leur milieu, d'envisager rationnellement leur avenir, de se projeter avec réalisme dans les mille tracas d'une vie de couple, de prendre conscience du risque d'échec, de craindre de déshonorer leur famille et d'avoir des enfants anormaux, bref de rompre, selon les voeux exprimés par les parents respectifs, ils n'en firent rien.

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Un silence recueilli suivait ces lectures, comme s'il fallait préserver ce lien créé par les mots face à la peur, l'isolement et l'indifférence. La poésie criait plus fort que la guerre. Les poètes se portaient au secours des hommes pour les faire espérer et vaincre.

Page163
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L'aveuglement général : des parents, des fratries recomposées, des tantes, des curés, des copains, des professeurs. Laurent était passé à travers toutes les mailles du système. Malgré son agressivité effroyable et son comportement étrange, personne n'avait distingué les traits d'une personnalité complexe, des signes d'une éventuelle psychose. On ne pouvait se résoudre à la simple éventualité d'une affection mentale. Il était intolérable à notre univers, dans lequel tout ne devait être que réussite, puissance, filiation superbe, séduction et légende, d'avoir un malade, mental de surcroît.
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Hier, nous faisions beaucoup avec peu. Aujourd'hui, nous faisons beaucoup moins avec beaucoup plus.
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Félicité Herzog
Pour sauver les apparences d’une ascension de légende, il a réécrit l’histoire, trahi et négligé son entourage sans jamais avoir le sentiment d’avoir fait mal puisque la société le jugeait si bien. Tout était bon pour parfaire la statue de héros qu’on lui avait demandé d’ériger autour de sa personne. La vérité, pour lui, est une éclipse. La distinction entre vérité et mensonge, réalité et fiction, responsabilité personnelle et collective, lui est devenue insupportable. Il a fini par l’anesthésier complètement.
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Une représentation compulsive leur tenait lieu de grammaire de vie. Josée et May étaient dotées de corps juvéniles, menus, anguleux. Elles étaient de toutes les collections de couture, de tous les goûters, de tous les concerts. La guerre figeait les avenirs et il fallait remplir l'inquiétude de vivre par l'éphémère présent. L'existence des deux amies était un manège mondain dont la vélocité augmentait au fur et à mesure de l'aggravation du conflit.
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