Pourquoi avoir choisi d`évoquer aujourd`hui de manière publique l`avortement que vous avez vécu à 17 ans, alors que vous l`aviez jusqu`ici gardé secret même auprès de votre entourage ?
Ce n`était pas un secret, c`est juste que je n`en parlais pas. L`obligation d`écrire ce livre m`est venue après la lecture d`un entretien avec Annie Ernaux dans "L`Humanité" l`année dernière, où elle disait que rien n`est jamais acquis pour les femmes et notamment le droit à l`avortement. Au même moment, il y a eu un débat assez violent en France quand le gouvernement a voulu supprimer la notion de détresse dans la loi Veil. Il y a eu une double nécessité d`écrire ce texte.
Sortir du silence afin de protéger ce droit et une colère vis-à-vis de ceux qui affirment qu`en supprimant l`obligation de détresse, on doit être en état de détresse pour avorter, l`avortement risque de devenir banal et confortable.
J`ai écrit à Annie Ernaux qui m`a conseillé d`appeler l`éditrice qui préparait un projet de texte sur l`avortement.
Vous considérez que vous avez eu de la chance de ne pas vivre cette expérience à une époque où vous n`auriez pas eu le choix. Que pensez-vous de l`époque actuelle sur la question de l`avortement ? Pensez-vous que la prévention et la prise en charge se soient améliorées ?
J`ai eu la chance de ne recevoir aucun jugement moral de la part de mes parents et de bénéficier de la loi. C`est difficile encore aujourd`hui de trouver un endroit, un hôpital où il y ait de la place, surtout en province. Il y a le jugement moral des parents, de certains gynécologues qui vous jugent. Il y a encore des progrès à faire.
Vous dites que vous pensiez avant cet événement qu`hommes et femmes étaient égaux. Des années plus tard, portez-vous toujours cette sensation d`inégalité que vous a procuré le fait de tomber enceinte par accident ?
Par rapport à l`époque à laquelle j`ai grandi, l`inégalité entre hommes et femmes est aujourd`hui plus forte, il y a un retour en arrière qui m`étonne. Je pense à ce qui se passe dans le monde mais même en France : à poste égal on n`a pas le même salaire. Par exemple, quand j`étais journaliste à la télévision, il n`a jamais été question que je devienne rédacteur en chef ou éditorialiste, alors même que j`avais fait Sciences po et que j`avais des années d`expérience : les hommes étaient rédacteurs en chef et les femmes rédactrices. Dans le livre, j`évoque une inégalité plus biologique, avec la capacité de tomber enceinte qui est à la fois une force et une fragilité. C`est beaucoup de responsabilité d`avoir un enfant.
Vos livres sont souvent inspirés de votre vie ou de celle de votre famille : quelle est la part du romanesque dans votre œuvre et celle de l`autobiographie ?
Cette part évolue selon les livres. Dans Dix-sept ans il n`y a rien de romanesque sauf mon regard puisque ce sont des souvenirs, donc j`ai forcément oublié ou transformé des choses ; ce n`est pas un récit objectif.
Seuls vos parents sont évoqués, jamais vos amis et peu l`amant qui aurait été le père de l`enfant. Est-ce que la famille est pour vous le noyau dur de votre vie et le thème central de votre œuvre ?
Comment beaucoup d`écrivains, il m`est difficile d`écrire sur ce que je ne connais pas. En ce moment je suis en train d`écrire une fiction qui se passe en Bolivie, et je me rends compte que c`est pourtant mon livre le plus personnel, même si je ne parle pas de moi ni de ma famille. Pour tout écrivain, même si vous parlez d`un Chinois qui a vécu au XVIè siècle, écrire est un moyen de parler de vous.
Vous faites référence à Annie Ernaux, on sent que son parcours vous a marqué, mais est-elle aussi une de vos influences littéraires ?
Oui. Quand j`ai commencé à écrire, je lisais peu de littérature contemporaine, mais j`ai toujours lu Annie Ernaux et Patrick Modiano.
La conclusion du livre est que cette expérience vous a permis d`être la femme libre que vous êtes aujourd`hui. Quel est le message que vous souhaitez faire passer dans ce livre ?
Le droit à l`avortement est important, il faut le préserver et ne pas le considérer comme définitivement acquis. Il faut aussi dire aux jeunes filles de faire attention à elles et à leur corps, qu`il faut le protéger.
Quel est le livre qui vous a donné envie d`écrire ?
J`ai toujours beaucoup lu. Mais quand j`écrivais mon premier livre, je lisais Une œuvre déchirante d`un génie renversant, de Dave Eggers. Il parle de son enfance, on ne sait pas ce qui est biographique ou pas, et il y a une grande liberté dans ce livre qui m`a beaucoup encouragée.
Quel est l`auteur qui vous a donné envie d`arrêter d`écrire (par ses qualités exceptionnelles...) ?
Aucun, au contraire. L`année dernière, je relisais les œuvres de Philip Roth, dont Pastorale américaine. Les grands livres me portent.
Quelle est votre première grande découverte littéraire ?
À neuf ou dix ans, j`ai lu Autant en emporte le vent de Margaret Mitchell. Une femme indépendante, libre… qui m`a beaucoup marquée.
Quel est le livre que vous avez relu le plus souvent ?
Quand j`étais enfant, je pouvais relire dix fois le même livre, aujourd`hui moins… Peut-être Dora Bruder de Patrick Modiano.
Quel est le livre que vous avez honte de ne pas avoir lu ?
