Fiona Mozley

Je cherche la célébrité et la fortune en restituant magnifiquement la vie pathétique des autres.

Papa nous avait dit que quand on se retrouvait face à quelqu'un, voilà ce qu'on ne devait jamais oublier : on ne peut regarder qu'une seule personne à la fois dans les yeux.

Après avoir terminé sa bière, Robert décide de rentrer chez lui. Il revient du Behn ivre d’alcool et de souvenirs. Comme si ce type à qui Robert pensait ne plus jamais parler l’avait pris par la main et entraîné au cimetière du coin pour le faire creuser. Il a l’impression de se trouver devant le trou qu’il fuit depuis vingt-cinq ans pour découvrir qu’il n’a fait que tourner autour, qu’au bout de tout ce temps il est toujours là, sans autre endroit où aller.

Le long et élégant index de Lorenzo Mendis trace des formes sur la condensation de sa pinte de bière. Il crée des ovales, des triangles, des arrondis et des tourbillons. L'humidité s'accumule sur son doigt avant de dégouliner sur le grand verre.

Precious regarde la rue par la fenêtre. Il fait noir. C'est le jour le plus court de l'année, la nuit la plus longue. Les réverbères sont allumés. Il reste encore certaines des ampoules jaunes qui éclairent la nuit de Soho depuis des dizaines d'années autrefois révolutionnaires, aujourd'hui datées. La plupart ont été remplacées par des LED d'un blanc cru. Precious n'aime pas cette couleur qui rend visible ce qui devrait rester caché la nuit. Cette lumière éclaire les rides de la ville comme celles d'une starlette vieillissante trahie par le flash inattendu d'un appareil photo. Le trottoir scintille. Les flaques d'eau réverbèrent la lumière, chacune de leurs gouttelettes telle une minuscule étoile.

Il attrape sa pinte et boit longuement pour avoir le prétexte de garder le silence au moins cinq secondes.

La pression des examens avait eu raison de leur couple et, comme Ross et Rachel dans Friends, ils faisaient une pause.

Lorenzo a toujours accordé le bénéfice du doute à certains hommes. Des hommes qui, il s'en rend maintenant compte, le terrifient, et ce depuis toujours. Et pourtant, c'est aussi à ces hommes qu'il trouve toujours des excuses.
Il est peut être comme le personnage de ce film réalisé par Herzog où le héros vit dans la nature avec des grizzlis en Alaska pendant plusieurs mois de l'année. Il les trouvait accueillants, gentils, doux, il s'imaginait qu'ils l'aimaient suffisamment pour faire taire leur instinct. Il se croyait spécial à leurs yeux ; il croyait qu'ils avaient un lien unique. Mais un jour, ils l'ont bouffé.

Anastasia et elle se rendent à pied à Soho. Anastasia explique à sa fille qu'une petite promenade avant d'entrer dans un bar, ça fait plus pour le visage d'une femme qu'un traitement cosmétique à mille livres ; que si en plus elle porte des talons hauts, ça fera encore plus pour son cul. Anastasia regorge de conseils de ce genre.

Quand il la regarde, Robert voit sur elle la marque des saisons. Il voit la pluie et le vent. Il voit les mois de maladie rampante. Il voit des éclairs de santé resplendissante. Il voit la pauvreté et la chance. Il voit la terreur et la faim, la douleur et l'espoir. Il voit le temps immobile.

Elle ne trouve certes aucune raison pour laquelle ses collègues feindraient de l’apprécier, mais elle lui a un jour avoué qu’elle fait toujours semblant d’aimer les gens qu’elle n’aime pas, alors ça serait logique de supposer qu’elle n’est pas la seule.

La justice, c'est une chose. L'autre chose, c'est la vie. Faut ce qu'il faut.

Parfois, on avait l’impression que nos questions embarrassaient papa. Il cherchait à être ouvert, à partager son savoir avec ses enfants, à leur donner des détails sur sa vie avant leur existence, et sa vie actuelle, mais on savait que si des détails étaient trop délicats, il les gardait pour lui. À l’époque, il ne cherchait qu’une chose: nous endurcir contre l’inconnu. Contre les choses sombres du monde. Car plus on en savait, plus on serait armés. Et pourtant, le monde était totalement absent de nos vies p. 69

On vient à Soho pour boire, se droguer et tirer un coup rapide, rire, écouter de la musique, danser, manger des gâteaux bourrés de sucre et des boulettes collantes, des escargots au beurre persillé, boire du café chocolaté et du vin de Bordeaux rouge, assister à des pièces de théâtre et des concerts.
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Un endroit qui conserve votre empreinte comme une chaise moelleuse dans laquelle vous vous êtes si souvent assis.

Robert quitte son tabouret de bar, vacille, se ressaisit, puis pousse la lourde porte en bois et trébuche sur le trottoir. Il a quitté Precious il y a plusieurs heures, et il se sent encore plus mal qu'avant. Mettre de l'argent dans le sexe, ça devait lui éviter de le dépenser en alcool. Le sexe est meilleur pour sa santé, sinon pour son compte bancaire, et en général ça améliore son humeur.
Mais ce soir, il lui restait encore un peu de monnaie. Il n'avait pas envie de retourner au Behn et d'expliquer sa disparition à Lorenzo, alors il est entré dans un autre pub et s'est assis seul au bar, le dos voûté. Il a commandé un double whisky de mauvaise qualité.

- Je suis désolé, dit Lorenzo.
- Pas besoin, dit Robert. Et ça sert à rien que je m'apitoie. II est temps que j'agisse, putain. Mais j'ai pas la moindre idée de ce que je peux faire. Je viens de passer les trois derniers mois à picoler à en crever comme le putain de déchet inutile que je suis.
- Excusez-moi ?
Une femme est installée à une table à l'autre bout du pub. Ni Lorenzo ni Robert ne l'ont vue arriver, s'asseoir et commander la tasse de café noir posée devant elle.
La première pensée de Lorenzo, c'est : un café dans un pub ? La première pensée de Robert, c'est : putain de merde, j'aurais pas juré si j'avais su qu'il y avait une dame.
- Excusez-moi ? répète-t-elle.

Lorenzo commande une pinte de Black Sheep et regarde le liquide brun couler dans le verre en formant de la mousse. Quand il était à Londres, il buvait de la blonde parce que c'était facile et rapide, mais par une journée comme celle-ci et dans un pub comme celui-ci, il vaut mieux prendre quelque chose de plus costaud.

Laura était assise nue sur le lit. Elle était très à l'aise avec son corps. Elle ne s'embarrassait pas d'être vue sans vêtements par Bastian, ou par les voisins, si la lumière entrait d'une certaine manière et que le rideau glissait, ou si elle allait récupérer, sur le rebord de la fenêtre, un verre d'eau ou son téléphone. Elle était capable d'occuper l'espace sans se sentir coupable, aussi. Elle pouvait s'affaler sur un canapé ou un grand lit bras et jambes en croix. Bastian n'en revenait pas.

Lorenzo prend une douche, se branle, se lave, puis se sèche, s'habille et descend au pub du village.

Le sol regorgeait d'histoires brisées qui tombaient en cascade, pourrissaient puis se reformaient dans les sous-bois de façon à mieux resurgir dans nos vies. on racontait que des hommes verts avec des visages en feuille d’arbre et des membres en bois noueux scrutaient depuis les fourrés.