Citations de François Dubet (54)
L’égalité nous engage parce que les individus ont quelque chose de commun et de semblable, parce qu’ils sont liés, qu’ils ont un destin commun et que leur bonheur privé dépend du bonheur public. Quand ces sentiments faiblissent, les inégalités se creusent, en dépit des indignations.
Aujourd’hui comme hier, la vie sociale a horreur du vide : se mettent en place d’autres mécanismes de production de cette vie sociale, que l’on peut grossièrement caractériser par la notion de cohésion sociale. C’est dans ce nouveau contexte, qui pourrait être qualifié de « post-moderne » ou de « seconde modernité », qu’il nous faut penser la construction d’une solidarité sociale qui ne peut pas indéfiniment se tourner vers un imaginaire social désormais révolu.
Sans ces liens pratiques et imaginaires, la reconnaissance de l’égalité fondamentale, « les hommes naissent libres et égaux », n’engage pas nécessairement à rechercher une égalité réelle.
Tout change quand les diplômes deviennent indispensables et que tous sont utiles, soit pour s’élever, soit pour maintenir une position, soit pour ne pas être marginalisé quand l’absence de diplôme condamne presque automatiquement à la précarité et au chômage.
La tyrannie des marques règne dans les cours d’école, les tribus des « looks » et des styles se multiplient afin que chacun s’assure d’une inégalité symbolique qui lui soit favorable et, surtout, qui apparaisse comme une dimension de sa personnalité, de sa liberté et donc de son égalité fondamentale. L’expérience des inégalités invite donc à dénoncer les grandes inégalités, tout en s’attachant à défendre les « petites » inégalités, celles qui font les différences essentielles.
Le populisme est un style davantage qu'une politique. En définitive, il s'accommode à toutes les politiques et ne promet rien. (p.95)
Le leader populiste doit transformer l'indignation en ressentiment, parce qu'il a la capacité de désigner les adversaires et les ennemis. (p.93)
La "manif" est peut-être moins l'expression d'un conflit que la tentative de le faire surgir. (p.79)
Plus que l'exploitation ou les inégalités sociales proprement dites, le mépris est une sorte de mesure générale du sentiment d'injustice. En ce domaine, les inégalités culturelles, les inégalités de l'honneur et de la dignité sont plus sensibles que les seules inégalités économiques. (p.59)
L'individualisation des inégalités peut multiplier les luttes, mais certainement pas induire leur convergence. (p.54)
Dans le régime des inégalités multiples tel qu'il peut être observé dans nos sociétés, les individus sont nombreux à changer de position sociale d'une génération à l'autre, mais ils bougent très peu. (p.41)
Au XXè siècle les inégalités sociales ont été réduites parce qu'elles étaient avant tout des inégalités de classe. (p.20)
Les grandes inégalités, opposant la plupart d'entre nous aux 1% les plus riches, sont moins significatives et nous mettent moins en cause que les inégalités qui nous distinguent de ceux que nous croisons tous les jours. (p.12)
Ce sont les vertus sociales, la confiance, la tolérance, la générosité, l’honnêteté, qui serait à la base de la solidarité. On aide ses amis ; ceux qui ont réussi rendent à la société ce qu’elle leur a donné par les fondations philanthropiques ; les étudiants empruntent car ils ont confiance dans leur université et dans l’économie ; les gens comptent sur les voisins ; les patrons et les syndicats apprennent à partager les responsabilités, etc. Le rôle de l’état n’est plus d’encadrer la société, mais de pousser les individus à agir de manière solidaire, à se mobiliser, à « faire société ».
Autrement dit, si les inégalités sont injustes, ce n’est pas seulement parce qu’elles sont inéquitables ; c’est surtout parce qu’elles empêchent des individus d’atteindre la vie qui leur semble bonne pour eux-mêmes. L’attention accordée à autrui et à ses besoins émotionnels déplace les conceptions de la justice vers l’individu, le care, pour ne pas dire la « sympathie ».
La société serait devenue « légère », « liquide », et « risquée », quand l’imaginaire de la solidarité se déplace vers les individus et les politiques, bien plus que vers les institutions et la politique.
Séparatismes
Les centres-villes se gentrifient et s’embourgeoisent, les périphéries s’appauvrissent, les classes moyennes qui ne peuvent pas vivre dans le centre s’éloignent encore plus pour fuir les grands ensembles dégradés. Partout se déploie un entre soi social, comme s’il fallait mettre la plus grande distance sociale et spatiale entre soi et les catégories sociales moins favorisées. Bien sûr, le prix du foncier détermine les choix, mais ces prix sont eux-mêmes le produit des préférences pour la séparation. Tous ceux qui le peuvent, et qui ne sont pas nécessairement les plus riches, veulent développer un capital social endogène, vivre dans les mêmes quartiers, pas nécessairement pour se fréquenter et créer une vie de quartier, mais pour l’ambiance, la sécurité et l’esthétique urbaine, sans parler de la sectorisation scolaire. Les individus ne recherchent pas les inégalités sociales mais leurs choix les engendrent. Plus les inégalités sociales se creusent, plus les interactions se resserrent entre ceux qui se ressemblent du point de vue économique, culturel et parfois « ethnique ».
A l’école comme ailleurs, quand le consensus n’est plus fondé sur des croyances communes, il doit être établi sur des accords démocratiques établis.
Il faut donc refonder l’école sans rêver d’un retour à la théologie scolaire républicaine.
Qui parle au nom des immigrés d'origine maghrébine ? Les associations officielles, les "barbus", les militants antiracistes de gauche, les Indigènes de la République, les personnalités ultra-laïques, les travailleurs sociaux, les intellectuels, les députés, les sociologues ? Le sens de tous leurs discours procède moins du témoignage que du jeu politique dans lequel ils s'inscrivent, et on comprend bien pourquoi les individus concernés se vivent comme les témoins et les otages de débats, parfois de spectacles, qui ne sont pas les leurs.