Il y en a énormément, je n`ai jamais lu James Joyce par exemple… C`est bien, ça me laisse beaucoup de choses à lire !
Quelle est la perle méconnue que vous souhaiteriez faire découvrir à nos lecteurs ?
J`ai aimé La mesure de la dérive d`Alexander Maksik, chez Belfond. L`histoire d`une femme exilée dont la vie a été détruite par la guerre civile au Liberia. Elle se retrouve dans une île grecque. Elle n`a plus rien, elle doit survivre et pourtant elle arrive à prendre conscience des plaisirs et de la beauté de ce qui l`entoure, un bain de mer, un café chaud. Il écrit sur le plus beau et le pire à la fois.
Avez-vous une citation fétiche issue de la littérature ?
Celle de David Grossman que j`ai mise en exergue de mon livre La réparation : « On n`est plus victime de rien, même de l`arbitraire, du pire, de ce qui détruit la vie, quand on le décrit avec ses mots propres. » Mettre ses mots propres sur un événement pour ne plus en être victime : c`est ce que j`essaye de faire en tant qu`écrivain, comme beaucoup d`autres.
Et en ce moment que lisez-vous ?
J`ai lu hier soir L`une et l`autre, un recueil de textes d`auteurs sur des écrivains qu`elles aiment. Marie Desplechin raconte la comtesse de Ségur, un auteur que j`adorais quand j`étais enfant. La comtesse de Ségur a commencé à écrire à cinquante ans, après une vie de mère et de grand-mère de famille dans un château en Normandie, presque par hasard.
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Peu de gens veulent de manière délibérée le mal, ont conscience de détruire. Ils détruisent en pensant faire le bien, c’est d’ailleurs la manière la plus puissante de faire le mal, vouloir faire le bien. Je ne fais que citer Vassili Grossman : « Là où se lève l’aube du Bien, les enfants et les vieillards périssent, le sang coule.
N'est-ce pas ce que nous vivons quand nous lisons, la reconnaissance d’une voix humaine qui nous parle ? Un être humain d'un autre siècle, d'un autre monde, nous donne de nos nouvelles, nous comprend sans nous juger.
Ce que l’on peut désigner comme des avancées de la science, de la médecine, de la mécanisation, de la fin du travail manuel ardu, nous conduit vers la dévastation de nos richesses, de nos cultures, de notre faune et de notre flore, de notre diversité humaine. ... Lévi-Strauss lui apprend à se défier de ses croyances dans un monde de progrès qui irait « vers l’avant ». Il dévoile les dévastations qui conduisent vers d’autres dévastations.
Lire des livres écrits par des proches exige une certaine compréhension, les écrire un certain égoïsme.

Elle est une petite fille de dix ans qui pleure parce qu'elle devine qu'elle appartient à un monde où même si l'on travaille dur, qu'on est sage et respectueux, on ne peut désirer, espérer, s'échapper.
Ce qu'elle a pu apercevoir dans ses manuels de classe, derrière les portes, dans les rues de Sucre, restera à jamais inaccessible ?
À Chuqui-Chuqui, l'école s'arrête à la septième, c'est sa dernière année, après il faudra aller dans les champs de maïs, de cannes à sucre ou partir trouver un boulot à Santa Cruz.
Elle fait une deuxième septième, elle a obtenu cela de sa mère et de sœur Amalia, la directrice, parce qu'elle aime l'école. Elle s'occupe des plus petits de la classe, des enfants de la montagne qui parlent mal espagnol, elle apprend par cœur les miettes du programme, ravie quand elle découvre des choses nouvelles.
Elle a dix ans et elle pleure parce qu'elle a peur de ne pas avoir le droit de désirer autre chose que ce qu'elle a déjà.
A-t-elle le droit ?
Elle a dix ans et voit, tout à coup, autour d'elle des barrières qu'elle n'avait pas devinées avant.
Est-ce que la vie est injuste ?
La richesse n'est pas l'accumulation de biens, mais de liens à l'autre. (p 39)
J'étais contente de retrouver Pierre. Il partageait mon enthousiasme. C'était bien de pouvoir remercier, d'avoir la possibilité d'être reconnaissant. (p. 135)
Qu'est-ce qu'il y a de juif en moi ? (...) J'ai peur. J'ai tout le temps peur qu'il arrive quelque chose à mes enfants, je ne suis pas croyante mais tous les soirs je m'endors en priant, pitié qu'il ne leur arrive rien. S'il leur arrivait quelque chose, je mourrais. (p. 65-66)
[Heum... N'est-ce pas la terreur de la plupart des mères, quels que soient leur religion, leurs origines, le passé de leurs ancêtres ??]
Gilbert avait arbitré que cela n'était pas possible. Dans les récits destinés à ses enfants, un héros ne pouvait pas mourir.
Pendant les cinq ans de l'Occupation, Gilbert a rencontré ce qu'il y a de meilleur et de pire dans l'humanité. De toutes ses forces, il a décidé qu'il ferait semblant d'oublier le pire et se tournerait vers le meilleur.
Ces héros l'ont porté tout au long de sa vie. (p. 134)
Azul, le cœur serré, pense à cette minuscule fillette de trois ans qui, un week-end sur deux, espérait chez son père, sa belle-mère et leur bébé, qu'un adulte la prenne dans ses bras. Elle suivait du regard son nouveau petit frère dans les bras amoureux de ses parents. Elle regardait, tendait ses bras vers son père qui ne la remarquait pas.